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Ministres sans-gêne

6 janvier 2022, 09:16

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«Trankil», «lakaz mem», «pétar mem pann soné», «Mood pa bon», «Kamarad, vwazin, frontliners inn mor», «Nou an dey». Voici les réponses les plus courantes si vous demandez autour de vous comment les fêtes de fin d’année 2021 ont été vécues.

Le Covid-19 et ses contraintes nécessaires ont réinventé les styles de vie. Au nom de la solidarité nationale, nous nous sommes, pour la plupart, retenus et avons gardé nos masques et distances quand nous nous sommes réunis en nombre restreint. Bien sûr certains, dans l’intimité, se sont laissé aller, mais quand les vidéos fuitent, l’affaire privée devient publique. 

Il devient alors encore plus compliqué quand l’on est un personnage public censé donner le bon exemple. Ainsi, lorsqu’on instaure des règlements et fait voter des lois, la moindre des choses, c’est de les respecter. De par le monde, nombre de personnalités publiques, à cause de quelques minutes d’égarement, ont eu à démissionner de leur poste officiel de ministre afin de sauver l’honneur de leur gouvernement, dans une tentative de rétablir le contrat de confiance entre les dirigeants et les dirigés. Une confiance qui doit être absolue, fondamentale. 

Le 13 décembre 2014, après avoir soumis sa démission comme Premier ministre à la suite de sa défaite électorale, Navin Ramgoolam est passé du statut de PM – «accountable» au Parlement du peuple – à celui de simple citoyen, avec des droits semblables aux nôtres, dont celui du respect de sa vie privée. «La situation était tout autre en août 2014 quand nous avions décidé de publier des photos de lui en compagnie de la femme d’affaires Nandanee Soornack en train de danser. Nous faisions alors ressortir que, selon nous, l’atteinte à la vie privée pouvait être justifiée par la liberté d’information car elle était nécessaire à la compréhension d’un débat d’intérêt général, notamment sur les contrats d’Airway Coffee au nouvel aéroport et autres possibles liens d’affairisme d’État. C’est uniquement dans cette optique d’informer le public que nous avions publié une série de photos du Premier ministre et de Nandanee Soornack, alors que nous avons toujours refusé de rendre publiques les vidéos, qui sont en notre possession, malgré des invitations, à peine voilées, en ce sens provenant des adversaires politiques de Navin Ramgoolam», écrivions-nous alors. 

Danser, jour et nuit, sous les lumières scrutatrices du public a dû être lassant, surtout après neuf ans comme PM. «C’est ainsi que cela doit aussi être libérateur pour Navin Ramgoolam. Au final, Pamplemousses – Triolet, en l’épargnant d’aller chaque mardi au Parlement, lui a rendu sa liberté de voyager, de danser, sans rendre de compte à quiconque, certainement pas à ses mandants, encore moins à la presse…» 

*** 

Le bouche-à-oreille – le WhatsApp de l’époque – de chaque pays suit pas à pas les hommes et les femmes publics, qui sont payés par nous, et qui travaillent pour nous. Aucun endroit n’est safe pour eux. Notre ministre de la Santé l’a récemment appris à ses dépens, quand l’un de ses proches a choisi de «leak» une vidéo embarrassante – qui aurait eu un autre écho dans des démocraties qui se respectent. 

En Afrique, le Ghana demeure un exemple pour le continent, alors que nous, nous dégringolons allègrement des classements liés aux normes démocratiques. En juillet 2020, le Deputy Trade and Industry Minister Carlos Kingsley Ahenkorah n’a pas eu de choix que de soumettre sa démission pour avoir violé les mesures d’auto-isolement après avoir été testé positif au virus. À un moment où le Ghana enregistrait un fort taux de contamination et de décès, l’imprudence d’Ahenkorah n’a pas été tolérée. Le public en a pris bonne note et s’est ressaisi. 

Un peu plus tard, en Jordanie, le ministre de l’Intérieur Samir Mobeideen et celui de la Justice Bassam Talhouni ont dû démissionner après un dîner dans un restaurant qui ne respectait pas les restrictions imposées – lesquelles règles devaient être appliquées par leur propre ministère respectif. 

Un autre exemple du respect de l’électorat par un dirigeant nous est venu, en mars 2021, de la Norvège.

Erna Solberg, alors Première ministre, a dû présenter ses plates excuses à la suite des révélations embarrassantes. Sa famille et elle avaient enfreint les consignes anti-Covid dans ce pays soucieux de l’égalité devant la loi et qui, manifestement, ne tolère pas les ministres qui ne portent pas de masque comme Obeegadoo (surpris en train de faire ses emplettes sans masque en mars 2020 au Dream Price de Curepipe et son jogging sans masque en septembre 2021 à Trou-aux-Cerfs) et Jagutpal. «Je m’excuse que ma famille et moi ayons enfreint les règles anti-Covid, ça n’aurait jamais dû se produire. Nous aurions bien sûr dû respecter toutes les recommandations comme je vous demande de le faire», avait humblement écrit la cheffe du gouvernement dans une lettre ouverte aux Norvégiens. «Je pense particulièrement à tous ceux qui ont dû annuler des choses dont ils se réjouissaient, un anniversaire avec des camarades de classe, une fête avec des amis ou quelque chose d’autre d’important. Je comprends ceux qui sont en colère et déçus à cause de cela. J’ai fait une erreur et je tiens à m’en excuser.» 

Même si Solberg avait bien géré la crise sanitaire – notamment sans aucun scandale lié aux achats d’équipements ou de médicaments – le fait qu’elle et ses proches avaient violé une recommandation en se retrouvant à 14, soit quatre de plus que le nombre autorisé, pour déguster des sushis (à l’occasion de ses 60 ans) avait créé une polémique nationale là-bas… Car si la PM, avec des hordes de conseillers, ne comprend pas les règles, il serait insensé d’exiger que le Norvégien lambda y parvienne.

Plus récemment, en juin 2021, au pays de Sa Majesté, qui nous a légué notre Constitution/système de gouvernance, l’homologue de Kailesh Jagutpal, Matt Hancock, a eu à démissionner pour avoir enfreint les gestes barrières. Une caméra de surveillance du style Safe City (mais qui fonctionne comme il le faut), dont l’image a été arrachée par The Sun, l’a surpris en train d’embrasser une conseillère, à un moment où les accolades étaient interdites. La presse était unanime : le ministre de la Santé britannique a montré le mauvais exemple et a dû payer le prix cher. Dans sa note de démission, Matt Hancock souligne : «Nous nous devons d’être honnêtes envers les gens qui ont tant sacrifié pendant cette pandémie, quand nous les avons déçus comme je l’ai fait en enfreignant les consignes…» 

Comme Jagutpal, Hancock a fixé les règles. Mais contrairement à Jagutpal et à Obeegadoo, le Britannique a admis les avoir enfreints. Il est parti du gouvernement la tête haute, dans l’espoir de revenir en force ensuite. Comme Floyd Green, ministre de l’Agriculture en Jamaïque, qui a violé les règlements anti-Covid-19. Chez nous, les ministres mauriciens, eux, restent accrochés à leur maroquin, tête baissée, en tentant toujours de se justifier. Ils savent, sûrement, que s’ils prennent leurs distances de la source, ils ont tout à perdre. Adieu berlines et autres privilèges, emplois et contrats pour les proches…