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#J-24 : Maradiva ou Maladi-la ?

14 octobre 2019, 07:49

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Les politiciens mauriciens n’ont jamais vraiment compris qu’ils travaillent pour nous, le peuple, et que c’est donc à eux de nous écouter, et non pas l’inverse. Ainsi, comme il fallait s’y attendre, malgré la condamnation unanime sur les réseaux sociaux et dans la rue, le Premier ministre et ministre des Finances n’a pas répondu à la série de questions entourant le SerenityGate et le Film Rebate Scheme, résumées dans notre éditorial d’hier. Faisant allusion au mail de son beau-frère Sanjiv Ramdanee, entre autres, à Kobita Jugnauth, en date de 2015, il a choisi l’offensive en laissant entendre, un tantinet hautain : «Drol ki tou sa letan-la finn res trankil», comme s’il y avait une prescription sur la possibilité de faire la lumière sur des faits émanant d’un scandale politique comme le SerenityGate. Celui-ci réunit tous les ingrédients pour un succès médiatique : multiples rôles (imbriqués les uns dans les autres) de Pravind Jugnauth comme époux, beau-frère, ministre des Finances, leader du MSM et Premier ministre sortant.

Outre cela, Pravind Jugnauth semble ne pas savoir que les lanceurs d’alerte de l’Hôtel du gouvernement, qui envoient par patriotisme les documents aux journalistes, sont particulièrement actifs en fin de mandat, ou quand ils sentent le vent tourner. Autres enseignements utiles pour le leader du MSM : s’il peut acheter pratiquement tous les animateurs ainsi que des radios privées, et les loger ensuite à la même enseigne propagandiste que la MBC, il restera toujours quelques poches de résistance. Et enfin, qu’il sache, une fois pour toutes (n’en déplaise à Yogida Sawmynaden), qu’il ne pourra pas censurer à la fois Facebook, YouTube, Instagram, Twitter, LinkedIn et lexpress.mu. Internet a démocratisé l’audiovisuel alors que ce gouvernement a continué, comme l’ancien régime, à monopoliser la MBC, et ce, malgré nous avoir promis le contraire dans son manifeste électoral de 2014.

Mais la réalité dépasse la fiction. Serenity est venu éclairer un modus operandi qui existait bien avant que le scénario hollywoodien du film ne soit encore écrit. Avant Serenity, il y avait Maradiva – devenu l’antre de Lakwizinn, selon les informations que nous glanons depuis l’entrée au pouvoir de ce gouvernement, début 2015.

Revenons sur des faits déjà mis en avant par l’express depuis octobre 2016 (donc, pa aster la!). Mauriplage Beach Resort Ltd (MBRL), détenue, entre autres, par les beaux-parents du ministre des Finances, et propriétaire du cinq étoiles Maradiva, totalisait des dettes de Rs 960 millions en 2014. Mais une opération sauvetage a commencé en 2015. Le 25 mars 2015, au cours d’une assemblée générale annuelle, les actionnaires et les directeurs (dont l’épouse du Premier ministre) prennent connaissance du bilan : Rs 70,7 millions de pertes, Rs 964,2 millions de dettes et Rs 605 millions d’emprunts pour Rs 328 millions de capital et Rs 625 millions d’actifs. Pas besoin d’être comptable, comme Sudhir Sesungkur ni «mathématicien» comme Ravi Rutnah, pour conclure qu’on est dans une situation de faillite.

D’ailleurs selon l’auditeur BDO, ces conditions «indicate the existence of material uncertainty that may cast significant doubt about the Group’s ability to continue as a going concern». La direction de Maradiva décide alors d’activer le plan. Parenthèse ici pour rappeler que ce plan avait vu le jour sous le tandem Ramgoolam/Sithanen en 2009, pour relancer le secteur touristique après la crise de 2008. À noter aussi qu’en août 2010, soit un mois après son installation au poste de ministre des Finances, dans un mini-budget baptisé «Economic Restructuring and Competitiveness Program», Pravind Jugnauth décide d’ouvrir le «scheme» aux hôtels existants.

Autre fait intéressant : le Taj (qui changera de nom par la suite pour devenir le Maradiva) sera parmi les premiers à tenter de profiter de cette aubaine. Mais, entre-temps, les relations entre Navin Ramgoolam et le clan Jugnauth se gâtent (dans le sillage de l’autre affaire MedPoint !). Le MSM quitte le gouvernement Ramgoolam en juillet 2011 à cause de la controverse autour du rachat de la clinique familiale. Les démarches de l’hôtel de la belle-famille n’aboutissent donc pas non plus !

Mais fin décembre 2014, la roue du destin tourne. Les Jugnauth arrachent le pouvoir à Ramgoolam. Les beaux-parents de Pravind Jugnauth tentent, sans tarder, de «sauver leur hôtel» en essayant, à nouveau, la formule, cette fois-ci gagnante, du Invest Hotel Scheme (IHS). Ce plan de secours du Board of Investment (BOI) permet aux hôtels de lever des capitaux en vendant des parts sociales qui donnent aux acheteurs des privilèges comme la propriété de villas auxquelles ils n’auraient cependant accès que 45 jours par an. Pour pouvoir passer sous ce scheme, il faut d’abord que les biens immobiliers passent sous la propriété d’une société IHS, telle que définie par le BOI.

La direction de Maradiva décide alors de vendre 50 % de la capacité de l’hôtel à Mauriplage IHS One Ltd (MIOL), compagnie que MBRL détient à 100 %. L’accord du BOI est obtenu dans les semaines suivantes. Les banques auprès desquelles MBRL avait déjà contracté Rs 845 millions d’emprunts depuis 2004 devaient donner leur accord ; les villas en question étant déjà sous hypothèque. Le 29 septembre 2016, la MCB accepte de transférer ses hypothèques au nouveau propriétaire. La SBM en fera de même le lendemain.

Le 6 octobre 2016, Kobita Jugnauth, représentante de MIOL (l’acheteur), et son frère Sanjiv Kailash Ramdanee, représentant de MBRL (le vendeur), signent l’acte de vente devant le notaire Didier Maigrot. Montant de la transaction : Rs 1,4 milliard, dont Rs 1,2 milliard pour les villas et Rs 200 millions pour les droits au bail. Notons que la formule classique «hors de la vue du notaire» est de rigueur.

À ce jour, Maradiva demeure le seul établissement 5-étoiles comprenant exclusivement des villas sur la côte Ouest. Il comprend 65 villas, de 5 types (Garden, Luxury, Beachfront, Exclusive et Presidential), toutes avec piscine privée. Le terrain fait 121 619 m2 (Pas géométriques loués à bail) et les constructions de l’hôtel en occupent 29 531,60 m2.

Serenity est revenu braquer les projecteurs sur Maradiva. Et Maradiva est en passe de déloger MedPoint au hit-parade des scandales ! Car, outre les ingrédients de trafic d’influence, de népotisme et de fonds publics, Maradiva possède, contrairement à MedPoint, un décor de rêve et des stars d’Hollywood et de la côte Ouest de chez nous…