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Tout gratuit ou tout payant ?

23 janvier 2019, 12:37

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Gratuit ! Tel sera l’enseignement universitaire à l’université de Maurice.

L’annonce de cette gratuité a pour but d’élargir l’accès des Mauriciens à l’université. Les Mauriciens sont en retard par rapport aux pays d’Asie, estimet- on en haut lieu. Ces pays-là, eux, misent sur le tout académique. Si nous voulons vivre nos ambitions, cravachons notre population. Offronslui un ascenseur académique gratuit. Avec un chèque annuel de Rs 600 millions, le pays s’offre la modernité dont il rêvait.

La gratuité comporte un bonus : une promesse d’égalité des chances. Permettre que ceux au bas de l’échelle se construisent un avenir au haut de l’échelle. En ces temps de remise en cause du modèle ultracapitaliste, c’est une initiative dont on ne peut ignorer la pertinence.

Pour autant, le choix de la gratuité part d’une hypothèse (qui reste une hypothèse) : les Mauriciens ne poursuivraient pas leurs études, parce qu’ils n’en auraient pas les moyens. Donc, il faudrait les aider. Est-ce véritablement le cas ? S’il est certain que certaines familles très modestes ont besoin d’aide, est-ce le seul et unique obstacle au choix de faire des études universitaires ? Ne peut-on pas les aider par un système de bourses plus généreux ? Ou existe-t-il d’autres barrières à la formation universitaire ? Résultats du HSC pas assez bons, désintérêt pour les filières scientifiques, perspectives de salaires faibles même pour les diplômés sont autant de facteurs qui ne seront pas résolus par un chèque du bureau du Trésor.

Entre-temps, si le simple geste de gratuité permettait de véritablement rétablir un équilibre social, il y a longtemps que l’histoire économique l’aurait encensée. Or, tel n’est pas le cas. La gratuité n’est pas une formule magique. Ses inconvénients sont déjà connus.

Prenons un exemple qui n’est pas très loin : la gratuité du transport pour les étudiants et les personnes âgées. Belle intention. Et une expérience de politique publique de plus de dix ans. Que voyons-nous sur les routes ? Des bus surchargés, mal entretenus. Les étudiants et personnes âgées sont désormais tous dotés d’un smartphone sur lequel ils ont plus de chance de trouver un taxi marron qu’un horaire de bus. Sur le plan économique, si les entreprises et les particuliers sont encore de la course, c’est qu’ils se sont rabattus sur de multiples formules privées et payantes : voitures «reconditioned», minibus. Si bien que l’économie mauricienne pâtit de ses routes embouteillées, qu’Ébène plus connue pour ses parkings sauvages que pour son transport d’avantgarde. Et que bien des étudiants qui habitent loin laissent parfois tomber les études en raison des heures de transport perdues pour aller à Réduit que du chèque annuel de frais administratifs.

Plus que jamais, celui qui ne dépend que du bus public est un laissé-pour-compte de la société. Et que si on veut d’une économie performante, il faut aujourd’hui réinventer notre système de transport à coups de milliards.

Cette expérience de gratuité devrait nous avoir donné du recul. Pourrait dresser un parallèle avec cette annonce de gratuité de l’université. Quels pourraient être ses effets à long terme ? Quel signal envoie-t-on aux usagers de demain ? Une baisse de qualité anticipée ? Or, l’université de Maurice n’opère pas dans un vide de concurrence. La connaissance théorique est aujourd’hui loin d’être élitiste. Elle est vaste, abondante et de moins en moins chère. Dès lors, la différence dans une éducation ne passe plus seulement par l’accès à cette connaissance. Elle passe par tout ce qui tourne autour de l’université : l’accès au soutien personnalisé, aux projets étudiants en groupe, aux réseaux associatifs, à l’accompagnement dans la construction d’un projet professionnel. Des services qui, pour leur part, coûtent vraiment cher.

Piéger l’université dans une rigidité du financement pour tous, à l’opposé d’un système de bourses plus généreux par exemple, implique d’imposer à tous les étudiants des inconvénients à long terme.

À trop rêver du tout gratuit, ne risque-t-on pas de promouvoir le tout payant ?