Publicité

Voter mieux et l’art de bien choisir

22 décembre 2019, 09:23

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Les discussions sur le système électoral ne nous quitteront jamais.

D’un côté, les partisans de plus de proportionnalité, qui raisonnent que le nombre de voix recueillis par un parti devrait être plus proche du nombre de sièges qu’il obtient au Parlement – c’est la thèse de plus d’équité et de justice. De l’autre, ceux qui, au contraire, préfèrent un système qui produit un gouvernement fort, grâce justement au manque de corrélation entre le nombre de votes et le nombre de sièges au Parlement, soulignant qu’en situation de proportionnalité parfaite (ou presque), on prend le risque d’un Parlement sans majorité, menant parfois à l’impossibilité de former un gouvernement.

 Il y a du vrai dans les deux thèses, bien entendu. L’important, c’est la dose, pourrait-on dire !

Commençons par les aberrations des systèmes actuels.

Les résultats des élections du 12 décembre en Grande-Bretagne, sur un système de First Past The Post (FPTP), sont illustrés au Tableau I* qui illustre les aberrations connues du système FPTP. Par exemple, il a fallu presque neuf fois plus de voix pour élire un libéral démocrate qu’un conservateur et les 642 300 voix du Brexit Party n’ont élu absolument aucun député. Le FPTP favorise clairement les partis qui engrangent le plus de votes nationalement, mais représente aussi un réel danger pour tout parti, plus faible, qui est trop éparpillé sur le plan national. C’est le cas des libéraux démocrates pour sûr, mais aussi des Verts qui ont, nationalement, recueilli 866 000 voix pour élire un seul député alors que les partis fortement régionalisés étaient beaucoup plus productifs, à l’image du SNP d’Écosse (25 875 voix étant suffisantes pour 1 député) ou du Sinn Fein d’Irlande du Nord (26 000 voix par député). Si les Verts avaient bénéficié du même taux de conversion de votes en sièges que les conservateurs, ils auraient 23 députés au lieu d’un seul. Il y a une leçon claire pour les partis : à moins de 15-25 % du vote national, il vaut mieux concentrer ses efforts sur des circonscriptions plus propices – et donc souvent régionales.

Wikipédia publie une liste de 61 pays qui ont adopté le FPTP, dont Maurice. Beaucoup de petits pays y sont représentés, mais on y retrouve aussi les États-Unis (qui en rajoutent, avec le collège électoral encore plus déformant), le Canada, le Brésil, L’Inde, la Malaisie ou le Pakistan.

 Le système électoral israélien qui est, à l’opposé, proportionnel nationalement, c.-à-d. que l’on vote un parti qui présente une liste bloquée d’avance, a tendance à favoriser un plus grand nombre de partis au Parlement, d’autant que le pourcentage de voix minimum pour obtenir un siège n’est, là-bas, que de 3,25 %. En conséquence, les majorités «fortes» sont rares et les conciliabules post-électoraux sont nécessaires pour constituer un gouvernement, ce qui n’est pas une mauvaise chose en elle-même puisque tous les points de vue sont représentés, sauf quand les compromis ne peuvent absolument pas se trouver !

 C’est le même système en Belgique et s’il force les courants divers à se parler et à trouver des voies communes pour leurs pays, il y a certes, de temps à autre, des situations bloquées au point où il faut retourner aux élections. 94 pays utilisent une forme de représentation proportionnelle ou une autre, dont 84 utilisent la liste bloquée (Party List), 7 le MMP (Mixed Member Proportional) et 2 le STV (Single Transferable Vote).

 Les listes PR bloquées sont favorisées par les partis politiques (qui choisissent le système électoral en fin de compte !) car elles permettent aux chefs de partis de décider qui mérite d’être parlementaire et sous quelle priorité. Ce qui favorise leur contrôle et donc leur pouvoir ! Par contre, le système PR à liste ouverte et le STV s’affranchissent des partis et permettent même à des indépendants d’émerger (ex: Irlande). Peu de pays, sauf les plus éclairés, ont le courage de modifier leur système électoral de fond en comble. La Nouvelle-Zélande l’a fait en 1996 après un référendum en 1993, abandonnant le FPTP pour le MMP.

