Publicité

La bebet

18 septembre 2019, 09:19

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

J’ai vu une bebet rare. La bebet ! On la croyait éteinte ou en voie d’extinction…

Mais moi, je l’ai vue. Ce n’est pas le fruit de mon imagination… Je l’ai vue… De mes propres yeux, je l’ai côtoyée, j’ai senti sa présence ! Oui, je l’ai vue à trois reprises cette année même.

Je l’ai vue pour la première fois le lundi 29 juillet. Je l’ai revue le dimanche 1er septembre. Et sa plus récente apparition, c’était lundi 9 septembre. Vous êtes un peu perdu… Vous ne pigez toujours pas ! Vous vous demandez de quelle bebet je parle… Rien à voir avec les ossements découverts à Mare-la-Chaux.

La «bebet» qui s’appelle Mauricien a été vue au Champ-de-Mars, le 29 juillet, pour la fête des Jeux des îles.

Pour ceux qui ne comprennent pas, ceux qui ne se rappellent pas ou pour les jeunes qui n’étaient pas encore nés, je vous invite à faire un saut dans le milieu des années 70. Feu sir Kher Jagatsingh, un des dirigeants travaillistes de l’époque, posait la question suivante qui avait fait couler beaucoup d’encre «ki sa bebet ki apel Morisien la?» C’est vrai, à l’époque, on parlait de nou bann et bannla, on divisait. Il n’y avait que quelques rêveurs de gauche qui croyaient dans la nation mauricienne, dans le Mauricien, tout simplement.

Le Mauricien s’est manifesté en 1976, pour les élections générales, donnant un démenti à sir Harold Walter, un autre célèbre travailliste qui avait déclaré : «We are here for centuries.» On n’était pas convaincu qu’il pouvait exister. Et puis vinrent les élections de 1982 : la nation mauricienne explose, se manifeste comme jamais auparavant. C’était le premier 60-0 de l’histoire. Le peuple mauricien, comme enn sel lepep, enn sel nation avait rejeté la division, l’arrogance du pouvoir, la pourriture.

Malheureusement, pour chaque bebet utile qui émerge, dix anti-bebet ou parasites sont lâchés par les politiciens pour l’anéantir. Vint la cassure de 1983 : gros recul pour le mauricianisme… Sur les estrades, on n’entendait que blancs, malbars, démons, protez montagne etc. Le communalisme scientifique faisait aussi son apparition. Et la bebet fut assommée, cliniquement morte, selon les spécialistes. Depuis elle ne s’est pas manifestée, au point où on la croyait éteinte.

Mais voilà ! La bebet constructive est résiliente et sait rebondir pour prouver qu’elle est encore là et qu’il faut compter avec elle. En fait, elle sommeille en chaque Mauricien, malgré tous les efforts des politiciens pour la tuer afin de pouvoir divide and rule.

Le 29 juillet, je l’ai vue au Champ-de-Mars pour la fête des Jeux des îles. Dans les rues de Port-Louis, c’était la liesse : bouchons, ralentissements, parkings introuvables, encombrements, difficultés pour se déplacer, bousculades…

Mais personne ne s’en plaignait. À la vue d’une voiture ou d’un 4x4 avec drapeaux et des gens excités criant, j’avais le réflexe de me protéger. Ce n’était qu’un réflexe ! On ne voyait ça qu’en période de campagne électorale. Puis, je me suis ressaisi ; il n’y avait que deux partis en face : le parti des sportifs et le parti des supporters – tous Mauriciens… Et ils ne s’affrontaient pas. C’était pratiquement une communion entre eux.

Au Champ-de-Mars, je n’ai rien compris, rien vu, pratiquement rien entendu à part les cris, vuvuzelas, tambours etc. Les artistes et les animateurs s’époumonaient et gesticulaient sur scène. Pas grand monde ne semblait leur prêter attention. Là, j’ai compris que, comme moi, les gens étaient venus pour autre chose que le spectacle. On voulait tout simplement être là, avec nos athlètes qui faisaient notre fierté d’être Mauricien, être là autour de notre drapeau dont nous étions fiers. Ce lundilà, j’ai vibré, j’étais ému de ne voir autour de moi que des Mauriciens, hormis quelques touristes…

Quel instant de bonheur ! La seconde fois, c’était le dimanche 1er septembre – toujours au Champ-de-Mars – cette fois, pour la journée du Maiden. C’était bien sûr différent. Il y avait là des zougader, des fanatiques de tel ou tel cheval ou telle écurie. Et puis, il y avait ceux qui étaient venus en famille ; parfois sortant de très loin. Là aussi, c’était une ambiance que seul le Mauricien peut et sait créer. Même les traditionnels pickpokets n’ont pas osé se manifester. Il y avait tant de Mauriciens ce jour-là ! Les touristes étaient bouche bée, dépassés et ne comprenaient pas…

Ki sa bebet ki apel morisyen la ? La nation mauricienne était encore une fois là au Champ-de-Mars… Dans sa diversité, dans toute sa splendeur.

La dernière fois, c’était le lundi 9 septembre pour la venue du pape François. Là aussi, le contexte était différent. C’était avant tout un événement concernant particulièrement les catholiques. Mais voilà : on a vu toutes les composantes de la nation ici et là venues voir le chef de l’Église. Même si on ne partageait pas la même foi, c’était le respect total. Le Mauricien s’était encore une fois manifesté pour témoigner de sa tolérance, de son respect, de cette volonté d’un vivre ensemble harmonieux. Pas une seule fausse note, à part les politiciens qui ont voulu – comme pour les Jeux des îles avec les athlètes – en tirer quelque chose… Même le vice-président s’est prêté au jeu… mais les Mauriciens ont semblé dire : Ar nou non!

Si Kher Jagatsingh vivait encore, il m’aurait probablement ironiquement lancé : «Aaannn! To pé kontan. To pé dir tonn trouv bebet ki apel morisien la. To dir li vivan… Atan de trwa semenn, kanpagn elektoral lansé, to gété ki manier nou, politisien, nou fer li bour lor pié.»

Bien sûr, on va bientôt la mettre à rude épreuve, on va lancer des centaines de parasites à ses trousses. On lui fera mal, elle sera sonnée… Mais je suis convaincu d’avoir vu la bebet qui s’appelle Mauricien et qu’on ne parviendra pas à l’anéantir.