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Avant qu’il ne soit trop tard

5 décembre 2021, 08:18

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«Perception is real, the truth is not» avait déclaré Imelda Marcos...

Le mythe de Faust, du moins dans la version de Goethe, décrit à l’origine le parcours d’un homme, coincé dans une quête existentielle qui ne le mène nulle part et qui, déçu, fait un pacte avec le diable : tous ses désirs seront assouvis si, une fois satisfait et heureux, il remet alors au diable, en échange, son âme. SON ÂME ! 

Dans son sens le plus large, un pacte faustien s’établit quand un individu ou un groupe est prêt à abandonner ses valeurs, ses convictions et ses principes ou, du moins à les rationaliser, à vendre son âme, quoi, à la recherche d’avantages, de fortune ou de pouvoir. 

Comment ne pas penser à Faust quand les débats sur l’IBA Act ont lieu au Parlement sans l’intervention chiffonnée de Steven Obeegadoo, de Rengaden Padayachy, d’Ivan Collendavelloo, de Kavy Ramano, d’Alan Ganoo, tous démocrates déclarés, tous hommes de ‘bien’. 

Méphistophélès rode-t-il encore ? 

Eh oui ! Puisque la loi liberticide a été votée ! Mais l’âme, c’est sûrement plutôt précieux ? Et si ça peut se vendre, ça doit pouvoir se racheter ? Avant qu’il ne soit trop tard ? 

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J’ai trouvé la lettre de Nikhita Obeegadoo, publiée par l’express ce mercredi, digne d’estime. Réagissant à la fake news qu’une fille du VPM avait obtenu un traitement de faveur à l’aéroport et ainsi évité la quarantaine, elle fait le point avec calme, mais avec panache, reconnaît que les abus de pouvoir et la corruption doivent être dénoncés, mais insiste, avec raison, qu’il faut au moins documenter ses accusations avant de ‘balancer son porc’. Elle souligne aussi que les proches de ministres ne sont pas toujours des extensions de ceux-ci et qu’ils devraient, a priori, être jugés indépendamment et sur les faits. Ce qui n’est que raisonnable, même si la norme locale établie est, par ailleurs, parlante. Elle eut mieux fait, cependant, de nous faire l’économie de sa prestation académique. 

Dans le sillage de l’IBA Act, elle aide à mettre en exergue les limites qu’il faut sûrement établir aux fausses nouvelles et à l’insulte gratuite, ce qui ne doit évidemment pas faire oublier l’atteinte à l’anonymat des sources de journalistes qui n’ont plus droit au silence (articles 30 (J) et 18(A)) ou à l’arbitraire désormais introduit sur les licences de radio. Ce qui est, pour sûr, impardonnable et indéfendable ! 

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Les bouches d’égout (manhole) se volent de partout. Trois dans mon morcellement ce dernier mois. Elles n’ont qu’une destination probable, mais on n’y cherche ou on n’y trouve jamais rien ! Pourquoi ? 

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«Perception is real, the truth is not» est une parmi les déclarations les plus croustillantes d’Imelda Marcos dans un documentaire sur elle-même, intitulé The Kingmaker. 

S’il est dit qu’un poisson est attrapé par sa propre bouche, dans le cas d’Imelda, elle ne paraît pas trop s’en faire, tant elle est imbue de ses prérogatives de première dame régnante. On peut d’ailleurs comprendre, sans approuver, une telle effronterie de quelqu’une qui possédait, sans gêne, 3 000 paires de chaussures et qui fut la moitié d’un couple qui avait pillé son pays de 5 à 10 milliards de dollars pendant les 21 ans où ils furent au pouvoir jusqu’en 1986.

En effet, le couple Marcos est dans le Guinness Book of Records pour le vol le plus important jamais fait aux dépens d’un gouvernement ! À ce stade, 4 milliards de dollars ont été séquestrés et retournés aux Philippines, ce qui aida Newsweek à écrire, en 2009, qu’Imelda Marcos (son mari, Ferdinand, est mort en 1989) était une des personnes vivantes les plus cupides de tous les temps. Elle acquiesça, confusément, comme ceci : «Je plaide coupable. Pour moi, la cupidité, c’est donner ! J’ai été première dame pendant plus de 20 ans et vous avez besoin d’être cupide d’abord pour pouvoir ensuite tout partager. C’est naturel. Les seules choses que l’on garde dans la vie sont celles que l’on a données.» Avant de décrire ses actes à la tête des Philippines aux côtés de son mari comme du «mothering» ! 