 Ici, à Maurice, le poids du statu quo est tel que nous n’arrivons même pas encore à approuver les recommandations de la Commission électorale pour modifier la configuration des circonscriptions dans le but de rééquilibrer le nombre de votants. Pour rappel, aux élections du 7 novembre, 17 574 votants élisaient 3 députés dans la circonscription n°2 (soit 5 858 voix par élu) alors qu’au numéro 5, il fallait 16 562 voix pour élire un député, soit presque trois fois plus ! En quoi estce que les électeurs de Triolet (no 5) ou de Rivière- Noire (no 14) en auraient, à ce point, moins pour leur vote que ceux de la Plaine-Verte (no 2) ou de Rose-Hill (no 19)?

Une réforme profonde du scrutin électoral se fait attendre. Pour faire avancer le pays, ne sait-on vraiment pas comment s’entendre sur le mode de scrutin, le financement des partis, l’organisation du vote et le décompte, le découpage électoral ? Le statu quo est-il, à ce point, plus confortable ? Le changement vers ce qui est mieux dérange qui, finalement ? Le gagnant de demain ?

 *****

Les débuts de mandat sont souvent remplis d’optimisme et de bonnes intentions. On n’appelle pas cette période une «lune de miel» pour rien. Le Dr Jagutpal est en tournée d’inspection des hôpitaux au nom des citoyens, Pravind Jugnauth réunit ses partisans au Sun Trust et leur demande de bien se conduire et ne pas faire d’erreur, Kavy Ramano convoque des assises de l’Environnement, souhaitant pousser le pays à réagir face aux défis du climat et à la pollution, Alan Ganoo prend en main le dossier de route pour désenclaver Flic-en-Flac. Nous avons peut-être désormais un vrai ministre de la Culture : il parle même de mauricianisme, tiens ! Les intentions déclarées sont bonnes et il faut leur souhaiter plein de réussite.

Cependant, les choses vont se compliquer très rapidement. Des infirmiers protestent devant leurs heures supplémentaires en baisse à la Cardiac Unit – encore que leur tentative de brandir des morts en guise d’argument, face aux accusations de leurs propres abus, est lamentable. Le ministre Ganoo se trouve empêtré avec la question de certification du métro, la compagnie «non engagée» ItalCertifer ayant été «remplacée» in extremis, le 15 novembre, parce qu’ils tardaient trop. Le ministre Ramano ayant annoncé la nécessité de décisions potentiellement impopulaires aura sûrement à les prendre, s’il veut être crédible. On reconstitue le «board» de MK et la baisse de touristes n’est «pas» une hémorragie. Le mois gratuit promis sur le métro ne sera finalement que de 15 jours et, dans les mois à venir on va constater que le vrai refrain de ce projet, ce ne sont pas les déviations de trafic, mais les pertes annuelles que le contribuable devra financer…

Gouverner n’est jamais simple. Les meilleurs à cet exercice au cours des siècles ont été ceux qui ont toujours raisonnablement favorisé le bien commun plutôt que les intérêts tribaux (ou personnels) et qui, après des périodes demandant généralement des sacrifices temporaires, auront légué un pays meilleur. À mon humble avis, ce ne sera pas le cas des Britanniques après le Brexit, ni celui de l’Inde après les initiatives du National Registry of Citizens, du Kashmir et du Citizenship Amendment Bill. Ce ne sera pas non plus le cas après les 15 413 mensonges ou les 24 300 tweets de Trump depuis 2016, «génie stable» ou pas. Par contre Macron, élu sur une plateforme explicite de réforme des pensions a raison d’insister face aux régimes spéciaux, plutôt qu’à choisir la voie facile qui consiste à laisser le problème à ceux qui le suivront. Leurs voisins allemands ne comprennent d’ailleurs pas la fièvre suscitée par un «âge pivot» de retraite à 64 ans. La leur est à 65 ! C’est l’âge d’Angela Merkel ! Souhaitons que nos dirigeants aient maintenant au moins autant de courage que Macron après la vague électorale de «Labous dou» ! Et espérons que Macron tienne bon !

*Les chiffres mauriciens sont sans doute équivalents mais sont non disponibles cinq jours après avoir été gentiment demandés à l’Electoral Supervisory Commission.