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Entre joutes villageoises et clash de civilisations

19 octobre 2020, 07:26

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Fin de suspense dans nos régions rurales. Huit ans après les dernières élections villageoises, 526 597 électeurs – sur les 941 719 que compte le pays (recensement de 2019) – seront appelés, le dimanche 22 novembre 2020, aux urnes dans pas moins de 130 villages. Chaque village aura à élire neuf conseillers, dont trois femmes. Parmi les élus, un sera ultimement fait président de conseil de district, normalement avec la bénédiction des ministres de la région (afin d’éviter des confrontations comme avec Véronique Leu-Govind qui mène la vie dure à Alan Ganoo dans l’Ouest). Voilà de quoi agiter le milieu rural, qui, disait-on, est resté quelque peu en retrait des marches citoyennes.

En dépit de la situation précaire, le gouvernement n’a donc pas voulu renvoyer, une deuxième fois, ces consultations régionales. C’est une bonne chose pour la démocratie locale, même si les élus des villages dépendent encore trop des élus nationaux, faute d’autonomie, avec une Local Government Act dépassée. Sur le plan tactique, le régime a choisi de laisser planer le doute jusqu’à la dernière minute. Il n’y avait aucune dotation dans le dernier Budget pour ce scrutin, ce qui avait poussé plus d’un à croire que les villageoises se tiendraient, coronavirus oblige, en 2021, comme les municipales.

Quels sont les enjeux de ces élections ? Pas grand-chose en surface. Puisque les symboles soleil, clé, cœur et coq ne seront pas directement représentés (contrairement aux municipales) mais indirectement ce sera un test de popularité pour le gouvernement MSM-ML, pratiquement un an après les dernières législatives. Si les circonscriptions 4 à 14 avaient massivement voté en faveur de Jugnauth – et contre Ramgoolam – estce que, cette fois-ci, les proches du pouvoir (souvent des agents de ministres) seront toujours en ballottage favorable ? Ou est-ce que l’usure du pouvoir se fera sentir avec l’émergence des candidats proches de l’opposition? Ou verra-t-on carrément des jeunes pousses qui n’ont d’affinité politique avec aucun des partis traditionnels et qui vont apporter une bouffée d’air frais et des idées neuves aux administrations régionales ? Et si les jeunes citoyens indépendants décident de prendre leur quartier en main et refusent de jouer le jeu malsain des élections (dont les «money politics» et «ethnic politics»), ce sera un signal fort que le changement que réclame la rue échappe à la logique manichéenne villes versus villages… Quant à la commission électorale, elle a fort à faire pour faire oublier les couacs du dernier scrutin. La décision de compter les bulletins le jour même du vote va, du reste, dans ce (bon) sens.

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On ne peut passer sous silence l’abomination absolue entourant la mort, vendredi soir, par décapitation, d’un enseignant français pour avoir assuré un cours sur la liberté d’expression en évoquant les problèmes réels de notre époque.

Ce nouvel attentat terroriste à l’arme blanche s’est produit à la veille de l’instauration du couvre-feu sanitaire dans neuf agglomérations de France, qui vise à freiner la circulation du virus Covid-19. Mais cet attentat caractérisé prouve que ce mal-là, lui, est insidieux et vit caché dans les grandes capitales du monde entier. L’assassinat du professeur, comme les attentats contre Charlie Hebdo, sont avant tout des attaques sauvages contre notre liberté de penser, de dire, d’enseigner, d’écrire et de dessiner. Ces libertés sont parmi les valeurs fondatrices de toute démocratie.

L’un des derniers éditoriaux du directeur de la publication de Charlie Hebdo, Charb, décédé lors de l’attentat de 2015, insistait sur la notion qu’il faut «refuser de se plier face à ceux qui veulent nous tuer et nous faire taire».

Ross Douthat, chroniqueur du NewYork Times, résume bien le dilemme contemporain : «Et si un groupe de gens est prêt à vous tuer parce que vous avez dit quelque chose qui leur déplaît, il est alors presque certain que ce quelque chose doit être dit, parce que sinon, les personnes violentes peuvent penser avoir un droit de veto sur la civilisation, et si elles gagnent ce droit, il n’y a plus de civilisation démocratique.»