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Nos soldats de la vérité

19 décembre 2020, 07:29

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Monsieur le commissaire de police, comment faire preuve de retenue quand il devient de plus en plus évident que pratiquement tout a été (ou est) mis en oeuvre pour maquiller un meurtre ou un assassinat en suicide ? Comment ne pas s’inquiéter quand un de vos policiers refuse de consigner une déposition susceptible de faire la lumière sur une mort suspecte parce qu’il y a des personnalités politiques qui sont impliquées ? Comment est-ce possible que ce policier informe ensuite son chef hiérarchique qui lui aussi choisit de mett dilwil dan zorey alors que l’on parle de mort d’homme ? Comment tolérer que vos Scene of Crime Officers n’ont pas passé plus de 40 minutes dans le champ de canne où le corps de Kistnen a été retrouvé et que ce sont la presse, des avocats et les proches du défunt qui ont découvert d’autres indices précieux à l’avancement de l’enquête ? 

Comment accepter toutes ces versions contradictoires de vos officiers sur les images manquantes du réseau Safe City qui nous a coûté Rs 19 milliards ? Est-ce vrai que la Major Crime and Investigation Team (MCIT) a menacé un témoin pour dévier l’enquête ? Monsieur le commissaire de police, contre l’omerta et un système mafieux qui a pris l’appareil d’État en otage, notre société dispose de trois antidotes : la justice, la vérité des faits et l’opinion publique, qui est souvent considérée comme un gyrophare, surtout quand les puissants veulent étouffer une affaire, en utilisant les institutions de l’État ? 

Dites-nous : comment réagissez-vous au fait que le Premier ministre ait publiquement fait savoir qu’il a mené sa propre enquête sur la mort suspecte de Kistnen et qu’il a trouvé son ministre innocent ? Le Premier ministre, que vous rencontrez au quotidien ou presque, vous a-t-il confié comment il a mené son enquête ? Est-il formé pour cela ? Sur la base de quels éléments s’est-il basé ? A-t-il pu, lui, consulter les images de Safe City avant qu’elles ne disparaissent ? A-t-il des informations que la magistrate de l’enquête judiciaire n’a pas ? A-t-il mené une enquête parallèle à celle de la police, ou se base-t-il sur la première enquête qui avait conclu au suicide, nonobstant l’overdose de péthidine dans le corps de Kistnen ? Cette enquête parallèle, le PM l’a-t-il menée seul, ou avec ses conseillers Appadoo, Arian et Seetaram ? Ont-ils interrogé des témoins eux aussi ? Si oui, lesquels ? Ont-ils eu accès aux relevés téléphoniques de Yogida Sawmynaden et de Kistnen ; ce faisant, le PM a-t-il vu qu’il est lui-même de ceux qui étaient en contact téléphonique avec le défunt Kistnen, et qu’il pourrait, lui aussi, être appelé à témoigner dans le cadre de l’enquête judiciaire ? 

En tant que commissaire de police, pensez-vous que le PM risque de commettre un outrage à la cour, ou une entrave à l’enquête policière ? En parlez-vous lors de votre briefing… ou est-ce un sujet que vous évitez par principe ou pour éviter tout conflit d’intérêts ? 

*** 

L’enquête judiciaire sur la mort suspecte de Soopramanien Kistnen, ouverte par le DPP, véritable boîte de Pandore qui apporte chaque jour son lot de révélations sur les dysfonctionnements de notre pays, sera en veilleuse jusqu’au 15 janvier. Il y a tellement d’éléments, tantôt contradictoires, tantôt manquants, que la magistrate et les avocats doivent étudier. Cette interruption va permettre au public de reprendre son souffle et au gouvernement de reprendre un peu le contrôle des événements avec une MBC qui a tenté tant bien que mal de ne pas faire grand cas de l’enquête judiciaire. Outre les avocats qui travaillent pro bono pour que la vérité éclate, malgré les menaces à peine voilées contre eux, il convient de saluer le travail de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath et du représentant du bureau du DPP, Me Azam Neerooa – qui soulignent l’importance d’avoir des juristes, agissant à la manière des juges d’instruction d’ailleurs, pour encadrer les policiers dans les enquêtes criminelles… Les documents qui ont été réclamés en cour, dont la liste de tous les contrats publics octroyés par la STC depuis octobre 2019, s’inscrivent, eux, dans une culture de transparence qui fait cruellement défaut chez nous. Pour toutes ces raisons, il nous faut veiller à la sécurité des avocats et de la magistrate, et de nos journalistes, qui sont de véritables soldats de la vérité, contre qui la mafia va tout tenter… d’ici le 15 janvier.