Publicité

Dialogue public-privé

21 juillet 2021, 07:39

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Le récent lancement du Public-Private Sector Dialogue s’insère dans une culture du dialogue bien établie et d’une longue tradition d’écoute qui s’est perpétuée depuis l’indépendance du pays. Le dialogue public-privé à Maurice doit sa réussite à l’existence d’institutions démocratiques bien enracinées. Un environnement institutionnel favorable que promeut l’état de droit, constitué par la séparation des pouvoirs et la garantie des droits de propriété, est essentiel à un dialogue structuré et équilibré, sincère et durable, fécond et fructueux, entre les élites politiques, l’administration publique et la communauté des affaires.

La pratique du dialogue public-privé ne saurait aller de soi. C’est un instrument au maniement complexe dont il ne faut ni surestimer les gains ni minimiser les difficultés. Un équilibre instable est à trouver entre préserver l’intégrité et l’autonomie des acteurs et assurer un niveau optimal d’interaction constitutif d’un vrai dialogue. Seront dans une symbiose efficace un gouvernement qui s’appuie sur les entreprises pour mettre en oeuvre ses politiques économiques, un secteur privé qui oriente les règles du jeu en faveur d’un cadre propice aux affaires, et une bureaucratie publique qui agit comme facilitateur et stratège du développement économique.

Dialoguer vaut mieux que bayer aux corneilles dans le présent contexte politico-institutionnel : une démocratie électorale (multipartisme, élections libres) n’est pas un gage de réussite du dialogue entre l’État et les milieux d’affaires, mais au contraire elle peut y faire pièce avec les résistances socio-politiques aux réformes dont l’horizon temporel est plus long que celui d’un gouvernement. C’est plutôt par la démocratie institutionnelle que ce dernier gagne en crédibilité, et le dialogue public-privé lui permet d’asseoir sa légitimité.

Le patronat aussi ne peut se passer d’une telle concertation. Entre les boursicoteurs qui jouent du violon sur le Titanic et les opérations offshore qui font de l’esclandre, les capitaines d’industrie ne doivent pas tomber en pâmoison devant «the Mauritius economy of care and love» théorisée par le paléomarxiste Lord Desai. Si les problématiques de gouvernance et d’investissement du secteur privé s’imposent comme des priorités, le dialogue est un moyen de promouvoir la transparence et la prévisibilité, de circonscrire le rôle de l’État dans l’économie selon un principe de subsidiarité, c’est-à-dire de ne lui assigner que des missions que les firmes privées ne pourraient remplir avec la même efficacité.

Associer le secteur privé au processus de conception et d’application des politiques publiques comporte cependant des coûts de transaction qui sont dus à des asymétries d’information : autant il est trop coûteux pour le gouvernement d’avoir une mesure complète des performances des entreprises (qui peuvent tricher pour justifier les subventions publiques qui leur sont accordées), autant il est impossible aux patrons de faire respecter les engagements pris par l’État, qui est à la fois arbitre, juge et partie.

Dès lors, on peut comprendre, par la théorie des jeux, pourquoi la relation entre les deux joueurs que sont l’État et le secteur privé est susceptible d’être non-coopérative mais stable (l’équilibre de Nash), la meilleure stratégie individuelle de chaque partie étant d’adopter réciproquement un comportement opportuniste. S’ouvre alors un cercle vicieux d’incompréhension et de méfiance. Pour le briser, l’intervention d’un médiateur indépendant peut être nécessaire afin d’engager une dynamique de dialogue qui aboutit à une saine coopération entre l’État et le secteur privé – un équilibre coopératif par le biais duquel on se rapproche d’un optimum social (aucun des deux partenaires n’est lésé par rapport à la situation prévalant en équilibre non-coopératif). C’est par un dialogue suivi et approfondi que se noue une relation de confiance.

Il convient d’éviter que cette plateforme ne soit monopolisée par une poignée de lobbies d’autant plus puissants qu’ils contrôlent les secteurs clés de l’économie et exercent une grande influence sur les décisions gouvernementales. Ce risque de dérive de l’interaction public-privé tient aux paradoxes de l’action collective mis en lumière par Mancur Olson : les bénéfices que les participants attendent d’une action collective, s’ils ne sont pas des incitations idoines, sont trop dispersés pour y motiver leur participation.

Ainsi, les seules actions collectives qui mobilisent sont celles dirigées vers la recherche de «selective incentives » qui, pour Olson, renvoient à la notion de rente, aux privilèges que s’octroient certains groupes du fait de leur positionnement dans l’économie nationale ou de leur proximité aux décideurs politiques. Or il importe que le dialogue public-privé ne soit pas dévoyé par une capture de l’État qui le transforme en processus de distribution de rentes. Qu’il soit plutôt un avantage spécifique pour mieux gouverner.