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Rien n’est parfait en ce bas monde…

3 avril 2022, 09:58

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Rien n’est parfait en ce bas monde…

Il y a désormais une loi fédérale américaine contre le lynchage ! Alléluia ! 

Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un pays où l’on aura lynché plus de 6 500 Afro-Américains entre 1865 et 1950, il aura fallu attendre plus de 200 tentatives de faire voter une loi fédérale contre le lynchage ! 

Comme prétexte principal contre ces tentatives, les représentants au Congrès ou au Sénat, principalement des États du Sud, arguaient que selon la Constitution, une telle loi relevait des États plutôt que de Washington. Mais ce n’était qu’un affreux prétexte, puisque plus de 100 ans après les premières tentatives de la NAACP, les États les plus réfractaires du Sud n’avaient pas euxmêmes fait beaucoup de progrès contre le lynchage, sauf plus récemment. Il faut d’ailleurs remarquer qu’au début du siècle dernier, les représentants des États du Sud au Congrès étaient bien plus du parti démocrate que du parti républicain, qui était le parti d’Abraham Lincoln, faut-il le rappeler ! Plus généralement, la tentative de voter une loi anti-lynchage n’était jamais la priorité du moment et passait souvent à la trappe en échange de votes pour une loi jugée plus pressée nationalement ou plus utile politiquement. Ainsi va toujours le monde !

Il est intéressant de noter qui si l’origine du mot ‘lyncher’ n’est pas définitivement établie, il est largement associé au nom de William Lynch qui, en 1780, signait un protocole établissant la notion qu’une cour autoproclamée, un «vigilante» ou une foule pouvait se faire justice d’elle-même. Dans l’Amérique «des frontières» et ailleurs au monde, bien sûr (voir Wikipédia), cette justice expéditive était, à l’époque, assez fréquente. Elle n’a pas toujours été, en plus, exclusivement raciste. Des 4 467 personnes lynchées entre 1883 et 1941 aux États-Unis, par exemple, 3 265 étaient Afro-Américains, 1 082 Blancs, 71 Mexicains, 38 Peaux-Rouges, 10 Chinois et même un Japonais. C’est surtout après la guerre civile (1861- 65), que le lynchage fut repris par les suprématistes blancs du Sud, notamment par le Ku Klux Klan, pour tenter d’imposer la «supériorité» blanche, par la terreur. La journaliste Ida B. Wells, à la fin du 19e siècle, établissait ainsi que de nombreux «crimes» menant au lynchage avaient été, soit exagérés, soit inventés de toutes pièces. Une des composantes les plus fortifiantes aux initiatives de lynchage était liée au sexe interracial. Comme le démontrait le sénateur Tillman de la Caroline du Sud, en 1900 : «We of the south have never recognised the right of the Negro to govern white men and we never will. We have never believed him to be the equal of the white man, and we will not submit to his gratifying his lust on our wives and daughters without lynching him.» Trêve de copulation, un simple regard pouvait alors suffire ! On avait donc intérêt à marcher les yeux baissés… Ce qu’Emmett Till, 14 ans, dont le nom orne la nouvelle loi, n’avait pas fait à l’époque (*). C’est moins le cas aujourd’hui, heureusement. Voyez seulement Chris Rock (**) et… Will Smith ! 

Rien n’est, décidément, parfait en ce bas monde ! 

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Le rapport de l’Auditeur général de cette année, le Country Diagnostic 2022 de la Banque mondiale ainsi que le numéro spécial du Financial Times daté du 1er avril, ne font pas dans la dentelle et passent, pour l’essentiel, le même message. Notre avenir va être un vrai défi.

