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L’immobilier, une valeur sûre ?

8 septembre 2020, 16:12

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Peut-être que le marché des villas est un créneau commercial qui échappe à la récession mondiale.

Acheter des biens immobiliers pour les revendre n’est pas un pari sans risque, compte tenu de la dépréciation, de la liquidité et de la volatilité.

Mauriciens, hérité de la culture britannique : l’immobilier. Tous ceux qui sont propriétaires d’un bien immobilier, peu importe qu’ils soient économiquement ignorants, ont un point de vue sur les prospectives du marché du logement. Dès notre enfance, nous nous adonnons joyeusement au Monopoly. Quand nous jouons à ce jeu conçu en 1903 par une Américaine, Elizabeth Philipps, nous rêvons d’acheter des rues entières.

L’immobilier attire en ce sens que, contrairement aux actifs financiers, on peut le toucher, l’admirer et y habiter, et certains s’imaginent de bâtir des empires. Le rêve mauricien est de devenir propriétaire d’une maison. Statistics Mauritius a recensé 356 900 unités de logement en 2011 alors que le nombre de ménages était estimé à 341 000. Et il se trouve que 89 % d’entre eux étaient propriétaires de leur maison, contre 76 % en 1990.

Le fait de vivre dans une petite île entretient l’idée, ancrée dans le psychisme national, que la terre sera toujours rare et donc plus chère, que les valeurs immobilières ne dévissent pas. C’est oublier la chute de 60 % du prix du mètre carré à Hongkong (qui a une population dix fois plus dense que Maurice) lors de la crise financière asiatique de 1998. L’immobilier n’évolue pas en fonction de la taille d’un pays, mais de son économie. Il n’est pas nécessairement un placement refuge idéal en période de chaos économique.

«Sans des emplois à forte valeur ajoutée, les gens n’ont ni le pouvoir d’achat ni la confiance pour considérer acquérir ou investir dans un logement.»

L’accès à la propriété

Tous les gouvernements qui se sont succédé avaient une politique du logement. Dès 1963 fut créé un organisme qui allait devenir la Mauritius Housing Company, aujourd’hui la seule institution financière à se consacrer exclusivement à la propriété et au financement du logement. À l’instar de Franklin Roosevelt qui démocratisait l’accès à la propriété afin de contrer le communisme aux États-Unis, l’île Maurice indépendante s’est efforcée de faciliter l’accès au logement comme un antidote à la nationalisation des terres des grands propriétaires sucriers.

La principale incitation gouvernementale a été d’offrir des crédits d’impôt aux acheteurs d’une première maison. Puis, le cadre réglementaire de la Banque centrale a été élaboré de telle manière à inciter l’investissement dans le logement. Les banques sont encouragées à augmenter leur portefeuille de crédit au logement dans la mesure où elles peuvent prévoir moins de fonds réglementaires pour détenir de tels actifs dans leurs livres. Parmi les mesures macro-prudentielles appliquées aux crédits immobiliers, les directives de la Banque de Maurice délimitent les prêts résidentiels et les investissements fondés sur l’immobilier spéculatif et commercial, ce qui favorise l’octroi de crédits aux acquéreurs d’un premier logement.

Les facilités sont aussi monétaires : les baisses agressives du taux d’intérêt entraînent une abondance d’argent facile qui, avec les «teaser rates», exacerbe la concurrence bancaire en matière de prêts au logement. À juin dernier, les taux minimums à l’emprunt étaient de 1,85 % pour les prêts à l’habitat des ménages, et de 1,50 % pour les prêts immobiliers. Pour l’année se terminant au 30 juin 2020, l’encours de ceux-ci s’est accru de 16,7 %, contre 4,0 % pour le total des crédits domestiques !

Les banquiers croient qu’il n’y a rien de plus sûr que de prêter à des gens qui ont une propriété. Pourquoi ? Parce que si les emprunteurs font défaut, la propriété mise en garantie peut être saisie par la banque. Un individu peut s’enfuir, mais une maison, non. Comme le disent les Allemands, les terres et les bâtiments sont des propriétés immobiles. Cependant, si les crédits sont accordés sur la base de la valeur de la propriété, et non sur la capacité de remboursement, une dépression combinant chômage et déflation des actifs immobiliers rendra les dettes impayées insoutenables par rapport à l’évaluation immobilière.

Le Covid-19 pourrait bien faire éclater la bulle spéculative immobilière, qui a gonflé à toute allure jusqu’ici, et l’accès à la propriété serait alors plus aisé. Les candidats à l’achat qui ont mal vécu les 72 jours de confinement national devraient préférer des maisons individuelles aux appartements. Quoiqu’il en soit, les banques se montreront plus prudentes et plus sélectives dans l’octroi de prêts, resserreront les conditions de crédit et exigeront des apports personnels plus élevés.

