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Voyage, voyage…ou cynisme quand tu nous tiens !

26 juin 2022, 09:13

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Les Belges ont été les maîtres du Congo de 1885 à 1960, exploitant ses ressources et ses richesses avec férocité, et sans considération aucune pour ses habitants quand il s’agissait d’extraire des profits. Certains Belges ont aimé le Congo et s’y sont investis avec sincérité, mais l’image qui restera, est celle des 10 millions de morts pour la période 1885 à 1908 où Léopold II, que le roi Baudoin décrivait encore comme un «génie» dans son discours pour l’Indépendance du Congo ! (*), en avait la propriété personnelle. Les mains coupées en guise de punition quand les quotas de caoutchouc ou d’ivoire n’étaient pas atteints resteront, avec l’holocauste des Allemands, une apogée d’infamie pour un peuple dit «civilisé». Les violences et l’exploitation ne prirent pas fin en 1908 quand le gouvernement belge prit le relais et de nombreuses révoltes régionales (face à la famine ou aux conditions de travail odieuses dans les mines ou dans les docks) furent ainsi réprimées sans ménagement par l’armée belge.

Le brillant Patrice Lumumba fut nommé Premier ministre le 30 juin 1960 et s’enfonça rapidement dans une période trouble où la Belgique encourageait, pour raisons apparemment minières, la sécession du Katanga de Moïse Tschombe ; où l’Ouest et la Russie jouaient cyniquement leurs cartes de «guerre froide» et où les tribus se faisaient, en plus, du coude sur ce vaste territoire en ébullition (**). Quand le président Kasa-Vubu relevait Lumumba de ses fonctions, ce dernier fit… pareil et le colonel Mobutu y vit sa chance et prit l’initiative, débutant d’ailleurs comme aimable compositeur ! Les Belges, les Américains, les Anglais voulaient tous se débarrasser de Lumumba, jugé – à tort, semble-t-il – «communiste» et c’est l’ex-ministre des colonies belges, Charles d’Aspremont Lynden, qui donna, dans un Congo pourtant indépendant, l’ordre d’envoyer Lumumba, une fois arrêté, au Katanga, ce qui équivalait alors à une condamnation à mort. Il fut effectivement torturé, puis fusillé sous les ordres de soldats et mercenaires belges, puis démembré et dissout dans de l’acide sulfurique concentré !

Le pillage et le génocide du Congo auront permis au seul Léopold de construire des palais, des jardins, tout le quartier du Heysel, ainsi qu’un musée à sa gloire, rempli de collections d’art volées. L’exploitation minière du pays aura aussi irrigué bien des fortunes en Belgique, un des pays les plus riches d’Europe. Le roi Philippe des Belges, un neveu distant de Léopold, était au Congo cette semaine. Il a présenté les regrets de son pays pour les exactions passées, mais il n’aura pas demandé pardon, ni même tenté quelque forme de restitution.

À une exception près !

On a, en effet, restitué… UNE DENT de Patrice Lumumba à sa famille et à son pays ! Cette dent doit sa survie de l’acide au fait qu’elle était… en or ! Elle fut arrachée de la mâchoire de Lumumba après sa mort et nonchalamment ramenée vers Bruxelles, comme tout le reste, parce qu’elle valait, ça se comprend… de l’argent.

Pathétique ! 75 ans de pillage d’un côté et la restitution d’une dent en retour ! Pathétique !

