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Lockdown Diary #5 : Asymétrique mais totale

25 mars 2020, 08:48

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Le silence, le vide, l’expectative. Il n’y a plus personne à Riche-Terre/Baie-du Tombeau, au siège du journal. On a fermé les locaux hier — c’est une première dans l’histoire contemporaine de l’express (qui sort 7 sur 7 depuis une quinzaine d’années, jour férié ou pas). Bizarre, il n’y a plus de cliquetis de clavier, ni le va-et-vient incessant des journalistes et des chasseurs d’images, est non plus les crissements de l’imprimante qui crache, à longueur de journée et de soirée, ces épreuves en papier qu’on se partage, pour se relire, se corriger, s’enrichir mutuellement. Le journalisme est avant tout un travail d’équipe, une sacrée chaîne humaine, du reporter d’images aux responsables de bouclage, toute une organisation militaire, de concert avec l’imprimerie. Mais depuis lundi soir, la rotative ne tourne plus. Désormais chacun travaille de chez soi, confiné, isolé, seul physiquement devant son écran, mais hyperconnecté, via les réseaux sociaux, avec ses collègues, ses sources, et nos archives.

Tous confinés, sauf quelques-uns d’entre nous — une petite équipe d’irréductibles qui ne jurent que par le terrain — qui arpentent le pays, pour assurer le «service essentiel» d’information, et pour raconter la vie qui va, ou plutôt qui ne va plus vraiment, en ces temps d’isolement et de couvre-feu. Le numérique — lexpress.mu, le journal en PDF et les réseaux sociaux — nous permettent, non seulement de maintenir le lien avec notre audience, mais de nous rapprocher d’elle, et de ne pas perdre le fil des actualités dérangeantes de ces derniers temps, et ce, sur une base quasi instantanée. N’empêche, ce changement de fonctionnement aura été brusque pour la plupart d’entre nous, même si nous avions mis en place une work from home policy depuis trois-quatre ans. Du jour au lendemain, on a oublié la routine d’hier pour réapprendre à vivre notre métier, à l’ère du terrible Covid-19.

Le réconfort c’est qu’on n’est guère seul dans cette galère. Tout le monde est logé à la même enseigne, pays du Nord comme pays du Sud, riches ou pauvres. Le coronavirus ne fait pas de discrimination, ne s’embarrasse pas de la caste ou de la religion des uns ou des autres, ou du patronyme, contrairement à la politique. C’est peutêtre la première leçon à retenir : enfin tous égaux face à la menace commune. Coronavirus, li vrémem pa get figir!!

Indistinctement, nous vivons le changement drastique, mais ce changement-là, personne ne peut vraiment prédire quel en sera son impact, sur notre pays, notre société, notre économie, sur la vie de nos collègues, du collectif, sur notre relation avec les politiciens qui sont censés nous protéger… Jusqu’à quand resterons-nous confinés ? Quand pourronsnous repartir au restaurant, à la plage, à l’étranger ? Et les enfants, quand retrouveront-ils le chemin de l’école et leurs camarades de classe ?

***

Aux États-Unis, les attentats du World Trade Center, en 2001, et la crise financière en 2008 sont des événements, des marqueurs temporels, qui ont profondément remanié le fonctionnement de la société. On parle de l’avant Nine- One-One et de l’avant 2008, avec nostalgie, comme des périodes révolues, parties pour ne jamais revenir. Avec le coronavirus, ce sera pareil. Déjà nous constatons que notre rapport à l’autre change. On se replie. On ne se serre plus la main, c’est fini la bise pour se dire bonjour, on garde nos distances, on se lave les mains comme des obsédés du savon, on nettoie nos portables, on enlève même nos chaussures quand l’on rentre chez soi. Nos enfants ne jouent plus avec leurs camarades de classe; des tutoriels en ligne remplacent les instituteurs. Vivre en société, faire son shopping, aller chez son dentiste, tout devient problématique, risqué, une épreuve de force.

Et si les soldats sont en état d’alerte, ils ne font plus feu. L’ennemi n’est pas sur les radars, mais pourtant il est sur tous les fronts. Si on est passé de la guerre traditionnelle entre armées à, avec la montée du terrorisme international, la guerre asymétrique, aujourd’hui l’ennemi se révèle encore plus petit, disproportionné. Si la guerre asymétrique est un conflit qui oppose des combattants dont les forces sont incomparables et où le déséquilibre militaire, sociologique et politique entre les camps est total, aujourd’hui l’histoire nous confronte à un conflit asymétrique de type nouveau, avec des théâtres d’opération simultanés aux quatre coins du globe, et un ennemi qui se démultiplie au-delà des frontières.

Depuis les années 1990, il y a eu la chute du mur de Berlin, l’effondrement du communisme, la faillite de ses régimes et de son idéologie, l’unipolarisation du monde autour des États-Unis, et l’accélération de la mondialisation, les attentats de New York, la crise de 2008. Le Covid-19 vient, lui, redéfinir la notion même de guerre : asymétrique, mais mondiale…

 

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