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Voulez-vous vivre ensemble ?

24 octobre 2020, 07:25

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Cette question, simple en apparence seulement, me remonte à l’esprit en prenant connaissance de la décapitation de Samuel Paty, un enseignant d’histoire en France qui donnait aussi des cours sur la liberté d’expression et qui, ce faisant, a montré à ses élèves des caricatures de Mahomet. 

Parfois, dans l’histoire de l’humanité, on a répondu «Non» à cette question et ça s’est donc invariablement terminé dans de la discrimination officialisée*, des «nettoyages», des pogroms, des pillages, des bains de sang, des chambres à gaz. Cette réponse négative a, par ailleurs, toujours été l’expression d’un rapport de force inégal ayant souvent été évoquée, ne serait-ce qu’implicitement, dans la recherche d’un prétexte soit pour dominer l’«autre» ou pour faire oublier, pensez Hitler, ses propres insuffisances ou ses propres ambitions de chef. 

On ne cesse, par ailleurs, d’être étonné en lisant l’histoire d’apprendre à quel point ce refus de vivre avec l’autre a souvent été motivé par le simple désir d’exproprier l’autre et d’accéder à ses biens. Lors de l’inquisition, par exemple, le roi Ferdinand II pensait que le meilleur moyen de financer sa guerre contre les musulmans qui restaient encore dans la péninsule Ibérique était de saisir les avoirs des conversos, que l’on s’arrangeait à faire condamner, en amont, comme hérétiques, bien sûr. Les conquistadors en Amérique centrale ou au Pérou, les pionniers qui ont conquis l’Ouest américain, les Anglais qui décimèrent les Aborigènes en Australie, les Moghols, les Mongols, les Japonais en Mandchourie, l’Empire romain, les éleveurs de moutons argentins débarquant à Tierra Del Fuego, la colonisation, c’est quoi d’autre que le besoin ou le désir de dominer l’autre et, une fois en position de force, de le piller à son avantage ? 

La décapitation de Samuel Paty ne tombe pas dans ce schéma pour la bonne raison que nous ne parlons pas ici de conquête et de loi du plus fort, mais d’individus qui, non contents de ce qui se passe chez eux, fuient leur milieu, souvent au prix de grands sacrifices personnels, pour s’installer dans un pays qu’ils croient être meilleur du point de vue de la sécurité, du confort matériel, des libertés, peu importe. Ils y vont parce qu’ils veulent améliorer leur sort. 

Si ce n’est pas le cas, ils peuvent toujours retourner chez eux, mais s’ils restent, cela coule de source qu’ils ont trouvé une «amélioration». Nous avons tous, originellement, des ancêtres venus à Maurice pour les mêmes raisons, d’ailleurs, sauf s’ils étaient esclaves. Se pose alors la question en titre : est-il possible de vivre en paix avec les autres, et dans ce cas ses hôtes, si on n’a qu’une idée qui est celle de leur imposer sa façon de voir, sa culture, ses convictions ; traits qui, pourtant, n’auront pas été d’un apport suffisamment solide, au départ, pour pouvoir rester, heureux, dans son pays d’origine ? 

La réponse me paraît évidente. Quand on émigre, on n’a pas le droit d’en imposer à ses hôtes. Il faut s’adapter. Il faut se fondre dans la nouvelle société qu’on intègre et garder ses croyances et ses pratiques différentes pour l’intimité de son foyer. Insister pour imposer ses convictions, y compris vestimentaires, que l’on soit juif orthodoxe, punk ou musulman wahhabite, à ceux qui vous offrent, libéralement, une citoyenneté d’aspiration égalitaire, me semble être une recette pour la faillite. Et la façon la plus rapide, en passant, de gonfler les Le Pen, les Orban, les Trump, les Weidel de ce monde. 

