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Becoming Robert Mugabe…

17 septembre 2019, 16:30

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Pour illustrer comment le pouvoir peut rendre fou, feu Robert Mugabe s’impose comme un cas d’école, surtout pour ces propriétaires de parti qui ne savent/ veulent pas passer la main, ainsi que pour ceux qui gravitent autour d’eux comme si leur vie en dépendait. L’incapacité à renoncer au pouvoir, à désigner un successeur, à prendre sa retraite après, disons, deux mandats, et se mettre en retrait (afin de laisser la place aux jeunes et aux idées neuves) a provoqué la chute de Mugabe en 2017. L’ex-président du Zimbabwe, héros en son temps, se prenait pour l’envoyé spécial de Dieu, avec lequel il avait, affirmait-il, une liaison directe. Mais le destin extraordinaire de Mugabe a connu une triste fin : il est mort, le 6 septembre dernier, à l’âge de 95 ans, pratiquement seul dans une chambre d’hôpital à Singapour (parce que les services de santé de son pays ne sont pas à la hauteur de sa fortune). Mais dans sa chute, à cause de sa folie du pouvoir et des grandeurs y relatives, il a fini par tirer le Zimbabwe, l’un des plus beaux projets politiques des dernières indépendances africaines, vers le fond, dans l’abîme. Il importe de revenir sur quelques enseignements du parcours de celui qui était le champion de la lutte contre l’impérialisme et le colonialisme, devenu, après des décennies au pouvoir, l’un des plus cruels despotes de notre continent. Un homme qui a trahi, en 37 ans de règne sans partage (1980-2017), l’histoire et son peuple…

Sa chute est venue de son propre parti, pas de l’opposition. Mugabe, professeur ambitieux devenu politicien, véritable bourreau du travail, avait compris que pour rester au pouvoir, il devait soit fausser le jeu électoral, soit éliminer physiquement ceux qui vont voter contre lui. Il a fait les deux sans état d’âme ! Ce n’est que récemment que les détails des massacres de l’opération «Gukurahundi» ont refait surface. «From January 1983, a campaign of terror was waged against the Ndebele people in Matabeleland in Western Zimbabwe. The so-called Gukurahundi massacres remain the darkest period in the country’s post-independence history, when more than 20,000 civilians were killed by Robert Mugabe’s feared Fifth Brigade. No one has accepted the blame for the violence, but the recent release of historical documents has shed new light on those responsible (...) These papers – augmented by my investigations and the testimony of Zimbabwean witnesses – appear to substantiate what survivors and scholars have always suspected: Mugabe, then Prime Minister, was the prime architect of well-planned and systematically executed mass killings», avance le journaliste-historien Dr Stuart Doran. Donc, alors que Mugabe se préoccupait de ses ennemis externes, ce sont des factions internes qui lui ont administré le coup de grâce, car «il mangeait tout le gâteau et ne nous laissait même pas des miettes», avait candidement – et fièrement – confié l’un des chefs militaires l’ayant destitué.

Nous sommes en pleine guerre froide; les tueries de Mugabe sont minimisées par l’Occident, qui alors le couvre d’éloges. Les préoccupations des uns et des autres sont ailleurs. L’Occident soutient les «hommes forts» comme Mugabe afin qu’ils ne tombent pas dans les filets soviétiques. Mugabe, habile manipulateur de l’opinion, s’est aussi arrangé pour que les observateurs internationaux, qui découvrent le Zimbabwe (alors un vaste jardin tout vert), ne voient que du feu. Et quand la communauté internationale a, enfin, compris que le dirigeant, qui est entré dans l’histoire de l’émancipation africaine par la grande porte en 1980, se souciait, en fait, davantage de sa fortune personnelle que de son pays, Mugabe a tout bonnement fermé les frontières (comme un boutiquier fermerait les portes de son commerce) et a pratiqué une politique de repli et de terreur. Mugabe avait compris, comme d’autres dictateurs avant lui, que la souveraineté nationale était le meilleur bouclier international, surtout depuis le règne des États nations et la charte onusienne.

Pour déboulonner Mugabe, il aurait fallu plusieurs tentatives de coups d’État – dont le dernier, il y a deux ans, par son propre entourage contre lequel le nonagénaire n’a rien pu faire, rongé qu’il était par l’âge, la maladie, la corruption et la cupidité. Ceux qui le côtoyaient avaient compris qu’il fallait le flatter en permanence – ils ont donc fait semblant de lui témoigner tous les égards possibles avant de lui donner le coup de grâce dans le dos, alors qu’il se reposait. Parenthèse pour rappeler que nous voyons ce genre de comportements aussi chez nous : par exemple, les Jugnauth avaient volé au secours de Lutchmeenaraidoo quand ce dernier était aux prises avec Roshi Bhadain, mais l’ex-grand argentier n’a eu aucune pitié pour Pravind Jugnauth (qui lui a certes ravi sa place aux Finances) quand il devait choisir, contre toute attente, de démissionner, provoquant cette partielle au n° 7 qui dérange tellement les calculs électoraux de la dynastie Jugnauth. On connaît aussi le cas de Rakesh Gooljaury qui a vendu son ancien ami Navin Ramgoolam dans l’affaire Roches-Noires, entre autres… ou encore Pradeep Jeeha qui déjeunait chaque semaine avec Paul Bérenger et qui n’a pas hésité à lui faire un enfant dans le dos avec Steve Obeegadoo, précisément parce que Bérenger développait, après quatre décennies au sommet, des allures de Mugabe au sein du MMM…

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Alors monstre sanguinaire ou seigneur de la lutte contre le régime colonial ? Le Zimbabwéen le plus connu de la planète contrarie, même après sa mort, les historiens et les politologues. Il demeure un personnage haut en couleur, qui a, comme tous les humains, sa part d’ombre et sa part de lumière, son âme de révolutionnaire et son sens de la dictature. Mais laquelle part privilégier ? C’est là tout le dilemme, car l’homme est devenu, au crépuscule de sa carrière, un tout continu, flou, brouillé, une caricature presque. Dans la remarquable oeuvre de la dramaturge britannique Fraser Grace, Breakfast with Mugabe, le vieux dirigeant avait droit à un portrait bien plus nuancé, aux traits contrastés et profonds. Ce qui laissait des sillons dans son visage au regard pénétrant et qui rétablissait, quelque peu, l’équilibre, en opposant ses malheurs aux titres moqueurs de la presse internationale. «Quand Mugabe faisait les gros titres, il était décrit comme un monstre et mon point de départ était que les monstres sont fabriqués mais qu’on ne naît pas monstre.»

«Breakfast with Mugabe» aborde aussi la nature du pouvoir politique – et comment celui-ci détourne un dirigeant, qui croit fermement en sa mission libératrice, indépendamment de ce que son peuple puisse dire de lui… En fait, l’histoire retient que c’est quand il a énoncé sa doctrine «Zimbabwe for Zimbabweans» que tout a basculé. Le héros est devenu un danger.