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Démondialisation et «cancel culture»

28 mars 2022, 13:00

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Démondialisation et «cancel culture»

Nous avançons à tâtons sur l’échiquier mondial. Nous cherchons des repères qui sont masqués par le brouillard de l’incertitude et des missiles. Pourtant, cette année aurait dû être celle de la reprise économique post-Covid-19. Nous avions du retard à rattraper. Les avions allaient redécoller une fois les aéroports rouverts. Le confinement nous avait ralentis comme pratiquement jamais auparavant… et le tourisme voulait reprendre des couleurs.

Mais les prévisionnistes de la croissance mondiale, qui sont des fois frappés d’une cécité pas trop éloignée de celle des services météorologiques (même s’ils ne partagent pas le même marc de café), n’ont même pas eu le temps de se remettre du choc prolongé de la crise sanitaire que deux autres chocs sont venus compliquer la donne en ce premier trimestre 2022. Au choc de la pandémie, sont venus se greffer : 1) le choc de l’inflation et 2) celui de la guerre en Ukraine, dont c’est le 32e jour de l’invasion russe.

Ce triple choc affecte l’habitant du village de Britannia, avec qui je discutais hier matin, qui n’arrive pas à comprendre pourquoi, en sus de ces secousses mondiales, il devra bientôt payer Rs 100 à son pharmacien de Tyack pour «professional fee». «Dokter pran cher, medsinn cher, aster bisin paye pharmacien ! Ou pou dir mwa Poutine mem ki antor la ? !»

Le maître du Kremlin ne peut pas être la source de tous nos maux, mais il a définitivement sa main dans la présente situation inédite.

De Britannia à Washington, D.C., en passant par Kiev et Genève, la mondialisation avait pratiquement tout ficelé avec le concours de l’Organisation mondiale du commerce. Aujourd’hui, Poutine vient remettre en question l’ordre établi. Nous vivons à l’ère des sanctions économiques qui vont forcément redessiner les contours du monde mondialisé, un peu comme la fin de la guerre froide au début des années 90, qui avait profondément modifié le paysage économique de la planète.

La guerre en Ukraine, l’intransigeance de la Russie, sur laquelle dépend l’Europe pour ses besoins énergétiques, le rôle encore ambigu des États-Unis et celui de la Chine qui se toisent du regard par-delà le vieux continent, provoquent des effets sur les échanges diplomatiques et commerciaux ainsi que sur les places boursières. Davantage que le changement climatique !

Si des experts comme Christine Lagarde estiment qu’il serait prématuré de décrire le nouveau monde, surtout économique, qui se met en place, en revanche, on peut d’ores et déjà prévoir le positionnement des blocs économiques et commerciaux bien répartis : un en Asie et en Chine ; le deuxième aux États-Unis et en Amérique latine ; le troisième en Europe avec ou sans la Russie.

La situation de triple choc comprend une pandémie encore inachevée, une inflation qui risque de durer assez longtemps et une guerre aux conséquences encore incertaines avec l’émergence des problèmes d’immigration, des problèmes énergétiques et financiers, etc.

Mais la vraie guerre qui aura un impact sur le long terme est la guerre économique. Le financement de l’économie russe devient problématique, et si la Chine ne la soutient pas, Poutine sera sous forte pression de la part de ses propres citoyens. Des entreprises américaines et européennes ont déjà commencé à déserter la Russie, qui perdra ainsi l’accès à certaines technologies de l’Ouest.

La haute finance internationale se fissure avec des sanctions qui surprennent par leur ampleur, notamment le gel des avoirs de la Banque centrale russe. Les Américains portent la charge.

Il s’agit pour eux de freiner le financement de la machine de guerre du Kremlin, en lui coupant l’accès aux devises.

La difficulté des sanctions économiques, c’est qu’il s’agit de faire monter la pression sur le régime de Poutine tout en évitant d’attaquer les consommateurs russes. «Nous ne sommes pas en guerre avec les Russes, mais bien avec Poutine. Cela n’a pas de sens de fermer les chaînes de restauration en Russie. On ne doit pas non plus interdire aux orchestres russes de venir jouer chez nous. Il ne faut pas aller trop loin», tentent d’expliquer les diplomates du service d’État des States.

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La mondialisation évolue sur une partition écrite par des stratèges américains. La décision de la Maison-Blanche de ne pas intervenir en Ukraine traduit un agenda de moins en moins interventionniste depuis ses déboires en Iraq et en Afghanistan. D’où la question essentielle : la Chine va-t-elle jouer le rôle de négociateur de cette guerre ?

Mais les Chinois ne donnent rien pour rien. Quelles seront ses revendications ? Taïwan ? Remettre à plus tard la taxe carbone avec le soutien de l’Inde ? Elle peut faire monter les enchères vu que l’Occident avance en rangs dispersés et se montre faible et incapable de réagir face à la menace nucléaire et sa dépendance chronique des carburants et du gaz russes.

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Les notes de Tchaikovsky, Shostakovich, Rachmaninov sont interdites parce qu’ils sont d’origine russe. Voilà une face cachée des forces occultes de cette même mondialisation qui a fait de Julian Assange un prisonnier désormais légendaire des geôles britanniques.

Après les gels de comptes, suppressions de contenus, avertissements, la cancel culture et la propagande sont désormais monnaie courante. C’est aussi une forme de dictature qui traduit une haine antirusse. C’est à la hauteur des plus sombres heures du maccarthysme. C’est indigne à la mondialisation de la culture et des arts. Et si on continue ainsi, on ne pourra même plus boire une Vodka à la pomme verte ou trouver un livre d’antan d’Alexandre Soljenitsyne ?