David Pilling, le journaliste qui écrit les articles principaux du Financial Times (FT) est celui dont le gouvernement local sera le moins mécontent. C’est pourtant celui qui aura trouvé la formule la plus croustillante : «Mauritius threw the kitchen sink at the Covid crisis. Now it has to deal with the broken crockery» ! En général, les avis exprimés sont mesurés, même si, inévitablement, parfois un peu colorés. Rama Sithanen défend la stratégie de base du gouvernement pour la pandémie, mais reste critique notamment sur comment sortir de l’endettement accumulé. Sushil Kushiram est plus direct, parle de mesures populistes au-dessus de nos moyens et souligne combien tous les voyants sont au rouge. Azim Currimjee est désormais on record avec l’étonnante déclaration que «there was so much spare cash in Mauritius that, basically, we mopped it up and put it back in». Ken Poonoosamy de l’EDB, qui pourchasse pourtant l’investissement, parle plutôt de la stabilité passée du pays des derniers 40 ans, que de l’avenir. Lord Desai dit, mi-figue, mi-raisin, que le pays est «well run, by and large» et, de manière pas tres rassurante, que nous nous en sortirons «relatively well», mais ne définit pas «relatively», ni ne dit comment. Il nous faudra de la croissance solide et de la prudence fiscale, dit Sithanen, affirmant une évidence, mais on en a peu vu de l’un et de l’autre, jusqu’ici, malheureusement. Arvin Boolell souligne que le pouvoir, tant économique que politique, est concentré dans bien trop peu de mains. Harvesh Seegoolam et Renganaden Padayachy, contrairement à ce qui est attendu dans ce genre de publication, n’auront pas accepté d’être interviewés. Pravind Jugnauth n’est pas à la «une» non plus et se contente d’une petite «photo-passeport». C’est un risque calculé qui peut peut-être aider à faire passer le message que ce supplément du FT n’est pas un exercice de complaisance, cependant que les «officials» anonymes qui soulignent, dans la colonne «crédit» du pays, les projets d’infrastructure, dont le métro et le développement de «niche , high value-added businesses in medical devices and pharmaceuticals» doivent, espérons-le, en savoir bien plus que nous puisque le «coût/bénéfice» du métro inquiète et que la «niche» paraît pour l’heure plutôt étroite. D’autant que l’on compterait sur l’expansion du secteur éducatif et le «sustainable use of ocean resources, from rare earth mining to tuna processing» ! Il est vrai que le thon va se faire rare, mais «rare earth mining», vraiment ? Qu’avonsnous donc découvert de concret, 10 000 lieues sous nos 2,3 millions de kilomètres carrés de mers ?

Les pavés publicitaires de la Financial Services Commission et de la Mauritius Investment Corporation auraient pu avoir été mieux rédigés, au final et dans le premier cas, l’illustration retenue intrigue plutôt, puisque les trois rayons lumineux principaux émergents de Maurice semblent pointer surtout vers la Chine, les États-Unis (mais plus au nord que les Grands lacs !) et le… pôle Nord. On cherche encore le Père-Noël peut-être ? 

Une section pétillante souligne, par ailleurs, combien les Mauriciens sont attachés à la démocratie, alors qu’ils sentent bien que cela se dégrade. Un sondage d’Afrobarometer l’an dernier indiquait ainsi 45 % d’insatisfaits divers de notre démocratie, contre 27 % en 2012, ce qui est d’ailleurs confirmé par les scandinaves de V-DEM. Pilling affiche cependant son étonnement positif, au vu de la concentration des pouvoirs dans le pays, que cela n’ait pas mené aux inégalités criardes que l’on aurait pu prévoir ! Notre coefficient de GINI, à 36.8 en 2017 (mieux depuis !) était d’ailleurs meilleur que celui des États-Unis, indique-t-il, et juste moins bon que celui de la France. On score ! Cependant, le FT ne cache ni le népotisme chronique, ni le fait de scandales ayant entaché la carrière personnelle de Jugnauth et de Ramgoolam. On encaisse ! 

Un article sur l’offshore souligne le bon travail accompli par les autorités pour quitter les listes grise et noire qui nous gênaient tant depuis 2020, mais indique aussi la vulnérabilité de notre réputation, le besoin d’un état d’esprit nouveau qui rejoigne plus concrètement celui des législations et les scandales locaux de corruption qui font mal : le scandale St.-Louis et la mort de Kistnen «who appeared to be about to expose corruption in Covidrelated procurement…» sont ainsi mentionnés, faisant le pendant aux scandales émanant de l’offshore. Le FT reconnaît pourtant que notre offshore connaît des cas douloureux, mais pas plus que les autres… Pensez à l’hypocrisie pour les oligarques, par exemple ! 

Si le FT reste une référence et que ce numéro spécial va plutôt aider, M. Pilling se trompe cependant quand il dit que le raid de la police chez Ramgoolam avait trouvé des quantités de billets dans des valises plutôt que des coffres, écorche le nom de celui-ci par deux fois, remplaçant le 1er ‘m’ par ‘n’ et cite un dollar américain à Rs 32,50 il y a deux ans, alors qu’il était plutôt à Rs 37,50. 

Rien n’est finalement parfait en ce bas monde…

(*) https://www.nytimes.com/2022/03/30/opinion/lynching-emmett-till.html
(**) https://www.dailymotion.com/video/x2n5n1b