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AstraZeneca : au cœur de la géostratégie et du turbo-capitalisme

17 mars 2021, 07:40

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Devrait-on faire confiance au vaccin AstraZeneca/Covishield jusqu’à preuve du contraire ? Ou devrait-on, nous aussi, suspendre les injections du vaccin suédo-britannique, d’origine indienne, que nous avons reçu en cadeau et que nous injectons ces temps-ci aux Mauriciens ? Cette méfiance vaccinale est ô combien délicate en raison de l’urgence sanitaire et économique et du contexte géostratégique.

Dans notre pays, où nos autorités mauriciennes ne sont même pas capables de distinguer un variant du Covid-19 d’un autre, ou d’imposer la quarantaine sans faire des exceptions, il importe que nous nous interrogions sur l’important débat international qui fait rage autour d’AstraZeneca, sur les différentes doses et cargaisons fabriquées et exportées, sans perdre de vue les contextes scientifique, politique – et géostratégique.

Il s’agit, ni plus ni moins, d’une lourde question éthique, tactique, de vie ou de mort, d’une décision difficile à prendre en l’absence de toutes les données scientifiques. Il s’agit par ailleurs d’un enjeu qui dépasse la santé publique et la survie économique et qui s’inscrit dans le capitalisme outrancier des multinationales pharmaceutiques, engagées dans une lutte sans merci sur l’autel du turbo-capitalisme ; cette forme de capitalisme moderne, dont les principes sont poussés à l’extrême, qui dépassent l’OMS, ou, de bien loin, nos petits experts mauriciens, comme le trio Gaud-Jagutpal-Joomaye, qui balbutie sur les vagues de la mondialisation et de la diplomatie du vaccin.

1) Voyons les faits qui sont dans le domaine public d’abord

Quel vaccin pour les Mauriciens ? Tout le monde est d’accord que pour vaincre la pandémie et pour ouvrir les frontières, il nous faut des vaccins. Mais lequel ou lesquels choisir ? Les moins chers ou les plus efficaces ou encore les moins controversés, dont ceux d’AstraZeneca fabriqués par le Serum Institute of India, ceux de la Russie ou de la Chine, ou ceux des multinationales comme Moderna ou BioNTech, Pfizer, GlaxoSmithKline, Merck et Sanofi, qui ont des agents bien placés dans les sphères du pou- voir ? Qui fait le choix à Maurice, d’autant qu’on a pris pas mal de retard à cause de la valse-hésitation de nos experts locaux, qui, endormis par les discours émanant du PMO, pensaient à tort qu’on était Covid-safe, après avoir été Covid-free ? Est-ce un agent politique tentant de faire du profiteering ? Pourtant, toutes les puissances du monde et les laboratoires hi-tech se sont lancés depuis début 2020 dans la course aux vaccins anti-Covid, comme jadis c’était la course à la conquête de l’espace ou celle à l’énergie nucléaire...

Et quid d’AstraZeneca ? Le vaccin suédo-britannique, Made in India, réceptionné par le Premier ministre et une dizaine de ses ministres à Plaisance, don du gouvernement de Modi qui veut faire de l’Inde «la plus grande pharmacie du monde», est aujourd’hui mis à l’index, sur le principe de «précaution» par une douzaine de pays. Alors que les Mauriciens font la queue, souvent sous le soleil, pour se faire injecter la première dose d’AstraZeneca, et alors que la campagne de vaccination reprend, il est nécessaire d’enlever le doute distillé par les actualités internationales qui font les choux gras de la presse mondiale, en raison du caractère géostratégique du dossier. C’est l’Autriche qui a lancé le mouvement le 8 mars, en stoppant l’utilisation d’un lot de vaccins d’AstraZeneca après la mort d’une infirmière. D’autres pays de l’Europe ont vite suivi : le Danemark, la Norvège, l’Islande ou encore les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, et tout dernièrement la France, pays qui a formé bon nombre de nos médecins. Hors d’Europe, la République démocratique du Congo, l’Indonésie et la Thaïlande sont de ceux qui ont aussi choisi de reporter leur campagne de vaccination, malgré les recommandations de l’OMS de poursuivre la vaccination, «parce que les risques de ne pas vacciner sont plus graves que les risques de vacciner, à ce stade».

