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La 3e guerre mondiale se prépare

16 février 2022, 09:00

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Annoncée comme le tête-à-tête diplomatique de la dernière chance avant que les manœuvres militaires ne prennent le relais, la rencontre entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine au Kremlin s’est déroulée autour d’une table en marbre blanc longue de quatre mètres, avec les deux dirigeants assis aux extrémités, l’un maintenu loin de l’autre, et, entre eux deux, un vide saisissant, beaucoup d’espace et de froid, visuellement, peut-être, davantage qu’il en existe sur Zoom. Le voyage de Macron n’a pas eu l’effet escompté de désescalade.

Poutine évite de s’approcher de ceux qui n’ont pas suivi le protocole sanitaire, comme Macron. Il préfère garder ses distances. Tant pis pour la diplomatie, les relations publiques ou les photos historiques.

Davantage que Xi Jinping, Poutine est sans doute le dirigeant politique qui fait monter la tension diplomatique à son paroxysme et qui fait résonner les bruits de bottes, en faisant valser les pays occidentaux dans tous les sens. Sur l’échiquier qu’il a placé cette fois-ci au beau milieu de l’Europe, le maître du Kremlin veut bien écouter (de loin), mais il ne consent à aucun compromis, aucune concession. Biden, Macron, Johnson, les responsables de l’UE ont tous essayé en vain de lui faire comprendre que le renforcement des forces russes en face de l’Ukraine et un éventuel engagement militaire seraient dévastateurs sur les plans humain et économique. Mais Poutine suit sa propre logique sur la crise ukrainienne. Elle est antérieure aux institutions postBretton Woods, à la naissance de l’Europe et de l’OTAN. Elle est anti-occidentale.

Dans un article de fond publié sur le site du Kremlin, en date du 12 juillet 2021, Poutine explique sa perspective historique par rapport à la crise entre la Russie et l’Ukraine. «Les Russes et les Ukrainiens sont du même peuple. Ces mots ne sont pas générés par des considérations court-termistes ou provoqués par la situation politique du moment», dit-il en préambule de l’article «On the Historical Unity of Russians and Ukrainians».

Le mur entre la Russie et l’Ukraine qui a émergé depuis ces dernières années est une tragédie de l’histoire contemporaine, avance Poutine. Il divise des espaces historiques et spirituels qui ont les mêmes origines. C’est notre faute commune si, au fil du temps, les Russes et les Ukrainiens en sont arrivés là, mais c’est aussi le fruit du travail de division de certains qui ne veulent pas promouvoir l’unité en dehors du système onusien, martèle Poutine. Décochant une flèche à l’OTAN, Poutine, qui compte sur le soutien de son homologue chinois, écrit : «There is nothing new here. Hence the attempts to play on the ‘national question’ and sow discord among people, the overarching goal being to divide and then to pit the parts of a single people against one another.»

Poutine fait appel à l’histoire précédant la fin de la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide pour mettre la crise ukrainienne en perspective, même si, dit-il, il s’avère impossible de revenir sur tout ce qui s’est passé durant le dernier millénaire. «Russians, Ukrainians, and Belarusians are all descendants of Ancient Rus, which was the largest state in Europe. Slavic and other tribes across the vast territory – from Ladoga, Novgorod, and Pskov to Kiev and Chernigov – were bound together by one language (which we now refer to as Old Russian), economic ties, the rule of the princes of the Rurik dynasty, and – after the baptism of Rus – the Orthodox faith. The spiritual choice made by St. Vladimir, who was both Prince of Novgorod and Grand Prince of Kiev, still largely determines our affinity today.

«The throne of Kiev held a dominant position in Ancient Rus. This had been the custom since the late 9th century. The Tale of Bygone Years captured for posterity the words of Oleg the Prophet about Kiev, “Let it be the mother of all Russian cities”.»

Revenant à l’histoire contemporaine, Poutine parle des années Gorbatchev et de la chute de l’ex-bloc soviétique comme d’événements fondateurs et non pas destructeurs : «When the USSR collapsed, many people in Russia and Ukraine sincerely believed and assumed that our close cultural, spiritual and economic ties would certainly last, as would the commonality of our people, who had always had a sense of unity at their core. However, events – at first gradually, and then more rapidly – started to move in a different direction.

In essence, Ukraine’s ruling circles decided to justify their country’s independence through the denial of its past, however, except for border issues. They began to mythologize and rewrite history, edit out everything that united us, and refer to the period when Ukraine was part of the Russian Empire and the Soviet Union as an occupation. The common tragedy of collectivization and famine of the early 1930s was portrayed as the genocide of the Ukrainian people.»

Poutine, 70 ans, ayant plus d’un quart de siècle au pouvoir, ne passe pas quatre chemins pour dire aux dirigeants occidentaux qu’il ne va pas reculer : la souveraineté de l’Ukraine doit ni plus ni moins se faire en partenariat avec la Russie. Car les liens du sang, qui vont au-delà des lignes frontalières, sont ancestraux et ont scellé les destins des deux pays. «Our kinship has been transmitted from generation to generation. It is in the hearts and the memory of people living in modern Russia and Ukraine, in the blood ties that unite millions of our families. (…) Today, these words may be perceived by some people with hostility. They can be interpreted in many possible ways. Yet, many people will hear me. And I will say one thing – Russia has never been and will never be “anti-Ukraine”. And what Ukraine will be – it is up to its citizens to decide.»

Ces derniers jours, le chef du Kremlin n’a pas pris la parole. Il garde le silence et continue d’envoyer des signaux contradictoires : d’une part, il est à l’écoute de la communauté internationale, de l’autre, il intensifie le déploiement des troupes russes à la frontière de l’Ukraine. Il n’a pas peur de perdre, car il joue sur son terrain. Et la Chine, qui s’échauffe en mer de Chine autour de Taïwan, n’attend qu’un signal de Poutine pour venir prêter main-forte. Ce n’est pas tant une guerre technologique qu’idéologique qui se dessine. Les Russes et les Chinois (qui ont désormais leur base militaire à Djibouti) veulent déplacer le centre stratégique du monde afin de renverser l’histoire et exposer les limites de l’économie libérale. La prochaine guerre risque d’être globalisée. L’Ukraine et Taïwan ne sont que des terrains d’affrontements. Les enjeux sont bien plus grands et les rancœurs bien plus anciennes.