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Inondations réelles et pénuries factices

23 mars 2022, 08:59

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Quand on dépense l’argent public, comme on va le faire à nouveau avec le Budget 2022-23 qui arrive bientôt, on a intérêt évidemment à planifier et à dépenser de manière économe, voire productive mais surtout à ne pas gaspiller. C’est malheureusement loin d’être toujours le cas ! On peut, à ce titre, tout aussi bien évoquer le projet Safe City, les Relief Works d’antan, Pack & Blister ou le Molnupiravir.

Mais que dire des inondations et des flash floods dont on subit la furie de plus en plus régulièrement ? Était-ce inévitable ? Avons-nous fauté quelque part ?

Nous ne semblons pas avoir négligé le problème, puisque l’on en parle au niveau gouvernemental depuis au moins 12 ans et que l’on y dépense des sommes vraiment importantes. Ainsi en 2010, on budgétisait Rs 726 millions pour 124 projets de drains distincts. En 2011, rebelote avec Rs 3 milliards d’alignés pour les eaux usées, les dépotoirs et… les drains. En 2014, on met sur pied la Land Drainage Agency, qu’il faut financer bien sûr. Deux ans plus tard, le Budget nous annonce une «dedicated Land Drainage Authority» qui établira les priorités. En 2017, ladite Authority est décrite comme toujours «upcoming» et Rs 1,3 milliard de travaux de drains sont triomphalement annoncés pour les 3 années qui suivent. En 2018, c’est le National Environment Fund qui prend le relais sur 25 sites de travaux et l’on annonce l’acquisition d’un «high resolution and aerial 3D imagery Digital Elevation Model» pour actualiser la mappe nationale des zones inondables et pour préparer un «full-fledged Land Drainage Master Plan». En 2019, le discours du Budget nous indique encore quarante «high risk flood prone zones» et aligne Rs 650 millions de plus. En 2020, la facture pour les drains ira chercher encore Rs 1,2 milliard. L’an dernier, le ministre Padayachy n’y va pas de main morte et nous annonce… Rs 11,7 milliards de plus pour les 3 ans qui suivent.

«Ce qui me frappe, c’est combien on ne semble pas trouver nécessaire, comme un tout premier principe, de prendre l’initiative de rendre des comptes sur les dépenses publiques de manière transparente, à tout citoyen que cela intéresse !»

Je ne peux pas prétendre savoir ce que la Land Drainage Authority, qui semble être intégrée au sein de la NDU, a concrétisé comme réalisations au cours de ces dernières années car son site Web est vraiment chiche d’informations. On sait, par exemple, qu’il y a un Board de 13 membres et un Staff list de 4, mais il n’y a aucun renseignement sur les travaux complétés (nombre de kilomètres par projet, dimensions, coûts), les travaux en cours ou les travaux à venir ! Si l’on va à la Picture Gallery, on n’y trouvera aucune photo de drains, mais 30 photos de conférences et d’inaugurations diverses, ici même et à Rodrigues… Le ministre qui chapeaute tout cela, c’est le ministre des Infrastructures publiques, M. Bobby Hurreeram. On ne sait pas si c’est symptomatique du service ou si c’est de la modestie, mais la page dédiée à celui-ci est titrée : «About the Minister» et se résume à… sa photo, son nom et son titre, ce qui fait vraiment un peu court tout de même ! Ce qui me frappe, c’est combien on ne semble pas trouver nécessaire, comme un tout premier principe, de prendre l’initiative de rendre des comptes sur les dépenses publiques de manière transparente, à tout citoyen que cela intéresse ! Faut-il vraiment attendre le Public Accounts Committee ou le rapport de l’Audit ou les questions parlementaires ? Ne peut-on pas s’inspirer de ce qui se fait de manière admirable à Singapour (*), par exemple ? Est-ce vraiment trop demander ?

Quoi qu’il en soit, il faut sûrement se demander pourquoi un tel niveau de dépenses en drains n’a semble-t-il pas, matériellement, aidé à protéger le pays contre les inondations, même dans les régions où l’on a construit des drains comme à Vallée des Prêtres, Anse Jonchée (!), Vallée Pitot, la Place d’Armes ou Canal Dayot ? On nous dit qu’il ne pleut pas plus, mais peut-il plus intensément ? Est-ce que certains drains construits déplacent les problèmes plutôt que de les résoudre, un peu comme pour les Graded separator structures qui réorientent le trafic routier ailleurs ? L’indiscipline citoyenne qui bouche les drains est-elle cruciale ? Qui blâmer et quoi rectifier pour arrêter l’urbanisation anarchique qui aggrave le problème ?

