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‘Impeachment’ ou un rappel qu’aucun pouvoir n’est absolu

10 décembre 2019, 07:36

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«Si nous ne pouvons pas mettre en accusation un président qui abuse de ses fonctions pour son bénéfice personnel, nous ne vivons plus dans une démocratie. Nous vivons dans une monarchie ou sous une dictature. »

<p><strong>&nbsp;Noah Feldman, professeur de droit à la Harvard University</strong></p>

 

Aucun pouvoir, même (ou surtout) celui du président le plus puissant du monde, ne doit être laissé en roue libre, sans contre-pouvoir, sans frein. Aux États-Unis, le principal atout demeure la solidité des institutions, qui ne dépendent heureusement pas de l’exécutif. À moins d’un an de l’élection présidentielle US, le républicain Donald Trump se retrouve face à une procédure de destitution au Congrès, plus précisément à la Chambre des représentants, qui est présentement sous le contrôle des démocrates. Si jusqu’ici Trump a pu s’en tirer sans trop de casse de l’histoire des ingérences russes et de l’enquête y relative du procureur spécial Robert Mueller, lors de présidentielle de 2016, cette fois-ci Trump n’y peut rien contre l’Impeachment Process, qui est inscrit dans l’article 2 de la Constitution US. Celui-ci permet précisément de destituer un président s’il est trouvé coupable – cette fois-ci par le Sénat – de trahison, corruption ou «crime ou délit majeur». Cette procédure s’applique également aux hauts fonctionnaires du gouvernement: vice-président, juges fédéraux et secrétaires d’État/membres du cabinet. Ce procès sera intéressant à suivre à l’heure où certains se demandent si la Cour suprême mauricienne pourrait, oui ou non, invalider les dernières législatives si jamais les points des pétitions électorales de l’opposition sont retenus par la justice.

Le 4 décembre dernier, l’épineux dossier de la destitution de Trump est passé du comité du renseignement au comité judiciaire, toujours de la Chambre des représentants. Selon le dossier à charge, le président Trump aurait eu un entretien téléphonique avec son homologue ukrainien (et non pas russe), soit Volodymyr Zelensky, le 25 juillet 2019, au cours duquel il aurait tenté de faire pression pour des enquêtes sur le fils de Joe Biden – Biden sera son opposant lors de la présidentielle de l’an prochain – contre une aide militaire en faveur de l’Ukraine. Ayant apparemment rassemblé des preuves «solides», les démocrates de la Chambre estiment que le président aurait compromis la sécurité nationale pour son bénéfice personnel. Pour rappel, le coup de téléphone en question avait été révélé par un lanceur d’alerte. À ce jour, selon le sondeur RealClearPolitics, 48,9 % d’Américains se disent en faveur de la destitution alors que 43,9 % s’y opposent car ils y voient une manœuvre électorale.

Depuis quelque temps, tout Washington, DC, vit au rythme des audiences publiques de l’Impeachment de Trump. Les articles d’accusation qui sont en train d’être rédigés doivent être soumis un à un à un vote à la Chambre des représentants. Si l’un d’eux est voté, il reviendra alors au Sénat – contrôlé cette fois-ci par les amis de Trump, soit les républicains – de tenir le procès, comme cela se fait dans un vrai tribunal, sous la présidence extraordinaire du juge en chef de la Cour suprême. Selon la Constitution US, la destitution du président serait effective si 67 des 100 sénateurs votent en faveur ne serait-ce que d’un chef d’accusation. Le Sénat compte à l’heure actuelle 53 républicains, qui ont jusqu’ici fait bloc derrière Trump. Sur le plan historique : Trump risque d’être le troisième président mis en accusation, après Andrew Johnson en1868 et Bill Clinton en 1998. Les deux ont tous deux été acquittés par la suite. Dans le sillage de l’affaire Watergate, Richard Nixon avait démissionné en1974, bien avant le début de la procédure de destitution.

Contrairement à chez nous, où l’exécutif, c.-à-d. le parti au pouvoir, contrôle tout : du speaker au calendrier, aux États-Unis, le système s’érige contre toute hégémonie. Pour l’Impeachment par exemple, les deux Chambres du Congrès sont mises à contribution : la chambre des représentants (ou la chambre basse) et le Sénat (appelée la chambre haute). La Chambre des représentants incarne la voix du peuple, et le Sénat porte celle des États. Ainsi si la Chambre des représentants opte, par majorité simple, pour la tenue du procès de destitution, le procès se tiendra alors devant les sénateurs. Autre détail important : les élus font appel à des experts externes qui viennent les éclairer sur les points techniques et historiques de la Constitution. Cette semaine trois constitutionnalistes ont été invités par les démocrates pour donner leur point de vue sur la destitution ou non du président Trump, alors qu’un quatrième a été, lui, invité par les républicains. «Si ce dont nous parlons ne mérite pas une procédure de mise en accusation, alors rien ne mérite une procédure de mise en accusation», a soutenu avec force Michael Gerhardt, professeur de droit de l’Université de Caroline du Nord (il avait déjà témoigné lors de l’enquête en destitution sur le démocrate Bill Clinton, en 1998). Avec les trois autres professeurs de droit constitutionnel, Gerhardt a donné son point de vue sur les bases historiques et constitutionnelles d’une procédure de mise en accusation ainsi que la nature des agissements pouvant justifier des chefs d’accusation. Gerhardt a conclu que, selon lui, le président Trump avait abusé de son pouvoir en demandant à son homologue ukrainien d’enquêter sur son rival Joe Biden. Mais Jonathan Turley, l’expert des républicains, a, lui, évoqué un manque de preuves.

Face à l’enquête, Trump évoque le complot. La posture du président des États-Unis rappelle celle du Premier ministre Benjamin Netanyahu en Israël, qui vient d’être mis en examen pour trois chefs de corruption. Jusqu’ici la Maison-Blanche a rejeté toute collaboration à l’investigation, mais elle aura, tôt ou tard, à se plier au diktat de la chambre qui abrite six comités permanents d’enquête: judiciaire, renseignements, moyens, finances, surveillance, affaires étrangères. À ce stade, il devient évident que les démocrates veulent aller vite, car la campagne de 2020 a déjà commencé. Dans quelques jours, le comité judiciaire soumettra une résolution aux élus de la chambre qui auront à voter (ou non) la motion d’Impeachment. Mais Trump est rusé : il va en faire une affaire personnelle. Les démocrates le ciblent ? Trump voit cela comme une opportunité pour prouver qu’il est «seul contre tous». Histoire de se créer de la sympathie, lui qui a surtout un bilan mitigé à présenter...