L’histoire nous aura, par ailleurs, toujours démontré combien il faut se méfier de ceux qui s’imposent aux autres, surtout violemment, au nom de Dieu qui, embarrassé sans doute, n’intervient d’ailleurs pas. Du moins directement. Et si ce n’était pas ce jeune tchétchène de 18 ans, assassin de Paty, qui était reçu au paradis, mais plutôt Paty lui-même ? Cela étonnerait peu, car la violence ne sera jamais une réponse humainement admissible, sauf pour ceux qui ne veulent pas du vivre ensemble. D’autant que maintenant les Tchétchènes et plus généralement les musulmans, dans leur très grande majorité raisonnables, vont encore plus maintenant susciter des préjugés, des a priori et de la méfiance de leurs hôtes… L’histoire nous aura aussi appris à quel point il est dangereux de faire l’amalgame, d’extrapoler à partir d’un acte, de condamner en bloc une communauté ou une religion, comme Mélenchon l’a fait, mais personne ne s’étonnera désormais si la vigilance de l’État se renforce à propos d’individus en marge et si des mesures longtemps repoussées au nom de la tolérance, de la diplomatie ou du politiquement correct sont maintenant activées avec plus de ferveur et de diligence ! 

Ainsi va la logique du monde. Le geste fatal d’un mal adapté va maintenant en coûter à ceux, eux mieux adaptés, à divers degrés, que l’on va, inévitablement, mettre dans le même sac. 

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Dans notre pays, nous avons souvent été décrits comme un «miracle de coexistence pacifique». Bien évidemment qu’il y a du communalisme, des «protections» offertes sur base ethnique, des calculs de politiciens basés sur des morcellements religieux, castéistes ou autres, mais en fin de compte, la réponse à la question en titre est clairement, à quelques dérives près, «Oui !»

La preuve en est amplement faite en constatant les mariages mixtes, en appréciant le caractère transfrontalier et le métissage de nos cuisines diverses, en vivant, au premier degré, l’élan mauricianiste qui fouette le sang aux Jeux des îles ou lors d’une après-midi de 29 août à Port-Louis ou sur la question des Chagos. Dans l’édition spéciale de l’express du 12 mars 2008, un sondage scientifique notait d’ailleurs que 91 % des Mauriciens se disaient «être citoyen mauricien avant tout» contre 9 % qui se reconnaissent comme «membre d’une communauté avant tout». Cinq ans plus tard, les chiffres correspondants s’affichaient toujours à 88 % et 11 %. 67 % des citoyens interrogés se disaient, en outre, favorables au mariage mixte de leurs enfants «s’ils s’entendent bien». C’est parlant ! C’est rassurant ! Le vouloir-vivre-ensemble des Mauriciens est largement majoritaire, malgré la cuisine politicienne, le socio-culturel, ceux qui vivent à l’exclusion des autres, même s’ils disent le contraire… 

C’est d’ailleurs parce que notre ciment mauricianiste est fort qu’il nous faut être vigilant face à ceux qui prônent plus de séparatisme et l’ostracisme des autres. Il faut toujours craindre les lézardes, y compris dans le ciment… 

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Parmi les menaces à la force centripète du vouloir-vivreensemble, l’insécurité (y compris, post-Covid-19, des emplois), la drogue, la corruption, le népotisme clivant. Quand on se sent vulnérable, on a souvent tendance à chercher un bouc émissaire. Quand la drogue se répand, l’ordre social est menacé et mène à du déséquilibre grandissant, lui-même terreau fertile pour faire pousser l’animosité envers «bannla». Quand la corruption, réelle ou perçue, s’installe, la confiance fiche le camp et appelle à de la revendication plus vive. Quand le népotisme devient seconde nature, les exclus crient à l’injustice et le vivre-ensemble devient voeu pieu. 

Prenons donc conscience des menaces à l’horizon et sachons travailler dur pour les neutraliser.


*À titre d’exemple de ces citoyens de deuxième catégorie, les dhimmi ou les conversos ou encore les juifs portant l’étoile jaune. En troisième et quatrième catégories, les «indentured labourers» de toute la planète, les serfs, la main-d’oeuvre – principalement juive – des camps de concentration et les esclaves. L’humanité dans toute sa gloire, quoi !