«Pourquoi un tel niveau de dépenses en drains n’a semble-t-il pas, matériellement, aidé à protéger le pays contre les inondations, même dans les régions où l’on a construit des drains… ?»

Quelqu’un au gouvernement se sentirait-il l’obligation de tenter une réponse, puisqu’on dépense tant d’argent public à cet item et que l’on a le sentiment que «it is going down the drain» ?

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J’ai rencontré la semaine dernière un citoyen avisé qui se demandait s’il fallait stocker de l’huile et de la farine au vu de ce qui se passe en Ukraine. J’ai tenté de le rassurer en lui parlant du fait que la seule forme d’huile matériellement affectée par la guerre d’Ukraine est celle qui provient de l’héliotrope (fleur soleil) qui ne représente que 8 % de la consommation planétaire, même si 73 % de son commerce mondialement dépend des productions russe et ukrainienne. L’impact sur les prix du sunflower oil est évident. L’impact (moindre) sur les prix des huiles alternatives est clair aussi, la consommation se redirigeant vers l’huile de palme ou l’huile de soja. Il faut aussi noter que si la production ukrainienne va sûrement être affectée (mais pas disparaître !), celle de la Russie ne le sera pas et qu’au moins la Chine et l’Inde vont encore en profiter, ce qui réduira leur demande ailleurs au monde. Je n’ai pas trouvé de chiffres sur les stocks mondiaux d’huile de cuisson, attendant, par ailleurs, une réponse de l’USDA, mais ces stocks agissent aussi comme un tampon de sécurité pour plusieurs mois, bien sûr. Je lui ai conseillé donc de la patience et du calme.

C’était sans compter le communiqué intempestif du ministère du Commerce qui aura clairement déclenché la panique qu’il voulait apparemment… éviter ! Si les importateurs de marques étrangères et les fabricants locaux ont des stocks de ‘plusieurs mois’ et que des commandes sont par ailleurs déjà enclenchées, quelle pouvait bien être la justification pour inviter le grand public à n’acheter que deux litres à la fois ? Ne connaît-on pas assez le consommateur, y compris le Mauricien, pour ne pas réaliser qu’un tel communiqué allait déclencher des tactiques d’achat intempestives aussi ; chaque membre de la famille passant à la caisse à tour de rôle avec deux litres d’huile sous le bras, par exemple ? N’a-t-on pas vécu la crise artificielle des achats de papier cul au début de la pandémie ? Si le but était «d’encourager des achats raisonnables», comme le dit le PS du ministère, c’est, à l’évidence, raté et, à la réflexion, plutôt mal calculé ! D’autant plus que si les familles ne peuvent consommer 2 litres d’huile par jour (enfin, on l’espère !), les restaurants, les hôtels, les marchands de friture le peuvent et le doivent… Que prévoit-on dans ces cas ? Un changement diététique vers du «plus sain» ? Des badjias bouillis, peut-être ?

En tous les cas, rien de mieux que des communiqués du genre pour doper les ventes !

Quant au blé et à la farine, la Russie et l’Ukraine ne pèsent pas aussi lourd qu’elles ne le font pour l’héliotrope, représentant 25 % des exportations mondiales de blé, presque ¾ de ces volumes étant d’origine russe. On récolte en juillet et on ensemence en automne principalement. Clairement, il y a un effet sur les prix. Le prix du blé a augmenté de 28 % depuis le début de février, le maïs par 23 %, l’orge par 22 %. Cependant, l’approvisionnement de la farine locale est principalement assuré par la STC qui s’approvisionne chez les Moulins de la Concorde dont les fournisseurs de blé sont français et australiens. Le contrat actuel garantit l’approvisionnement pour l’année calendaire 2022. Donc jusqu’en décembre.

Mondialement, et avant l’opération de dénazification de Poutine en Ukraine, il était estimé que la consommation de blé serait de 790 millions de tonnes en 2021-22 et que les exportations seraient de 199 millions de tonnes, les stocks mondiaux se pointant à 283 millions de tonnes à juin 2022, soit l’équivalent de 17 mois d’exportations !

Donc, vraiment pas de quoi s’inquiéter pour le moment…

(*) https://app.pub.gov.sg/constructionprojects/pages/AllProjectListing.aspx