Exubérance irrationnelle

Dans cette optique, les opérateurs de l’immobilier de luxe ne doivent pas tomber dans l’exubérance irrationnelle avec «les mesures budgétaires, une manne pour le secteur», pour reprendre le titre d’un article du mauricien du 30 juin dernier. Certes, l’abaissement du montant minimum d’investissement à 375 000 dollars pour décrocher le statut de résident permanent, la possibilité de regroupement familial pour les détenteurs d’un permis d’occupation et l’élimination de la limite d’actionnariat pour les titulaires d’un permis de résidence sont de nature à rehausser l’attractivité du pays. Mais si le Budget de 2020-2021 a concédé autant d’incitations à ce segment du marché, c’est précisément parce que la crise économique provoquée par le Covid-19 dans le monde est susceptible de fléchir la demande de biens immobiliers. Sans quoi, elles n’auraient pas leur raison d’être, et l’image d’une destination à l’abri du coronavirus suffirait.

Peut-être que le marché des villas est un créneau commercial qui échappe à la récession mondiale. Mais encore faut-il ouvrir les frontières aux investisseurs potentiels ! De manière générale, néanmoins, dire qu’une relance de l’immobilier va stimuler l’économie, c’est mettre la charrue avant les boeufs. Pour faire redémarrer le marché résidentiel dans l’après-coronavirus, il faudra avoir des acheteurs disposés et aptes à dépenser, en l’occurrence s’ils ont un emploi. Or, avec une contraction économique de 13 % en 2020 à Maurice, il n’y aura pas de création d’emplois pendant quelques années, mais plutôt un chômage de masse pouvant grimper à 17 %. Dans les activités bien rémunérées comme le Global Business, même les cadres sont mis à la porte.

Sans des emplois à forte valeur ajoutée, les gens n’ont ni le pouvoir d’achat ni la confiance pour considérer acquérir ou investir dans un logement. Ici s’applique la loi de Say : c’est une hausse de l’activité productive, et donc de l’emploi, qui crée la demande de produits, dont celle de biens immobiliers. Tant que l’économie mauricienne ne retourne pas à la normale, tant qu’elle ne reprend pas sa vitesse de croisière, ce qui n’arrivera pas avant 2023, le secteur immobilier ne retrouvera pas ses taux de croissance d’avant la pandémie.

La clé de la sécurité financière

L’immobilier va sûrement perdre de la valeur, mais restera un investissement sûr pour beaucoup. Les Mauriciens préfèrent acheter plutôt que louer une maison ou un appartement. La raison est sans doute que, pour la même unité d’habitation, le coût du loyer est supérieur au coût d’achat : selon une étude de la Mauritius Commercial Bank, le ratio du prix des maisons aux loyers a chuté de 40 % entre 2010 et 2016, étant deux fois moins élevé qu’en Suisse.

Acheter pour revendre n’est toutefois pas un pari sans risque. On gagnerait plus à le faire en Bourse que sur le marché résidentiel. Si l’on compare les deux types d’investissement en faisant abstraction des dividendes pour l’un et des loyers pour l’autre, l’appréciation du capital s’avère plus rapide pour les valeurs boursières que pour les biens immobiliers. Le Semdex, l’indice général de la Bourse de Port Louis, a doublé entre mars 2009 et janvier 2011 : quel actif immobilier a connu une valorisation de 100 % en moins de deux ans ?

Il faut garder à l’esprit trois autres considérations. La première est la dépréciation : les titres financiers ne nécessitent pas d’entretien ni de rénovation, contrairement aux logements. La deuxième est la liquidité : c’est beaucoup plus difficile de convertir les maisons que les actions en cash. La troisième est la volatilité : les marchés immobiliers, en raison des coûts de transaction qui leur sont associés, peuvent être moins volatiles que les marchés boursiers, mais eux aussi fluctuent en fonction des conditions économiques et des changements de la politique monétaire. Un krach immobilier n’est pas si différent d’un krach boursier.

Cette tendance à investir presque toute sa richesse dans ses propres maisons va à l’encontre du principe de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. La clé de la sécurité financière, c’est une diversification appropriée du portefeuille des actifs. Tout investisseur se doit de s’assurer d’un écart soutenable entre coûts et rendements, et d’un bon équilibre entre dette et revenu. Cette règle ne s’impose pas exclusivement aux ménages, mais aussi à l’économie nationale.

L’intention originale de l’inventeur du jeu de Monopoly était de démontrer qu’il n’est pas toujours sage de posséder des biens. Mais on continue de s’illusionner en pensant que rien ne peut battre la pierre comme un investissement.