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Les mots comptent

9 juin 2019, 07:08

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Les mots comptent

La réception qui devait avoir lieu à l’ambassade britannique pour célébrer l’anniversaire de la reine n’a pas eu lieu cette année. Elle a été tout bonnement annulée à la demande de Whitehall. Motif ? Les propos «injustifiés et incendiaires» de Pravind Jugnauth sur le Royaume-Uni, tenus lors de la session plénière des Nations unies qui votait, par 116 voix contre six, la résolution donnant six mois au Royaume-Uni pour évacuer les Chagos. Ce qui a particulièrement hérissé les Britanniques ? Que l’on ait osé qualifier la déportation des Chagossiens entre 1965 et 1973 de «crime contre l’humanité».

Les faits d’abord !

Si c’est Robespierre qui évoque le premier, la notion de «crime contre l’humanité», notamment à l’encontre de Louis XVI, à la Convention, le 3 décembre 1792; la première définition légale écrite date du procès de Nuremberg, qui juge les criminels nazis. Le statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) établit pour la première fois une liste de «crimes contre l’humanité» quand ils sont commis sur ordre «dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile» : meurtre; esclavage; déportation; emprisonnement abusif; torture; abus sexuels; persécution de masse; disparitions; apartheid. Le mot «déportation» s’applique correctement aux Chagos. Le mot «attaque» vient brouiller la donne. De plus, ce statut date de 2002 et, au moment où il est approuvé, il est spécifié qu’il ne peut être appliqué rétroactivement.

L’ironie veut aussi que la CPI ait été créée en 1988, à l’instigation principale des États-Unis, mais qu’ils ne soient cependant pas un des 110 pays signataires, craignant pour les conséquences de leur position en tant que «gendarme du monde». Les Britanniques, par contre, en sont eux signataires.

Alors, «crime contre l’humanité» ou pas ? Vous porterez votre propre jugement, mais légalement cela ne semble pas coller, même si moralement , ce que les Anglais ont fait a été parfaitement abject, ayant violé la résolution 1514, ayant manoeuvré et menti pour s’arroger les Chagos en contrepartie de notre indépendance et finalement organisé la déportation des Chagossiens eux-mêmes, de manière froide, inhumaine, et, en fait, inutile; les Chagossiens n’ayant, à aucun moment démontré de plus grandes predispositions d’être des gêneurs que les Japonais, les Philippins, les Turques, les Qataris où les 70 autres nationaux divers de par le monde où les Américains ont des facilités militaires. Répétons donc la question : EN QUOI EST-CE QUE LES CHAGOSSIENS ONT ÉTÉ (SONT) JUGÉS PLUS DANGEUREUX ? (que l’on ne pouvait les laisser vivre en paix, chez eux !)

Au-delà des canapés et du whisky qui n’ont pas été partagés pour célébrer les 93 ans d’une brave souveraine, un peu incongrue, il reste évidemment la loi du plus fort. Le Royaume-Uni est certes passablement affaibli par la débandade du Brexit alors que l’île Maurice se sent sans doute gonflée à bloc, comme la proverbiale grenouille, avec le dernier vote onusien. Mais, en fin de compte, si le Royaume-Uni ne nous retourne pas la souveraineté des Chagos au bout de six mois, que va-t-on faire ? Va-t-on tenter de prendre les Chagos par la force ?

Tiens ! Le jingoïsme aussi comme argument électoral ?

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L’organisation «100 % Citoyens» lançait, jeudi, son Budget alternatif. Exercice intéressant et sobre. Quelques idées novatrices. Plusieurs constats justes. Mais aussi des insuffisances, ce sur quoi nous n’allons pas trop insister à ce stade, puisqu’ils ne sont pas encore en position de causer des dégâts ! En toile de fond, ayant rencontré des milliers de citoyens, ils constatent le «mal-être» d’une société en instance de perdre son âme et postulent que cela résulte d’injustices diverses dont l’absence de méritocratie, la discrimination raciale et celle des genres, le népotisme, les inégalités socio-économiques grandissantes. Rien de bien surprenant quand ils alignent les faiblesses économiques du pays. Ils préconisent le maintien de l’économie libérale, mais de la rendre plus inclusive, bien plus solidaire, citant même le Fonds monétaire international à cet effet.

Ce Budget alternatif, qui prend parfois des allures de manifeste électoral, s’articule sur dix priorités : Démocratie, Réduction des inégalités, Croissance, Société du Savoir, Transparence gouvernementale, Santé publique, Environnement, Emplois, Infrastructure et Diplomatie économique et s’organise sous 26 ministères regroupés, idée intéressante, sous six super-ministères, chacun piloté par un «Head Minister». Le but est de casser les «mentalités de silos», d’encourager les synergies, de réduire les doublons et de s’attaquer enfin, dans le sillage des rapports d’audits, aux gaspillages. Fait notoire : les ministères ainsi regroupés trônent déjà des budgets chiffrés ! C’est assez impressionnant d’être ainsi conscient des limites imposées par le passé !

Le projet économique se conjuguerait autour des SMEs et d’un soutien particulier à toutes nos exportations. Une école Nationale des arts et métiers est une façon de reconnaître la priorité de la formation comme conduit à une meilleure productivité et donc aux salaires améliorés. Augmenter la marge de préférence des SME de 15 à 25 % pour les contrats de l’État va aider. Suggérer une loi pour pénaliser ceux qui paient leurs dettes à une SME plus tard que 30 jours après livraison promet et intrigue. Par contre, définir qu’une SME peut avoir un chiffre d’affaires de jusqu’à Rs 100M et qu’il ne paiera pas alors de taxe corporative va engendrer une masse de compagnies traitant Rs 99M de business et pas plus… Et il y a parfois du flou. Que peut bien être un «Growth friendly tax regime above Rs 800M (+5%)» ? Ça ressemble à une taxe additionnelle, ce qui peut être nécessaire, mais sûrement pas «friendly». Ça s’applique aux profits supérieurs à Rs 800M ? Ou au chiffre d’affaires, ce qui serait sûrement inique et destructeur !

L’introduction d’une taxe Carbone, la plantation du chanvre comme bio fuel ou pour réinventer notre textile, plus d’ambassadeurs de carrière, l’abolition des pensions des parlementaires, ministres et présidents, un référendum sur la légalisation du cannabis, un judiciaire beaucoup plus rapide (il faudra embaucher ?), des panneaux solaires sur tous les bâtiments publics sont parmi les bonnes idées. Le coût total de ce Budget est situé à Rs 122 milliards dont Rs 33 Mds de dépenses capitales auxquelles il faut rajouter 32 Mds pour repayer la dette nationale.

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Le tribunal d’arbitrage de Singapour avait jugé le contrat Betamax légal. Le full bench de notre Cour suprême dit le contraire. Le mot qui sépare les deux est probablement le mot «exempt» (du Public Procurement Act, s’entend). Les Law Lords du Privy Council trancheront la question, mais il est quand même étonnant que, dans la justice des hommes, les mêmes faits puissent à ce point engendrer des jugements différents. Les mots comptent ! Dans ce cas-ci, ils peuvent coûter (ou pas) jusqu’à 4,5 milliards de nos bonnes roupies !