Vous avez peut-être entendu évoquer le sommet du Commonwealth au Rwanda cette semaine ? Les remarques désobligeantes ont été nombreuses. Ce n’était pas dû à la présence de notre PM, mais surtout parce que le plan britannique pour exporter ses émigrants illégaux vers le Rwanda a ramené les droits de l’homme au centre d’attention, alors que le Rwanda n’est pas la référence la plus positive en la circonstance (***). Ce pays enclavé a certes fait des progrès économiques et sociaux qui plaisent beaucoup à l’Ouest, mais le Rwanda est longuement associé aux frasques du groupe armé M23, qui sévit, à côté, au Congo et au Kivu, on y croit encore. Il faut aussi rappeler que le Rwanda, 54e membre du Commonwealth, n’est pas un membre usuel. En effet, son passé colonial fut allemand d’abord, puis belge et son admission en 2009 fut controversée puisque faite malgré un rapport négatif de la Commonwealth Human Rights Initiative (CHRI) qui trouvait que «the state of governance and human rights did not satisfy Commonwealth standards», comme requis par les principes pourtant déclamés à Harare en 1991. La CHRI et Human Rights Watch ont d’ailleurs récemment statué que le respect rwandais pour la démocratie et les droits humains avaient… baissé depuis, comme dûment soutenu par les Britanniques, jusqu’à ce qu’émerge le plan Priti Patel pour offshoriser les immigrants illégaux. Boris Johnson, rendu à Kigali jeudi, avant même l’arrivée du premier émigrant qui devait être «offshored» par le Royaume-Uni, a inévitablement suscité la question, ironique et prévisible, de savoir si Boris était finalement le premier et le seul à rejoindre le Rwanda, et si les 120 millions de sterlings de fonds de développement de contrepartie, seraient, finalement, pour… le garder.

L’hypocrisie ne s’arrête pas là. Le Prince Charles qui, en privé, a décrit l’initiative d’offshorisation de ces émigrants illégaux comme «appalling», sera aussi à Kigali…

Dans un autre voyage «historique», le prince Mohammed ben Salmane (MBS) d’Arabie saoudite a été reçu en grande pompe par le président turc Erdogan. La guerre d’influence entre ces deux grands pays, d’abord avec Erdogan soutenant, en Égypte, les frères musulmans de Mohamed Morsi – bête noire de l’Arabie saoudite, puis avec MBS punissant et boycottant le Qatar – allié solide d’Ankara ; s’était solidement aggravée avec l’assassinat du journaliste Kashoggi en 2018 à Istanbul, alors qu’il allait récolter, à l’ambassade saoudienne, les documents nécessaires à son mariage avec sa fiancée turque.

Mais leurs situations respectives ont évolué depuis. MBS est en quête de réhabilitation et de regain de respectabilité et Erdogan a besoin de soutiens financiers pour son pays à la dérive. L’inflation officielle est à 70 %, il reste deux mois seulement de réserves Forex et 4 millions de réfugiés syriens causent désormais un ressentiment grandissant dans le pays. Le mariage d’intérêt est évident puisque l’Arabie nage dans les pétrodollars quand ses clients paient 110 dollars (Merci M. Poutine !) pour un baril qui rapportait seulement 79 dollars en décembre 2021. Les méchantes langues n’ont cependant pas manqué l’ironie de dire du voyage de MBS à Istanbul que l’assassin retourne toujours sur le lieu du crime.

La realpolitik mènera même le président Biden chez MBS en juillet !

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Le speaker de notre Parlement, M. Phokeer, était, lui, en voyage au Maroc pour évoquer, notamment, les défis de la démocratie parlementaire et la participation des femmes à la vie politique. Décidément, il est en bonne position pour en parler. À l’envers peut-être ?

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Deux voyages osés de la Cour suprême des États-Unis cette semaine. Osés surtout parce qu’à contre- courant de la volonté populaire mais aussi intrinsèquement illogiques. Dans un cas on interdit aux États d’interdire le port d’armes en public, au nom de la liberté. Dans l’autre cas on permet aux États d’interdire aux femmes de décider de la libre disposition de leur corps et d’enfanter ou non. Conclusion : il faut désormais faire plus d’enfants pour contrer les plus grands risques qu’ils soient tués ? Selon la même Constitution ?


(*) Léopold II rêvait, comme les autres pays européens, d’exploiter un empire outre-mer. C’était à la mode et c’était lucratif avant tout. Il rêva d’abord de Chine, puis des Philippines et se contenta finalement de ce qui restait de l’Afrique après le ‘grand partage’ du continent aux conférences de 1884-85. Léopold exécutait son pillage violent du Congo, commodément caché derrière la prétention d’apporter l’humanisme civilisationnel, le combat contre l’esclavage et les valeurs de la chrétienté.

(**) https://en.wikipedia.org/wiki/Patrice_Lumumba

(***) https://www.theguardian.com/ commentisfree/2022/jun/22/ rwanda-hosting-commonwealth-summitexposes-gaping-hole-values