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Proposition citoyenne: Devrions-nous revoir la liste des congés publics ?

19 mai 2020, 08:26

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Le nombre de congés publics, peu après l’Indépendance obtenue le 12 mars 1968,
fut réduit de 29 à 11, par le gouvernement dirigé par SSR.

La nation mauricienne est basée principalement sur des valeurs célébrant la diversité, la tolérance et la spiritualité, davantage que sur le matérialisme et l’accumulation des richesses. Les discussions sur les listes possibles de congés publics, qui ont eu lieu de temps en temps, reflètent la recherche vers l’objectif partagé d’atteindre «l’accorité» entre les différentes composantes de la nation. Ce sujet est donc particulièrement sensible et délicat. 

Les différentes listes de congés que nous avons eues n’ont pas été établies en tenant compte de la dimension économique, mais les décisions prises dans ce domaine ont nécessairement des conséquences sur le niveau de vie et l’emploi de la population, et sur la capacité de l’État de financer les services sociaux. Aussi, vu la gravité de la crise économique et sociale que nous traversons actuellement, le moment ne serait-il pas venu de rouvrir le débat sur le nombre de jours fériés, comme contribution au redressement de notre pays ?

Nous avons actuellement 16 congés publics – auxquels s’ajoutent les jours chômés, souvent déclenchés par les avertissements cycloniques. Ceci nous place largement au-dessus de la moyenne internationale. Ainsi, des pays comme Singapour, l’Italie, le Danemark, la France, ou le Maroc ont 11 jours de congés publics. Un autre groupe de pays, qui comprend les Émirats Arabes Unis, l’Allemagne, l’Irlande, et la Suisse, sont à 9 jours ; tandis que les Pays Bas, le Royaume Uni et la Hongrie n’en ont que 8.

Impact économique

La réduction des jours de congés publics aurait un impact (très) positif sur la compétitivité de l’économie, le taux de croissance ainsi que sur l’emploi à Maurice. Cela aiderait l’État à maintenir le niveau des services sociaux en temps de crise, et au-delà. Il n’est pas facile de calculer précisément le coût économique d’un jour férié car, si les activités des usines, bureaux et commerces sont négativement impactées, celles consacrées aux loisirs en bénéficient. 

En 2000, l’économiste Pierre Dinan, suite à un calcul très approximatif, avait avancé le chiffre de Rs 1,4 milliard par jour non travaillé par rapport à un PIB annuel de quelque Rs 400 milliards ; soit 0,35 pour cent du PIB (50ans Moris: Konzé piblik, pa fer riyé!, l’express, 14 février 2018 – https://www.lexpress.mu/article/326513/50ansmoris-konze-piblik-pa-fer-riye). Au Royaume Uni, où l’activité marchande des loisirs est beaucoup plus développée qu’à Maurice, des estimations faites en 2012, quand un jour férié exceptionnel avait été décrété pour le Jubilé de Diamant, tournent autour de 0,1 pour cent du PIB par jour (voir, BBC News, 9 avril 2012, Bank holidays cost economy £19bn, https://www.bbc.com/news/business-17654781).

Même si on se tient à un chiffre de 0,2 pour cent, une réduction de cinq jours augmenterait le revenu national disponible de quelque Rs 5 milliards par an et notre taux de croissance de 1 pour cent. Cette option mérite d’autant plus d’être explorée, que, contrairement à d’autres plans de relance, une telle mesure ne demanderait pas de financement, ni d’endettement de la part de l’État.

Signal positif

Au-delà de son impact économique, la réduction des congés signalerait on ne peut plus clairement non seulement à la population mais aussi à l’étranger que les Mauriciens acceptent de se retrousser les manches. Au niveau national, cette démarche équivaut à demander une contribution de chaque personne active, non pas en payant des taxes ou impôts, ou en réduisant son salaire ou ses autres revenus, mais en donnant son temps libre en signe de solidarité. Pour nos partenaires internationaux et investisseurs étrangers, dont nous avons tant besoin, une telle démarche enverrait également un message très positif. 

Si un réexamen de la question des congés publics est envisagé, le Gouvernement saurait fixer les objectifs et entreprendre les consultations nécessaires, selon ses propres critères. À cet égard, un principe important à respecter est d’éviter qu’une éventuelle réduction – ou autre aménagement – ne soit perçue par telle ou telle section de la population comme une démarche de nature à porter atteinte à son identité et à sa spécificité, et une contrainte à son droit de célébrer ses traditions ou sa religion. Si, avec la crise, tout le monde devra nécessairement faire des sacrifices sur le plan économique, il n’est pas question ici de demander à quiconque de «sacrifier» quoi que ce soit sur plan culturel, spirituel, religieux ou identitaire. Nous devrions être innovateurs et explorer de nouvelles pistes.

Par exemple, on pourrait imaginer conserver la liste actuelle (peut-être avec des aménagements), mais de la diviser en deux : les National Public Holidays (liste A), qui s’appliquent à l’ensemble du pays (le 12 mars, le 1er mai et quelques autres) et une seconde catégorie, les Officially Recognized Public Holidays (liste B), qui comprendrait les fêtes et commémorations d’intérêt particulier pour un groupe culturel/ ethno-religieux spécifique (exemple : le Nouvel An chinois). 

La première catégorie mènerait à la fermeture des administrations, des banques, des bureaux et des écoles. La seconde catégorie (liste B) serait également formellement reconnue comme des congés «officiels» publiés dans la Gazette. Mais ces dates n’entraîneraient pas la fermeture automatique de l’ensemble des administrations, des banques et des écoles. En revanche, les salariés, étudiants et enfants qui le souhaitent auraient le droit absolu de s’absenter, sans perte de rémunération pour les salariés, sur deux ou trois des dates de la liste B, en ayant naturellement informé d’avance de leur intention.