«Nous ne voulons pas que les gens paniquent et, pour le moment, nous recommandons que les pays continuent de vacciner avec AstraZeneca», a déclaré la chef scientifique de l’OMS, Soumya Swaminathan, au cours d’une conférence de presse à Genève.

Notons que la France et d’autres pays, nonobstant l’OMS, attendent, eux, un avis imminent de l’Agence européenne des médicaments (AEM) pour déterminer si oui ou non le vaccin d’AstraZeneca, ou certaines cargaisons du vaccin, serai(en)t responsable(s) de la formation de caillots de sang, comme effets secondaires, chez des personnes vaccinées en Europe. L’AEM reconnaît, toutefois, qu’il n’y a pour l’heure «aucun lien avéré» entre les effets secondaires mis en avant et le vaccin d’AstraZeneca, mis à part «l’enchaînement chronologique». Le ministre de la Santé de la France, Olivier Véran, a affirmé que le risque de caillots sanguins n’était statistiquement pas plus fort chez les patients vaccinés avec AstraZeneca que chez les autres. Pour autant, avait-il ajouté, «chaque dossier est analysé» pour déterminer s’il existe «un lien de causalité».

Face aux inquiétudes grandissantes, AstraZeneca a bien entendu réagi : «Environ 17 millions de personnes dans l’Union européenne et au Royaume-Uni ont maintenant reçu notre vaccin, et le nombre de cas de caillots sanguins signalés dans ce groupe est inférieur – 37 cas – aux centaines de cas auxquels on pourrait s’attendre dans la population générale.» L’examen de ces données «n’a apporté aucune preuve d’un risque accru d’embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde ou de thrombocytopénie». Mais pour beaucoup, c’est normal qu’AstraZeneca dise cela. C’est dire la méfiance instillée et distillée de part et d’autre. Le professeur Sir David Spiegelhalter, expert en analyse des risques à Cambridge University (université considérée comme la rivale d’Oxford qui a mis au point AstraZeneca), est pour la poursuite des vaccinations : «The precautionary principle favours inaction as a way of reducing risk. But the problem is that these are not normal times and inaction can be more risky than action (…) Sometimes it can be harmful to wait for certainty. Not vaccinating people will cost lives.»

2 - Le contexte local est affligeant

Les commandes passées au petit bonheur (des amis et proches des ministres) durant le premier confinement, sous le mécanisme obscur de l’Emergency Procurement, prouvent que la santé publique à Maurice souffre d’un déficit de transparence, de politique ou de sens du long terme, des plans préparés à l’avance et des stocks stratégiques. L’impréparation mauricienne peut être mesurée en comparant l’énormité des milliards dépensés avec les sommes, infiniment moins exorbitantes, qui auraient dû être consacrées à anticiper les risques pour les atténuer.

L’autre lacune du pays est d’ordre de la recherche scientifique. Sur qui comptons-nous ici pour mener des recherches médicales ? Quelle est la part du PIB consacrée à la recherche ? Qui parmi nos chercheurs publient dans les revues spécialisées ? Sur les pays amis qui ont chacun leur vaccin et leur expertise à nous vendre ?

Ces échecs sont en majeure partie responsables de la précarité de notre stratégie vaccinale défaillante. Ces manquements illustrent, s’il le fallait, les symboles de l’affaissement de notre leadership (politique et scientifique). Vient s’ajouter à nos failles un affairisme dérangeant, affublé d’un népotisme tiers-mondiste.

3 - Et puis il y a la géostratégie

Nos anciens colonisateurs, les Britanniques, se sachant en dehors de l’Union européenne, avaient estimé qu’il fallait rapidement développer et distribuer le vaccin AstraZeneca, avec l’aide de l’Inde (où la main-d’œuvre demeure abondante, pointue et peu chère) pour ne pas être dépassés ou engloutis par la commande européenne et la demande mondiale.

