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Consommer pour oublier. Et quand ce n’est plus possible ?

26 août 2020, 07:41

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Nous venons de vivre une période de confinement stricte pendant presque trois mois. Deux scénarios de reprise de la consommation se confrontaient pour la rentrée en juin. Le premier prédisait que le consommateur rentrerait vite dans le rang, qu’il aurait même tendance à rattraper le temps perdu, qu’il continuerait à consommer de plus belle. Le second prédisait que, secoué par le constat de la fragilité du monde et que prenant soudain conscience de la folie du consumérisme et du «new normal», le citoyen mauricien, frileux et prudent, allait consommer moins et retourner à une vie plus frugale, plus simple. Ce deuxième scénario a pris l’eau, même s’il n’a pas tout à fait coulé, comme le «Wakashio». En fait, le constat anecdotique est assez indécis. Une petite virée dans le monde de la consommation, sans aucune prétention de justesse statistique, laisse plutôt rêveur. «The jury is still out», aurait dit l’Anglais. 

Au niveau des banques, les paiements par cartes électroniques, un indicateur de la consommation par excellence, se sont très bien comportés. Les mois de juin et de juillet 2020 ont, en effet, vu l’utilisation des cartes bancaires exploser d’entre 15 et 21 %, selon les cas, par rapport aux mêmes mois de l’an dernier. C’est énorme ! Mais ce n’est pas exclusivement le fait de la consommation accrue. En effet, une partie de cette progression majeure est due à la plus grande popularité du paiement électronique par rapport aux billets de banque. Les cartes de crédit et surtout de débit, Juice, Moov ou MyT Money y contribuent tous à divers degrés. 

Il ne faut pas négliger et donc, il faut aussi inclure le phénomène de l’inflation importée. 

Un produit importé en euros en juin 2019 réclamait Rs 39,85 par euro. Douze mois plus tard, il fallait trouver Rs 44,18 par euro, soit 11 % de plus. Si ce produit est maintenant importé par avion, il faut compter sur le fait que le fret a augmenté de manière dramatique. Par cinq à six fois pour les produits froids, par exemple. Heureusement que le fret maritime est resté plutôt stable. Cependant, MSC et Maersk annoncent maintenant des augmentations de 200 $ à 300 $ par container de 20 pieds pour septembre. Cela représentera une progression d’entre 23 % et 37 % sur Maurice, ce qui ne va pas aider… 

La grande distribution, quant à elle, note des mois de juin et de juillet plutôt meilleurs que prévu et expliquent, c’était le premier scénario, qu’ayant été forcé à économiser durant le confinement, le consommateur moyen s’est relativement relâché à partir de juin. Notamment dans les grandes surfaces et dans les fast-foods, même si ce n’est pas dans les restaurants, les magasins ou les loisirs. Cependant, plusieurs hypermarchés notent des baisses de vente matérielles. Le ministre des Finances serait, lui, assez content de sa collecte de TVA pour le premier mois de la nouvelle année financière. Mais par rapport à quoi, si la roupie est dévaluée ? Il aurait d’ailleurs intérêt à ne pas pavoiser trop tôt, le dynamisme de la consommation en juin et juillet, à la sortie de la période de thésaurisation forcée jusqu’à fin mai, montrant déjà des signes d’essoufflement en août. Le sentiment général, c’est aussi que les prix augmentent, contrairement au CPI, aidé en cela par des légumes et des taux d’intérêt en baisse. Il ne faut pas, non plus, oublier que le «Wage Assistance Scheme» (WAS) n’est qu’un palliatif et que contrairement aux États-Unis où le «Stimulus Package» de 2 trillions de dollars allait directement à la poche du bénéficiaire et aurait effectivement augmenté les revenus mensuels de nombreux travailleurs licenciés, le WAS ne fait, tout au plus, que couvrir un maximum de 50 % des salaires payés par l’entreprise, dûment invitée à ne PAS licencier, en contrepartie. Avec un plafond mensuel absolu de Rs 12 500, de nombreuses compagnies ont ainsi été menées à plaider et obtenir des réductions de salaires volontaires, temporaires, ce qui aide à réduire le pouvoir d’achat global de toute façon. Quand ce n’était pas possible et maintenant que le «Workers’ Rights Act» interdit tout licenciement dans le tourisme jusqu’au 31 décembre prochain (et que le Redundancy Board n’a apparemment accepté aucun licenciement jusqu’ici), on peut probablement s’attendre, puisqu’il n’y a plus l’oxygène possible d’autres choix, à des fermetures d’entreprises ou, au mieux, des mises sous administration style Air Mauritius ? 

