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Mea culpa de «l’express» ?

23 février 2019, 07:23

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Deux articles de l’express, publiés en février 1999, auraient, directement ou indirectement, jeté de l’huile sur le feu propagé par les émeutes de triste mémoire. D’abord, notre compte-rendu du meeting du Mouvement républicain, parti politique naissant, jadis considéré, à tort ou à raison, comme un parti-voyou, qui soulignait le fait qu’on consommait du gandia «ouvertement» devant les policiers sans que ces derniers ne lèvent le petit doigt. D’autres confrères ont ensuite pris le relais et la police, sous la pression d’un gouvernement en fin de régime (et en quête d’un sursaut), n’a eu d’autre choix que d’aller interpeller, deux jours plus tard, les chanteurs et activistes ayant pris part au meeting. Dont Kaya. Et seul ce dernier a reconnu avoir fumé sur l’estrade. D’où son arrestation qui s’est avérée mortelle.

Le deuxième article incriminé de l’express est celui qui a révélé que Kaya serait mort à la suite d’une «skull fracture following head injuries». Cette information brutale, qui a fait surface après une conversation entre le médecin légiste de service et l’un de nos fait-diversiers, s’est répandue comme une traînée de poudre dès sa publication et a envenimé les choses. Cette version a été contestée par les autorités qui ont, à un moment, voulu faire porter le chapeau à l’express – comme quoi on a toujours eu bon dos. Par la suite, on a vu les contorsions des uns et des autres afin de noyer cette version. Et aujourd’hui, 20 ans après, l’on se demande toujours qui a tué Kaya... sans qu’on puisse y apporter une réponse précise.

Et la responsabilité de l’express dans tout cela ? Sans essayer d’être «wise after the event», il nous faut quand même remettre les deux articles en question dans leur contexte, surtout pour ceux qui n’ont pas vécu la sombre période des émeutes de ce février noir. En 1999, la dépénalisation du gandia était un sujet tabou – aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Et notre journaliste était retourné du meeting-concert choqué par ce qu’il avait vu. En 2019, un journaliste qui couvre les concerts de musique locale est sans doute blasé par les joints qui circulent. La police aussi, à bien des égards. Les tribunaux également sont plus cléments envers les fumeurs.

Par rapport à l’information sur la «skull fracture», alors que normalement un journaliste se doit de vérifier et de contre-vérifier une information auprès de plusieurs sources, dans certains cas, comme dans celui-ci, il s’avère impossible de le faire. Qui d’autre qu’un médecin légiste, à la fin d’une autopsie, pourrait communiquer les causes du décès ? Du reste, ce dernier n’a jamais démenti notre information. Aurait-on dû alors bloquer cette information ? «Non, estime Jean Claude de l’Estrac, directeur et rédacteur en chef de l’express au moment des faits, Nous avons fait notre métier tout simplement.» (Voir aussi p. 5.)

Comme lui, nous pensons que l’information est un bien public, presque aussi important que l’éducation – qui nous permet, du reste, de faire des choix éclairés, lors des élections par exemple. D’ailleurs, le régime agonisant de Navin Ramgoolam, critiqué pour sa gestion calamiteuse de l’affaire Kaya, n’avait-il pas été sanctionné l’an suivant les émeutes ?

20 ans après, si la mort de Kaya demeure mystérieuse, et contribue, ainsi, à la légende du seggae-man (outre, bien évidemment, son double-génie de musicien et de parolier), c’est parce qu’il n’y a pas une cause, mais une série d’événements, sur lesquels il nous faut jeter un regard critique afin de pouvoir tirer les leçons qui s’imposent. C’est ainsi que progresse ou recule une nation.

L’absence de transparence autour du décès de Kaya, la censure des informations par la MBC (il fallait alors regarder la télévision réunionnaise pour voir les images du pays en feu), la non-existence d’une Freedom of Information Act (malgré les promesses des uns et des autres politiques), la perception que la police demeure peuplée en majeure partie par une section de la population alors qu’une autre s’en retrouve exclue, voire ostracisée, l’utilisation désormais abusive des réseaux sociaux par des incendiaires (ou des ministres de la République qui tentent, comme dans l’affaire MedPoint, de faire du management of public opinion au lieu de révéler des faits avant de les effacer !), l’exclusion, les inégalités sociales et politiques sont autant de facteurs qui contribuent au terreau sur lequel germent les crises sociales et les extrémistes.

Albert Londres avait cerné notre métier qui n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, mais de porter la plume dans la plaie...