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Pas de roupie compétitive

25 mai 2022, 09:00

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La roupie se raffermit par rapport aux principales devises. Du 31 mars 2022 à ce jour, le dollar a perdu plus d’une roupie, l’euro et la livre sterling, quatre roupies. Sur la base du «Mauritius Exchange Rate Index», la roupie s’est appréciée en général de 2,3 % au cours du mois d’avril. Les interventions de la Banque de Maurice et les changes internationaux y sont pour quelque chose. Sans ignorer le danger d’une crise sociale causée par l’envolée des prix, des patrons se déclarent par prétérition contre l’affermissement de la roupie. Au-delà des mérites d’une roupie forte ou d’une roupie faible, il est ahurissant que le secteur d’exportation lie, encore aujourd’hui, sa compétitivité à la dépréciation monétaire. 

Dans une interview publiée dans Le Mauricien du 14 mai, le président de la Mauritius Exports Association estime que «pendant cinq ou six ans» suivant la crise financière globale, «la roupie était trop forte», et que si «entre 2010 et 2022, on avait eu une dépréciation graduelle de 2,5 % de la roupie par an (…) on aurait gardé notre compétitivité». Manifestement, il n’a pas consulté les «Productivity and Competitiveness Indicators» de Statistics Mauritius, qui indiquent une dépréciation de la roupie contre le dollar de 2,4 % par an entre 2010 et 2020. Malgré une autre dépréciation de 5,7 % en 2021 (après 10 % en 2020 et 4,2 % en 2019), notre industrie est devenue moins compétitive et le déficit commercial s’est accru d’année en année. 

La compétitivité extérieure du pays ne sera pas rétablie par une roupie très faible. En dépit de la dépréciation accélérée de la roupie ces trois dernières années, les termes de l’échange de Maurice ont connu des hauts et des bas, si bien que leur indice est retombé en 2021 au niveau de 2018. La raison est que les hausses de prix à l’importation ont annulé celles des prix à l’exportation en roupies. 

Cela ne surprend guère, étant donné que le pays importe 2,6 fois plus qu’il n’exporte. De surcroît, ses exportations de marchandises ont un fort contenu en importations, de l’ordre de 60 %. Les exportations nettes (des importations) rapportées aux exportations des entreprises exportatrices ont chuté à 39,8 % en 2021, contre 44,7 % en 2010, au temps où «la roupie était très forte». 

C’est une supposition à laquelle n’avait pas souscrit le Fonds monétaire international dans ses rapports de consultation au titre de l’article IV. Il écrit en 2011 que «the rupee appears to have appreciated during 2010 with respect to its estimated equilibrium rate, though it remains broadly in line with fundamentals». Il insiste en 2012 que «the Real Effective Exchange Rate is broadly in line with fundamentals». En 2013, il fait ressortir «a mild overvaluation (less than 5 percent over the mediumterm », et il confirme en 2014 que «the rupee is moderately overvalued from a structural point of view». 

Les coûts de main-d’oeuvre horaires en dollar sont certes un facteur de compétitivité. En 2011, ceux de Maurice avaient surgi de 17,8 % à 2,32 dollars, mais ils étaient encore relativement faibles, même comparés avec la Turquie (6,01 dollars). Singapour avait aussi subi une hausse de 19,6 % cette année-là ; et si ses coûts de travail sont aujourd’hui neuf fois plus élevés que les nôtres, ce n’est pas pour autant qu’il est moins compétitif que nous. 

Le problème n’est pas tant un taux de change défavorable que des hausses continues des salaires. Que la roupie s’apprécie (en 2017 et 2018) ou se déprécie (en 2016, 2019 et 2020), les coûts salariaux unitaires en dollar des entreprises d’exportation n’ont pas cessé de grimper chaque année depuis 2016, soit une hausse cumulative de 21,5 % en cinq ans (56,2 % pour le textile). 

Pour qu’une dévaluation serve à relancer véritablement les exportations, il faut que les entreprises aient la capacité et la volonté de conquérir de nouveaux marchés. Faute de cela, elles se contentent de profiter de la prime qui leur est ainsi donnée pour augmenter leurs prix, donc leurs marges. La dépréciation monétaire est une drogue douce à laquelle on s’accoutume – d’où des cris d’orfraie en cas de manque –, mais dangereuse quand elle dispense l’exportateur de regarder ses vraies faiblesses. 

À l’inverse, une monnaie forte (pas très forte) oblige les exportateurs à faire des efforts de productivité, seul moyen pour eux de compenser le renchérissement relatif de leurs produits. Elle les incite à se spécialiser dans les biens haut de gamme, ceux pour lesquels ce n’est pas le prix, mais la qualité et le service après-vente qui font la différence. Elle exige persévérance et imagination, et elle est un aiguillon pour l’économie d’exceller sans s’amollir. 

Hélas, la Banque de Maurice n’a pas le bilan qu’il faut pour assurer une roupie forte. Néanmoins, on ne peut pas rester dans la mentalité des années 80, tout en faisant appel à «de nouvelles idées». Il n’y a pas de roupie compétitive, mais seulement une roupie saine qui est non-inflationniste.