Elle a peut-être, en effet, ‘donné’ un peu. Seulement voilà, il est resté, comme ça, négligemment, quelques milliards de dollars dans les tiroirs personnels… Elle n’en a d’ailleurs pas fini avec sa soif de régner, semble-t-il, puisqu’une partie des fonds qui restent dans les 170 banques où elle dit encore détenir des comptes va sûrement aider à financer l’élection d’un des ‘tickets’ qui partira favori pour les prochaines présidentielles de mai 2022 et qui aura le fils d’Imelda, BongBong Marcos Jr comme candidat à la présidence et la fille de Duterte, Sara, comme viceprésidente ! Face à eux, dans le combat sans doute le plus difficile de sa carrière, un boxeur, Manny Pacquiao, un des plus grands du ring de tous les temps ! 

Cet exemple est à la fois notable et intéressant pour trois raisons. D’abord parce qu’il illustre à nouveau les perversions d’élections dynastiques, un expert ayant estimé qu’entre 70 et 90 % des postes électifs du pays ont été contrôlés par des familles d’influence, ces dernières décennies. Ensuite, parce que ce cas révèle à quel point les dynasties peuvent finir par se croire irremplaçables, d’autant que le ‘bon peuple‘ ne semble pas toujours avoir, ni le choix, ni l’envie, de faire différemment. Finalement , ce qui va se passer aux Philippines sera sans doute (revoyez la 1e citation d’Imelda Marcos, ci-dessus) une illustration en temps réel de la vacuité grandissante des propositions politiques et des débats démocratiques sérieux, l’important étant de faire les bonnes promesses (plutôt que de proposer ce qui est bon pour le pays) ; de façonner les bonnes ‘perceptions‘, bien plus que de parler ‘vrai’ ; de mobiliser charisme (quand possible…), célébrité et ‘messages’ (Viré Mam !) bien plus que réflexion et raisonnement, dans un monde où le mensonge et la vérité se font de plus en plus du coude-à-coude, à la faveur de l’Internet de tous les excès et des réseaux sociaux de tous les experts. 

Évidemment qu’il ne s’agit pas que des Philippines. Le ‘spin’ de Tony Blair n’est sûrement pas aussi cynique que le populisme éhonté et les ‘vérités alternatives’ de Donald Trump, mais partout au monde, on glisse, semble-t-il, vers plus de spectacularisation de la politique, vers plus d’émotivité, vers l’absolue nécessité de faire l’électeur feel good, en s’assurant qu’il se sente valorisé, entendu ou à défaut reconnu… Les victimes ? Les débats contradictoires, les propositions solides et transparentes, les valeurs, les principes, la vérité, ce qui favorise le pays et ses valeurs civilisationnelles (que reste t il des nôtres ?) plutôt qu’en fin de compte, le pouvoir et les coffres individuels… 

À Maurice, pour les élections de 2014, le MSM, parti majoritaire au sein de l’alliance Lepep, a promis de gouverner «… dans l’intérêt de toute la nation, pas pour nous, ni pour un petit groupe d’amis, d’agents politiques, de copains et de copines» et de faire voter la Freedom of Information Act et il s’est fait élire sur cette base, mais, à la place, l’on s’est retrouvé avec le Prosecution Commission Bill, qui voulait noyauter et contrôler le DPP, la modification de l’ICTA Act, promptement utilisé par ceux gravitant autour du pouvoir quand ils se sont sentis annoyed, des nominations politiques à l’Electoral Supervisory Commission, un népotisme abasourdissant et et maintenant, la modification de l’IBA Act, qui donne au pouvoir la possibilité de discipliner les radios ‘trop libres’. 

Dans la panoplie du parfait dictateur, nous n’en sommes, il est vrai, qu’aux premières gammes. Nous n’en sommes pas encore à l’élimination mystérieuse des adversaires, aux prisonniers politiques que l’on waterboard ou à la fermeture d’ONG ou de médias au motif qu’ils sont des agents de ‘forces étrangères’. Mais la voie prise est claire et il est urgent d’en prendre conscience et d’agir tôt avant que l’engrenage ne devienne irréversible. 

Car, dans le parcours établi de toutes les dictatures du monde, de Ghadafi à Ceausescu, de Saddam Hussein à Amin Dada, il arrive un moment où l’on passe le Rubicon et que le pouvoir en fait trop pour ne pouvoir alors jamais reculer. Pire, il en fait alors trop au point où il ne peut, dès lors, qu’en faire plus ! 

Il ne faut absolument pas que nous en arrivions là et seuls les hommes et les femmes de conscience dans la société civile, au sein des syndicats et de l’opposition, mais aussi à l’intérieur de l’appareil d’État lui-même, pourront faire et feront la différence. Avant qu’il ne soit trop tard…