C’est d’ailleurs aussi en ce sens que le régulateur britannique a autorisé beaucoup plus tôt que l’Union européenne le vaccin AstraZeneca. À cet égard, si le gouvernement de Boris Johnson a assuré que c’était grâce au Brexit qu’il a pu aller plus vite que ses pairs, il s’est en réalité appuyé sur un règlement européen qui permet aux États membres d’utiliser en urgence un traitement pas encore approuvé par les instances européennes...

Si le Brexit demeure un argument politique, nous avons l’impression que les Européens semblent avoir adopté une stratégie de riposte anti-AstraZeneca. Deux considérations, ici, sont à considérer.

La première considération : puisque les Britanniques sont hors d’Europe, il pourrait y avoir une coalition de forces contre le Royaume-Uni et donc le discrédit d’AstraZeneca – afin de justifier le projet européen et de démentir le Brexit.

La deuxième considération : une guerre entre les géants traditionnels de l’industrie pharmaceutique qui jouissent d’un pouvoir oligopolistique dans la production de produits depuis des lustres aux dépens des pays émergents avec un avantage concurrentiel.

Dans plusieurs pays européens, les prix des produits pharmaceutiques aux États-Unis et au Canada sont astronomiquement élevés. Les gens font faillite pour se payer des soins de santé. L’Inde a mis AstraZeneca sur le marché mondial à des prix relativement bas et a même distribué gratuitement à plusieurs pays des millions de vaccins, dont chez nous à Maurice. Cette distribution gratuite, qui souvent précède une vente, est une perte de profits pour les producteurs géants traditionnels. En outre, les bas prix pratiqués par l’Inde projettent une image négative des Big Pharma. Il y a clairement une perte massive de parts de marché encourue par eux. Les perspectives de réaliser des profits très élevés avec le vaccin se sont estompées.

Les productions pharmaceutiques ont toujours été une activité très lucrative – au profit des pays avancés. Leurs survivants sont menacés. Récemment, il y a eu des allégations sur l’efficacité du vaccin Johnson & Johnson. D’une manière ou d’une autre, la nouvelle est apparue et a été soudainement enterrée. La campagne anti-AstraZeneca, durable et orchestrée, semble être celle qui vise à supprimer l’émergence de nouveaux acteurs dans l’industrie.

Personne n’est en mesure de vérifier si les très rares per- sonnes qui auraient souffert de caillots sanguins sont vraies ou «fake». Après tout, chaque vaccin pourrait causer la mort de personnes sur des dizaines de millions de personnes en raison d’autres événements médicaux qui n’ont rien à voir avec le vaccin lui-même, selon plus d’un expert.

À voir l’acharnement des chaînes européennes, hormis celles de la Grande-Bretagne, on dirait bien que l’Europe est sur le pied de guerre. La puissante industrie pharmaceutique en Occident est l’une des rares à être plus puissantes que de nombreux gouvernements d’Europe et d’Amérique du Nord. Les Européens et les Nord-Américains ont foiré leurs économies. Ils ont érigé toutes les formes de barrières commerciales en réponse à la montée en puissance de la Chine. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que les Européens, étant déjà dans un état désastreux, laissent échapper une grande opportunité commerciale – d’autant qu’AstraZeneca, inondée de commandes, n’arrive pas à honorer ses commandes et que les Big Pharma ont rattrapé leur retard de fabrication ! On parle ici de milliers de milliards de dollars, bien bien loin des petits trafiquants insulaires qui s’enrichissent sur des masques et des respirateurs au détriment du contribuable mauricien...

Au final, quoi qu’en décide l’Europe ou l’OMS, c’est celui qui aura atteint l’immunité qui pourra éventuellement ouvrir ses frontières et se reconnecter à l’économie mondialisée.

À cet inquiétant égard, l’on a déjà un sacré retard sur les Seychelles (92 doses pour 100; 63,6 % ‘got at least 1 shot’, 28,2 % ‘fully vaccinated’) et les Maldives (57 doses injectées sur chaque 100 personnes ; 57,2 % de la population) et notre stratégie vaccinale n’est pas encore aboutie… à cause de nos manquements et des tribulations d’AstraZeneca.