Pour bien renforcer la notion qu’on continue de respecter et de célébrer certaines fêtes, celles qui seraient éventuellement supprimées (ou placées en liste B), pourraient – et devraient – être remplacées par des manifestations et cérémonies appropriées en nombre accru. Celles-ci pourraient d’ailleurs se dérouler à différentes périodes tout au long de l’année. On pourrait aussi prévoir d’autres formes de mise en valeur de notre riche patrimoine, comportant des éléments de la liste B, par exemple à travers l’émission de timbresposte, ou de références sur les billets de banque, pour marquer ces événements ou dates. Sans pour autant mettre tout le pays à l’arrêt.

Une autre piste serait d’envisager la possibilité de célébrer deux commémorations le même jour. Il est convenu que le but des congés publics n’est pas d’accroitre le nombre de congés payés, lesquels peuvent être obtenus de façon plus flexible et normale par la législation appropriée ou la négociation. Rien n’empêche, donc, de fixer une commémoration qui ne dépend pas d’un jour fixe du calendrier à un dimanche.

Même si on ne faisait rien sur le nombre de jours fériés, si nous voulons être compétitifs dans le domaine des transactions financières, où nous sommes actuellement menacés, nous devrions exempter certaines activités financières ou de business outsourcing de l’obligation d’observer l’ensemble de jours fériés, ce qui affecte leur compétitivité. Par exemple, alors que des bourses comme New York, Londres et Amsterdam Euronext ne ferment que neuf, huit et cinq jours, respectivement, par an, pourquoi ne pas donner la flexibilité à la Bourse de Maurice de se mettre au diapason ?

Un bref historique 

Il est peut-être utile de rappeler brièvement, ici, certains éléments sur la manière dont ce sujet a été abordé dans le passé. Ceci pourrait aider à éclairer le débat, sans pour autant prétendre que ce qui a pu se passer en d’autres temps soit nécessairement un modèle qui convient en 2020.

(a) Période coloniale

Durant la période coloniale, on distinguait les congés de bureaux et les congés de propriétés. Aucune fête religieuse, hormis celles de la religion chrétienne, n’était reconnue. Déjà, le Gouverneur Farquhar, fin politique, déclarait la Saint Louis (25 août) jour férié. Il y avait quand même le 24 mai (Empire Day). 

(b) Les années 1960

Au fur et à mesure que le Gouvernement local devenait plus responsable des affaires intérieures, celui-ci avait commencé à augmenter le nombre de congés publics pour correspondre à certaines fêtes célébrées par les différentes sections de la population (fêtes hindoues et tamoules, fêtes musulmanes, l’année chinoise, etc…). À l’approche des élections générales de 1967, le Gouvernement ajoutait volontiers de nouvelles commémorations, souvent à l’improviste. À l’Indépendance, Maurice détenait ainsi le record du monde des congés publics, avec 29 ; et il fallait bien y ajouter le 12 mars. Plusieurs voix dans les milieux économiques et dans la presse signalaient cet excès, et soulignaient les entraves au développement.

(c) La réduction du nombre en 1968

Ce n’est que lorsque l’Indépendance fut acquise, et que la situation économique et sociale devint critique, que le Gouvernement se rendit à l’évidence que le pays ne pouvait se payer le luxe de tant de congés. Le Premier ministre (SSR) décida, en 1968, de constituer un comité de 29 membres, composé en grande partie de dignitaires religieux ou de représentants des différentes cultures, pour revoir la liste des congés publics. De façon assez inhabituelle, sa présidence fut confiée à Philippe Ducler des Rauches, qui était pour cette année, président de la Mauritius Employers Federation. 

Ayant participé à ce comité, comme représentant des employeurs, je peux témoigner que jamais comité ne fit travail plus expéditif. Dès la première réunion, il devint évident que la fibre patriotique était présente, et que tous acceptaient qu’on ne pouvait développer le pays avec autant de jours chômés. Les différents membres se consultèrent entre eux ; ils étaient tous prêts à faire des concessions, sans qu’aucun ne s’obstine dans son opinion. Les grandes lignes d’un consensus étant tracées, un procès-verbal fut envoyé aux membres. Et, lors de la seconde et dernière brève réunion, une liste restreinte de 11 congés publics fut formellement approuvée à l’unanimité. Le comité soumit son rapport en mai 1968 et la Public Holidays Act fut adoptée en juin.

Il faut observer que cette décision ne fut guère critiquée dans l’opinion publique, et que les syndicats n’émirent aucune réserve. On note même que lors de l’adoption du texte au Parlement, Sookdeo Bissoondoyal «frotta les oreilles» d’un député de son parti, l’Independent Forward Bloc, qui réclamait d’autres congés pour une partie de la population (l’express, 14 février 2018).

(d) Depuis 1968

Depuis la réforme de 1968, il y a eu diverses tentatives, toutes infructueuses, de revoir le dossier des congés publics, et il y a eu un glissement graduel de leur nombre, nous menant aux seize actuels. En même temps, des jours additionnels ont été occasionnellement déclarés pour marquer des évènements exceptionnels non-récurrents. 

La grave crise actuelle rappelle la situation sociale et économique très sombre de 1968, quand nous avions un chômage de quelque 20 pour cent, et un PIB en stagnation. Il faut souligner qu’alors, le pays n’était pas soumis à un choc brutal d’origine extérieure, comme celui que nous subissons actuellement. À cette époque, les autorités et les citoyens se sont unis pour remettre le pays sur les rails.

Pourquoi pas de nouveau aujourd’hui ?