Résultat inévitable ? Si le WAS aide à réduire le poids de la masse salariale, toutes les entreprises ne s’en sortent pas nécessairement pour autant et sont forcées, elles au moins, à réduire leur consommation et leurs dépenses pour garder les narines hors de l’eau. 

Plus évident encore sont les conséquences directes de l’aéroport fermé, qui condamne donc le tourisme (et le para-touristique) à une absence quasi totale de revenus, hormis ceux découlant d’une conversion non souhaitée en… centre de quarantaine. D’ailleurs seuls Ambre, Sugar Beach, Casuarina, Le Récif, le Victoria et Manisa sont d’ailleurs concernés, à ce titre, jusqu’ici. À Grand-Baie, à Trou-aux-Biches, à Belle-Mare, au Morne, à Mahébourg, tout est sérieusement grippé : les bungalows et les maisons d’hôte ne se louent plus, les magasins ne voient plus défiler des étrangères en paréos volages, traînant leurs compagnons pour une fois «volontaires» puisqu’en vacances, les grandes surfaces vendent moins d’items à plus forte marge, les taxis brûlent moins d’essence, même les coiffeuses, les discothèques, les bars et les barbiers travaillent au ralenti. Toutes les activités «touristiques» (près d’un quart de l’économie !) n’irriguent plus du tout le reste, et ça se ressent. Un aéroport rouvert «par phases» n’attirera d’ailleurs pas des touristes à la cadence pré-Covid, même si ça aidera… 

Toute la région du Sud-Est, dont le lagon a été pollué par le «Wakashio», va aussi être en panne désormais, sauf pour le travail de vidange visqueux. L’immobilier, qui dépend en partie de visiteurs étrangers, ne pourra pas être ressuscité sans… visites, mais pourrait être éventuellement aidé par le label «Covid-free» du pays. Le pouvoir d’achat des expatriés, souhaité et attendu par le Budget (paragraphes 198-205) est aussi en attente d’avions et a peut-être même été en partie inversé après la triplette de la CSG (toujours pas chiffrée, aussi incroyable que cela ne paraisse !), la PRGF et la «Solidarity Tax». 

Il y avait donc un troisième scénario : les gens veulent tous dépenser «comme avant», ont eu l’illusion que ce serait possible avec les Rs 140 milliards d’«argent facile» de la Banque centrale, mais après le tonique temporaire du déconfinement, ils ne peuvent pas. Ou ne peuvent plus ! Du moins pas tous et pas comme avant. 

***** 

À son discours de remerciements de l’Alliance morisien le 9 novembre 2019, le leader de cette alliance, Pravind Jugnauth, remerciait la population pour sa victoire et demandait à «tou dimounn de tou bor de ralie ensam», ajoutant : «Mo pou kontinié premie minis pou tou bann morisien.» De toute évidence, tous les Mauriciens ne sont malheureusement pas logés à la même enseigne, le népotisme et le protectionnisme n’aidant d’aucune manière et, post-Covid, l’employé du secteur privé ramant dur face aux privilégiés totalement sécurisés du secteur public. Or, comme partout ailleurs, une société démocratique et progressive doit pouvoir trouver un sens collectif d’appartenance et d’objectifs, faute de quoi, elle risque fort de se déchirer de l’intérieur. 

C’est ce que l’on peut constater de manière accélérée ces jours-ci socio-économiquement et notamment, un peu déjà, à travers l’indicateur de la consommation. Le ras-le-bol, c’est aussi ça. Le gouvernement peut-il rapidement ressouder la nation en lui permettant une adhésion rentable à des valeurs communes et fédératrices, pour changer ? Sinon, on risque gros. Ça va être difficile maintenant, je vous l’accorde.

L'édito paru cette semaine dans Business Magazine