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28 avril 2020, 07:00

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Quand viendra l’heure du déconfinement, il ne faut surtout pas s’attendre à une grande fête des retrouvailles. Cela prendra du temps - combien ? personne ne le sait encore – avant de retrouver un semblant de normalité. En attendant, la vie d’avant semble être partie pour de bon, du moins pour un bon bout de temps. Il nous faut maintenant recommencer – reprendre le commencé de notre existence mise en pause, en altérant le cours de la vie, pour s’adapter et survivre, en se déconnectant de la foule.

En attendant un rassemblement comme celui des derniers 1er-Mai, nous tous porterons des masques – de toutes les couleurs, de toutes les formes. Certains vont personnaliser le leur afin d’afficher un petit bout de leur personnalité, comme certains le font avec leur plaque minéralogique pour se faire remarquer, pour se distinguer de la foule…

On va garder nos distances, se surveiller davantage. On ne va plus se serrer ni la main, ni les gants. Si le lockdown aura été difficile au départ, après deux, trois semaines, notre psyché n’a pas eu d’autre choix que de s’y faire, perdant par là même nos vieilles habitudes sociales, nos réflexes du bureau, nos comportements sociaux, nos bavardages et palabres sur tout et rien. L’absence de contact peut-être légèrement déshumanisant, surtout pour ceux qui vivent confinés dans un petit espace, sans avoir la possibilité de sortir prendre l’air, ou faire son jogging, quelques heures par semaine, comme c’est le cas ailleurs.

Dehors, les échanges, souvent corsés, entre policiers et soldats de SMF, n’ayant pas eu le temps d’être formés en relations publiques, et les chauffeurs qui sortent pour faire leurs courses, les médecins qui vont ausculter leurs patients, et les avocats qui vont défendre leurs clients (disons contre la Cybercrime Unit), témoignent de la nervosité et de l’incompréhension ambiantes. Les nerfs sont à fleur de peau. Surtout quand on reste entre quatre murs.

La perte des repères et les images de villes-fantômes ont profondément changé notre regard sur l’humanité et sur notre commencé en tant que mortel, simple passager sur cette terre qui aura vu tant d’autres calamités, face, aujourd’hui, à ce virus contre lequel il n’y a pas de vaccin encore. Nous ne voyons d’ailleurs plus les choses de la même façon, même si nous comprenons que la pandémie de Covid-19 représente un défi mondial sans précédent. Et que pour tenter un semblant de retour à la normale, il faut qu’on se serre les rangs, en restant, paradoxalement, éloignés les uns des autres, afin de prévenir un retour de l’épidémie comme c’est le cas au Singapour – pays qui suscitait l’admiration de plusieurs d’entre nous jusqu’à cette deuxième vague du coronavirus (les autorités singapouriennes ont annoncé cette semaine un nombre record de plus de 1 400 nouveaux cas de Covid-19, détectés pour l’essentiel dans les foyers où sont hébergés les travailleurs migrants dans la cité-État).

Voilà ce qui se passe quand on déconfine de manière trop relaxe ou pressée ! La pandémie illustre, en fait, la manière dont la croissance exponentielle de la contamination engendre une explosion du nombre de cas en quelques semaines. Ainsi, il importe de prendre conscience du fait que nous sommes, chacun à son niveau, une partie d’un vaste réseau d’interactions physiques. Dans la situation idéale, toute la population devrait être testée simultanément avec des tests parfaits (sans faux négatifs) et fiables (pas ces tests rapides non homologués). En réalité, les tests sont limités, non simultanés et leur résultat demeure incertain si l’on se base sur une seule analyse. Ainsi, tandis que certaines règles sont fondées sur l’information disponible (la mise en quarantaine d’une personne qui a été en contact avec une personne testée positive), d’autres doivent inévitablement inclure l’ensemble de la population. 

Les règles et les recommandations diffèrent selon les pays, mais convergent désormais de plus en plus. Tout le monde entend, ces derniers temps, éliminer ou limiter des liens. Entre autres avec des mesures de distanciation sociale… qui s’installe de plus en plus dans nos moeurs. 

***

L’Homo sapiens n’est ni logique, ni éthique. La situation internationale actuelle reste dominée par l’idée de revanche – on le constate à travers les actions punitives contre l’ONU et l’OMS, ou entre États qui se toisent du regard. Devant la résurgence d’un fanatisme sanitaire, primaire, on retrouve cet esprit de revanche/vengeance pour lequel les erreurs et les méfaits passés servent de modèle. Comme si une discrimination positive n’était pas une discrimination, par exemple les attaques xénophobes contre les étrangers, ou cette façon de désigner le virus comme du «Made in China», comme si un virus avait un passeport, ou une nationalité. 

C’est un peu comme si les crimes du pernicieux obscurantisme d’il y a dix siècles pouvaient justifier la violence dégradante du monde d’aujourd’hui. Dans un tel esprit, les crimes aux temps des croisades font toujours de l’ennemi occidental un «crusader». Justification ou prétexte, il n’en reste pas moins que cette violence est le reflet de crimes antérieurs.

L’Homo mauricianus d’aujourd’hui porte le fardeau des erreurs souvent atroces commises dans le passé par d’autres, morts depuis longtemps, mais toujours exploitables. Longtemps, trop longtemps, en évoquant la préséance des fondateurs français de 1722, leurs descendants (purs ou dilués) se crurent imbus d’une supranationalité. En 2020, les stigmates de la «colonisation» – il s’agit, en fait, de «fondation» – ou de l’immigration attisent toujours, d’un côté, un esprit revanchard et, de l’autre, la psychose d’une spoliation quelconque sous une façade de «démocratisation» d’une économie presque à genoux. Nous cultivons souvent les maux qui nous ont conduits là où nous sommes et les empêchons de disparaître parce qu’ils servent nos intérêts étroits. Il y a ainsi des deux côtés de l’histoire un «mindset» qui empêche de vivre au présent et dont toute la raison du siècle ne nous libère pas. 

Il était un temps où la philosophie, le questionnement de tout, avait le dessus sur comment gérer la cité. Aujourd’hui, cette crise provoque pas mal de prises de paroles intellectuelles, ou patriotiques. La crise permet de croiser les regards citoyens et politiques. Comme si on a enfin compris que pour recommencer à vivre, on ne devrait plus se fier uniquement aux politiciens, eux-mêmes en isolement. Mais bâtir un système de santé global pour les citoyens du monde entier.