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#J-19 Réduits à des tickets ethniques

19 octobre 2019, 08:06

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Crépitements de flash, applaudissements, sourires en coin. Par groupe de trois, les candidats des partis traditionnels sont (ou seront) ces jours-ci présentés au public. Ils cachent difficilement leur joie ou leur fierté d’avoir pu rafler ce fameux ticket. Et maintenant, leur sort n’est plus vraiment entre leurs mains, mais entre celles des électeurs, ou plutôt des votants de leur circonscription respective. C’est pour cela qu’ils vont toujours vous sourire. Ils savent qu’ils doivent garder leur cool.

Mais qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils mis en avant avant même le manifeste électoral de leur parti ? Comment en sont-ils arrivés là ? Certains sont liés biologiquement ou par les liens du mariage aux propriétaires des partis (ou, si vous préférez, des écuries) dont ils porteront les couleurs. Contrairement aux autres candidats, les proches des leaders, normalement, n’ont pas eu besoin d’acheter leur ticket ou de montrer qu’ils ont un réservoir de votants, de telle ou telle communauté, pouvant bénéficier au parti. Ils incarnent, dans l’imaginaire du parti, la relève et ont donc besoin d’un coup de pouce de l’état-major du parti, qui se bouscule pour les aider, afin de plaire au chef suprême.

Bien évidemment, pour assurer la relève, la méritocratie n’est pas aussi importante que le patronyme ou le degré de confiance qu’un leader place en quelqu’un. Ce qui importe, c’est, tiens, tiens, l’appartenance ethnique. Les listes sont un sinistre mélange entre les castes hindoues, contre-balancées avec un nombre précis d’autres groupes ethniques. Même la population générale, qui est un fourre-tout constitutionnel (rassemblant tous ceux qui ne se retrouvent pas les trois autres cases : hindoue, musulmane, sino-mauricienne) est sous-divisée, en fonction d’autres critères d’un autre âge.

Triste aussi de constater qu’à chaque fois, l’on nous dit : on a fait un effort pour «accommoder» un maximum de femmes, mais nous sommes encore loin de la parité. Pourtant, en termes de competences, ce n’est pas le nombre de femmes qui fait défaut. Sauf que la plupart de celles-ci ne veulent pas monter sur une caisse de savon, ou être réduites, contrairement aux hommes, à des etiquettes communales: par exemple, mon ami musulman doit être uniquement aux nos 2, 3, 10, 13, 15, ou mon collègue tamoul devrait se contenter des circonscriptions 1, 8, 13, 18, 19 – soit cinq circonscriptions sur 21 ! Il en va ainsi pour les autres différentes catégories ou sous-catégories de la nation mauricienne, découpées en clans… Et dire que nous sommes en 2019 ! Et qu’on demeure fiers d’être mauriciens en dehors de Maurice !

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Il est temps de ressortir un livre qui restera d’actualité pour longtemps encore. Il s’agit du texte magistral Le discours de la servitude volontaire, d’Étienne de La Boétie, écrivain du 16e siècle, qui pose la question : «Pourquoi un seul peut gouverner un million, alors qu’il suffirait à ce million de dire non pour que le gouvernement disparaisse ?»

La Boétie, dont le texte semble dépeindre nos leaders politiques, postule qu’il y a trois sortes de «mauvais princes» : 1) Ces princes ou tyrans qui arrachent le pouvoir par la force des armes et qui se comportent comme en pays conquis ; 2) ces autres qui montent sur le trône par succession de race – nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent le lait naturel du tyran et usent du royaume comme de leur propre héritage ; et 3) ces princes qui possèdent le royaume par l’élection du peuple, qui normalement devraient être plus supportables, mais qui se révèlent souvent indétrônables.

L’un de ces mauvais princes est ainsi décrit par La Boétie : «Dès qu’il se voit élevé en si haut lieu, au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi, qu’on appelle grandeur, il prenait la ferme résolution de n’en plus descendre (…) Il considère presque toujours la puissance qui lui a été confiée par le peuple comme devant être transmise à ses enfants.»