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Convergences et panthéon

9 juin 2021, 07:23

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Quand il quitte Lady Sarojini, sa famille et sa demeure à La Caverne, hier à 10 h 11, sir Anerood n’appartient plus à ses proches. Il rentre dans une autre dimension, dans la légende qui prend le relais du personnage privé. Ce dernier est attendu. Sa dépouille, gardée par les paramilitaires, s’en va à la rencontre des milliers de Mauriciens, qui, fleurs à la main, ou maintes jointes pour un dernier adieu, ou recueillement, veulent un bout de l’histoire qui s’écrit.

Chaque arrêt du dernier trajet du mortel est un symbole qui raconte une facette du personnage : Palma, c’est son enfance difficile, à travailler la terre et labourer les champs, avant d’aller à l’école, souvent les pieds nus ; la Cybercité d’Ébène qu’il avait imaginée en récupérant les terres de l’industrie sucrière, pour maintenir la transformation de l’économie ; la State House où il s’était réfugié, en 2003, après avoir passé les rênes du Prime Minister’s Office à Paul Bérenger, et qu’il a quittée à nouveau en 2012 pour se jeter dans l’arène politique afin de venger son fils contre Navin Ramgoolam ; le Sun Trust, QG du MSM, bâti avec l’argent opaque provenant du financement politique ; la Cour suprême pour rappeler sa carrière de jeune avocat qui deviendra magistrat avant de démissionner pour faire de la politique active ; l’hôtel du gouvernement où il a longtemps régné, six fois en tant que PM (de 1982 à 1995, 2000-2003, 2014-2017) ; Piton–Rivière-du-Rempart, la circonscription no 7 qu’il n’a jamais abandonnée envers et contre tous; et finalement le jardin de Pamplemousses, devenu le panthéon (endroit qui désigne «l’ensemble des dieux» ou des hommes et des femmes qui ont compté pour un pays) des PM mauriciens, où SAJ aura un illustre voisin, SSR, le père de la nation, qu’il connaît bien puisqu’il a servi en tant que ministre de l’État pour le développement (1963-1966), avant de le combattre en politique et de le chasser du pouvoir en 1982, après le premier 60-0 de l’histoire politique.

Conseiller de village, enseignant, président de village, Bissoondoyaliste puis l’un des fondateurs du All Mauritius Hindu Congress, député, ministre, Premier ministre, président de la République, ministre mentor, père de Premier ministre, SAJ est une légende politique qui va perdurer. Il a mis tellement d’énergie à conquérir le pouvoir, à le perdre, à le reconquérir qu’il est devenu l’architecte d’un destin sans équivalent. C’est bien la première fois que l’Inde accorde un deuil national en hommage à un Mauricien. Normalement, c’est l’inverse. C’est tout dire.

Si SAJ est devenu une légende transnationale, on ne devrait pas faire abstraction de ses faiblesses ou de ses défaites, comme chacun d’entre nous nous avons les faiblesses de nos qualités et la force de nos défauts. Nul n’est parfait, même si quand on s’en va dans l’au-delà, on oublie l’ombre pour ne retenir que la lumière.

À cet égard, saluons les propos dignes des membres de l’opposition qui ont reconnu l’immense contribution de sir Anerood dans le développement, économique surtout, de Maurice. De Navin Ramgoolam à Xavier Duval, en passant par Paul Bérenger, tous ont regretté sa disparition et n’ont dit que du bien sur lui. Que c’est rare et agréable à entendre. Nettement mieux que les insultes usuelles.

Est-ce la preuve que, si on met nos petitesses insulaires ou claniques derrière nous pour nous ériger en politiciens responsables et adultes, un front commun des différentes tendances politiques s’avère possible ? Surtout à un moment où l’économie se trouve dans une impasse comparable à 1982, quand SAJ avait pris le relais de SSR ?

La longue séquence d’hommages à SAJ est-elle une trêve politique qui ne va pas durer ?

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On le disait, deux semaines de cela : le boom économique des années 80, sous le primeministership de fer de sir Anerood Jugnauth, a fait que Maurice a souvent été cité en (bon) exemple en Afrique.

Mais aujourd’hui, tous les patriotes ne peuvent que mesurer l’aggravation simultanée des inégalités. Les équilibres sociaux chancellent. La marche triomphante du progrès mauricien prend des allures d’un vaste malentendu, comme si Meade et Naipaul avaient raison. Mais si Sithanen, Duval, Bérenger, Ramgoolam aidaient le fils de SAJ et Renganaden Padayachy à présenter un véritable Budget de rupture qui proposerait de nouveaux piliers productifs, ne serait-ce pas bien pour le pays ?

Et au panthéon de Pamplemousses, non seulement SAJ, mais SSR aussi serait fier de la synergie mauricienne. Leur héritage serait encore plus solide. Le pays aussi.