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Face-à-face : Qui est le poltron ?

7 août 2019, 08:51

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Vendredi dernier au n°7, pour haranguer la foule, Pravind Jugnauth bombe le torse et lance un défi à Navin Ramgoolam, histoire de démontrer qu’il n’est pas un «poltron». Mais celui-ci, sans tarder, relève ce défi avant de nous déclarer qu’il souhaite que le PM l’affronte dans un face-à-face, «dans les plus brefs délais». Nous demandons alors au Premier ministre, hier, après son point de presse, quand sera tenu le duel entre Ramgoolam et lui. Le PM, visiblement agacé, réplique avec mépris : «Pa melanz enn personaz osi infekt avek venu le pap...»

Pourtant, c’était après son point de presse, pas avant, pas pendant. Pourtant, c’est bien lui qui a lancé l’idée de ce débat. Et pourtant, un duel entre les deux hommes ne peut qu’être une bonne chose pour notre pays – qui n’a pas su développer une culture du débat politique civilisé, comme cela se fait dans les grandes démocraties qui se respectent.

À l’approche des élections générales, un duel entre Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam, arbitré par des journalistes indépendants, choisis par les deux leaders politiques, serait une bonne chose. (À l’express, nous sommes disposés à organiser ce débat important, en compagnie d’autres confrères, et ce dans un lieu neutre, et avec des conditions acceptables aux deux partis.) Bref, nous voulons tout faire pour que ce débat ait lieu car cela aidera certainement plus d’un électeur ou indécis ou patriote à prendre position pour l’un ou pour l’autre. Depuis que Ramgoolam a relevé le défi, la rue commence à se demander qui convaincra le plus sur les grands enjeux de société ? Qui sera le plus percutant des deux ? Qui ressortira du débat le sourire aux lèvres ?

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Sur le plan mondial, l’on se souviendra que le débat politique télévisé qui aura marqué les esprits a d’abord eu lieu aux États-Unis, en septembre 1960. Au lieu de s’insulter à distance dans leurs meetings respectifs, les deux prétendants à la Maison-Blanche, Richard Nixon, vice-président républicain sortant, et le jeune sénateur John Kennedy, qui venait d’obtenir l’investiture des démocrates, avaient accepté de se retrouver face aux caméras de la presse indépendante. Dans la forme, la prestation, terriblement ennuyeuse à regarder aujourd’hui, n’avait rien d’un duel, disons, comme celui qui a opposé, en 2016, Donald Trump à Hillary Clinton.

Nixon et Kennedy se livraient davantage à des monologues successifs, sans jamais vraiment s’affronter... Mais, en raison de la puissance de feu de la télévision en ce temps-là, le débat devait attirer un nombre record de téléspectateurs. L’image a fini par dominer le reste et dicter l’issue. Malgré son expérience supérieure, Nixon a été battu car les gros plans sur sa barbe du soir et la sueur qui perlait sur son menton se sont révélés assassins. Kennedy, fringant, décontracté, a séduit car il incarnait l’image du changement. Il devait ainsi remporter les élections.

En 1974, en France, l’on a assisté, enfin, à un vrai face-à-face entre Giscard, l’homme de la droite libérale, et Mitterrand, représentant à nouveau l’union de la gauche. Inspirée par les expériences US, la télé française avait bien changé et les émissions politiques étaient désormais légion. Le jeune Alain Duhamel avait réussi à convaincre les protagonistes de se mesurer en direct, devant les Français. C’est resté un moment clé des sciences (naissantes) de l’information et de la communication. Mitterrand s’est révélé allergique aux caméras et ça s’est vu. Par contre, Giscard adorait se faire filmer sous toutes les coutures. À l’aise, il décochait ses flèches une à une contre «l’homme du passé», jusqu’à la dernière flèche, qui s’est avérée mortelle pour Mitterrand : «Vous n’avez pas le monopole du coeur.»

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À Maurice, un Dan Callikan, davantage qu’un Anooj Ramsurrun ou un Raj Meetarbhan, sait qu’un cadrage ou un «plan de coupe» – par exemple coller sur une parole l’image de l’adversaire soupirant – pouvait faire perdre ou gagner des votes. C’est d’ailleurs pour cela que la MBC demeure la chasse gardée du pouvoir, qui l’utilise à des fins propagandistes pour sa propre survie – et non pas pour éduquer et informer le public.

Et alors, ce débat télévisé ? Pravind Jugnauth va-t-il pouvoir le fuir en cherchant toutes sortes de prétexte et ce, après avoir joué le matamore à Rivière-du-Rempart ? Entre le «bandit» et l’«imposte», qui est le «poltron» ?