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Milieu Carcéral

13 février 2019, 11:50

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Milieu Carcéral

Après la farce Vinod Appadoo, quelles réformes pour nos institutions pénitentiaires ? (1re partie)

«La justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons…» Cour européenne des droits de l’homme

La cause est entendue. Le système carcéral, à l’île Maurice post-indépendante, a effectué pendant des décennies des zigzags au gré des événements, des hommes politiques et de leurs impulsions populistes. Les politiciens au pouvoir ont systématiquement, avec le plus grand cynisme, instrumentalisé à des fins électoralistes la montée de la criminalité. Quand vint le temps du trafic de drogue dans les années 80-90, ce fut la même chose, avec les slogans faciles tels que «Guerre contre la drogue» ou, quand les élections étaient proches, «Peine de mort pour les trafiquants de drogue». Ainsi, le système carcéral, ou plutôt le système politique (car on ne doit jamais faire l’erreur d’oublier qui tire les ficelles des marionnettes !) a refusé de trancher entre l’idée d’une prison-répression ou bien celle d’une prison correctrice et réhabilitatrice.

Nous avons donc eu à la tête de nos institutions pénitentiaires des hommes au profil complètement différent, de l’humaniste Deepak Bhookun au visionnaire Bill Duff, en passant par le fantasque Vyajanarayanan ou, à présent, le loufoque Vinod Appadoo. Nous ne nous attarderons pas trop sur Appadoo car nous estimons qu’il n’est que l’instrument d’une politique carcérale conservatrice préconisée par le ministre mentor, Anerood Jugnauth. Nous sommes convaincus qu’il ne sera qu’une parenthèse dans l’histoire de la prison à Maurice…

La République de Maurice a une population carcérale d’environ 2 500 prisonniers pour une population de 1 200 000. Cela nous donne 200 citoyens emprisonnés pour 100 000 habitants. À titre de comparaison, les États- Unis, 750 pour 100 000 ; l’Afrique du Sud, 325 pour 100 000 et la France, 120 pour 100 000.

Nous avons une dizaine de prisons Les plus «prisoner friendly» sont la prison ouverte de Richelieu, qui se trouve dans la nature, au milieu des champs de cannes et où les «contacts visits» sont permis (Appadoo, il est vrai, est déjà passé par là et va lui donner bientôt sa rigueur toute militaire) et la prison de Petit-Verger avec vue sur mer. Le plus traumatisant pour ceux qui y sont allés est le High Security prison de Melrose avec «ses grosses portes métalliques» et «son énergie particulière» pour reprendre l’expression d’un visiteur de prison. N’oublions pas aussi l’«Open prison» pour les femmes.

Contrairement à la doxa populaire (et populiste), vivre à la prison n’est pas vivre dans un hôtel cinq étoiles. Tout citoyen qui l’affirme, avant de l’ouvrir, devrait passer, ne serait-ce qu’une semaine en prison. La privation de liberté est humainement difficilement acceptable pour tout être humain normalement constitué. Vijay Ramanjooloo, psychologue clinicien, estime que jusqu’à 85 % de la population carcérale souffre de problèmes psychiatriques : bipolarité, schizophrénie entre autres.

Le psychologue n’hésite pas à dire que, pour lui, la prison est «le coeur d’une société et que nul ne peut se vanter de pouvoir contrôler ses émotions !». Il ajoute aussi que dans le cas de crimes passionnels, la plupart des accusés sont des «first offenders ». Pour le citoyen lambda mauricien, qui ne voit le monde qu’en blanc ou noir, cela devrait être une bonne leçon.

«Maurice a une population carcérale d’environ 2 500 prisonniers pour une population de 1 200 000.»

Pour schématiser, la situation dans les prisons mauriciennes n’est pas comme sur le continent africain ou à Madagascar, où la prison c’est «l’enfer sur terre» mais elle n’est pas non plus conforme aux «meilleures pratiques du monde.» Les Nations Unies, par exemple recommandent de séparer les prisonniers en fonction de leur dangerosité. Nous avons une Commission des droits de l’homme (National Human Rights Commission, NHRC), présidé par Dhiraj Seetulsingh, et logiquement elle devrait «lobby» l’État pour aller dans ce sens. Mais que peuton attendre de la NHRC en matière des droits humains à Maurice alors que nous sommes allés de déception en déception durant la dernière décennie ?

L’ancien juge Seetulsingh semble être l’homme idéal pour nos politiciens en matière des droits humains puisqu’il est toujours là en dépit des changements de régime ! À vrai dire, à sa place, une borne ferait l’affaire puisqu’on lui demande de ne rien toucher au système. Pour comprendre l’avènement et la montée en puissance de Vinod Appadoo ces derniers mois, il nous faut suivre les actions politiques du gouvernement Lepep.

En évinçant brutalement Hervé Lassémillante et Vijay Ramanjooloo, qui faisaient du bien aux prisonniers et s’assuraient qu’ils étaient traités selon les normes des droits humains, et en les remplaçant par Mme Teeluckdharry, femme «allergique» aux visites en prison, une voie royale a été ouverte pour la militarisation de nos prisons. Seetulsingh n’avait qu’à fermer ses yeux et ses oreilles et les néophytes Ravat et Vieillesse n’avaient qu’à l’imiter (et surtout éviter de suivre les pas du tandem «entreprenant» Lassémillante et Ramanjooloo) et tout ‘irait mieux dans le meilleur des mondes.’

À l’entame de ce 3e millénaire, la modernisation et l’humanisation de nos prisons nous paraissent comme des conditions sine qua non pour placer la République de Maurice à l’avant-garde de ce qui se fait de mieux en matière de politique pénitentiaire. Les citoyens mauriciens ne devraient pas avoir le réflexe de se dire que «nous sommes les meilleurs en Afrique» car, au royaume des aveugles, le borgne peut toujours être roi, pour employer cette expression vulgaire. Au contraire, comme Dostoïevski, nous pensons que l’on juge du degré de civilisation d’un État qu’en visitant ses prisons.

À Maurice, Appadoo nous fait reculer considérablement lorsqu’il refuse par exemple à Dis Moi le droit de visiter des réfugiés congolais alors que nous l’avons fait de façon routinière pour les Irakiens, Sierra Léonais ou Seychellois dans le passé. Opter pour le tout répressif peut être tentant pour un politicien et sa marionnette mais nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir de répression efficace sans prévention et réinsertion. Cela nous étonnerait grandement qu’Appadoo puisse aller loin avec sa politique totalitaire et l’histoire nous donnera bientôt raison.