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Formation transformée ou une simple stratégie électorale ?

18 janvier 2019, 07:51

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Formation transformée ou une simple stratégie électorale ?

«De l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays.»

Benjamin Disraeli

Nous avons enfin quelques détails sur l’annonce choc du Premier ministre lors de ses voeux pour la nouvelle année. Deux chiffres : Rs 600 millions par an sur le porte-monnaie du contribuable et 10 universités concernées, ou 11, on ne sait pas trop, tout comme le gouvernement lui-même apparemment. La ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, a pris le temps de l’explication, notamment quant à la vision du gouvernement pour la promotion de l’égalité des chances et l’essor à Maurice de ce qu’elle a nommé un digital economy et un think-tank hub pour le continent africain.

Statistics Mauritius, dans son rapport pour le troisième trimestre de 2018, estime que le taux de chômage des 16-24 ans est de 25,2 % alors que le taux de chômage des 25-29 ans est de 9,8 %. Il y a plusieurs raisons à cette chute spectaculaire du chômage entre ces deux tranches d’âge, mais la principale semble être que les jeunes ayant déjà eu une expérience de travail trouvent plus facilement un emploi par la suite.

Nous noterons néanmoins que le taux de 9,8 % pour les 25-29 ans reste au-dessus de la moyenne nationale, qui situe le chômage à 6,9 % pour la fin 2018. Nous constatons donc que le chômage des 16-29 ans reste beaucoup plus important que celui des 30 ans ou plus, sur les 39 800 chômeurs enregistrés à Maurice, 26 300 étant âgés de 16 à 29 ans, ce qui représente 66 % du total. Voilà donc une statistique alarmante : 66 % des chômeurs à Maurice ont moins de 30 ans.

Cette statistique démontre à elle toute seule l’urgence de repenser les offres de formation dans les institutions d’enseignement supérieur, notamment dans une conjoncture où le vieillissement de la population signifie que les moins de 30 ans d’aujourd’hui vont devoir produire plus de richesse afin de pouvoir payer l’augmentation du coût des retraites et des bénéfices sociaux dans un futur assez proche.

L’urgence n’est ainsi donc pas seulement de revoir les offres de formation, mais aussi de revoir les offres de formation dans les secteurs qui débouchent sur des emplois à hauts revenus et à forte productivité. En d’autres termes, les institutions universitaires doivent produire une force de travail plus qualifiée et plus préparée pour le marché du travail qu’elle ne l’est aujourd’hui. Nous noterons ici que les institutions universitaires privées ont déjà pris la mesure de ce problème, en proposant notamment des formations reconnues par les investisseurs étrangers, grâce à des partenariats stratégiques avec des universités étrangères.

La concurrence à laquelle font face les institutions publiques dans l’offre locale est donc déjà très diversifiée et de renommée internationale. L’on aurait donc pu croire qu’une politique concernant les universités publiques prenne en compte la nécessité de délivrer une éducation qui s’aligne sur la qualité et les innovations proposées par les institutions privées. Or, l’annonce de la gratuité de l’éducation supérieure publique ne s’inscrit aucunement dans cet impératif d’accroissement des savoirs et des compétences.

Ce petit détour par la question de l’emploi et du chômage n’est pas anodin. Toute politique publique sur l’éducation n’est pas uniquement un dispositif qui se cantonne à la formation et à l’accès à l’éducation, mais elle se doit également de faire le lien entre la formation et l’emploi. Ce lien est absolument essentiel pour assurer l’égalité et la justice dans notre société.

En d’autres termes, nous ne produirons pas de justice et de mobilité sociale seulement en permettant aux jeunes d’avoir un diplôme. La justice et la mobilité sociale viendront lorsque ces jeunes pourront obtenir un emploi avec des perspectives de carrière, ou encore lorsqu’ils auront les outils leur permettant l’accès à l’entrepreneuriat, grâce à leurs diplômes.

Or, encore une fois, nous restons sur notre faim quant à ces questions. Il est ici très intéressant de lire le Quality Audit Report de la Tertiary Education Commission sur l’Université de Maurice (UoM), publié en août 2018. (…) Lorsque l’on sait que l’UoM est considérée comme le fleuron et la locomotive des institutions universitaires publiques à Maurice, nous avons – au vu de ce rapport – toutes les raisons d’être profondément sceptiques quant à l’essor d’une économie numérique et d’un think-tank hub qui produiront de l’emploi pour les étudiants issus de ces universités.

Ces secteurs vont décoller à Maurice, et ils produiront de l’emploi. Mais ces emplois iront, dans leur majorité, à des Mauriciens ayant des diplômes d’institutions locales privées ou d’institutions étrangères ; ou bien à des non-Mauriciens ayant des diplômes d’institutions étrangères grâce à l’Occupational Permit Scheme de l’Economic Development Board. (…)

D’ailleurs, l’ambition de la création d’un think-tank hub à Maurice est un exemple particulièrement criant de l’inadéquation de cette nouvelle politique. C’est simple : aucune université publique à Maurice ne produit actuellement le niveau de compétence requis pour des think-tanks dont l’ambition est de produire des solutions économiques, stratégiques, géopolitiques, sociales, politiques ou encore culturelles pour la région (…)

Il aurait mieux valu investir massivement dans le développement des capacités humaines de notre jeunesse – et ce dès la petite enfance – afin d’avoir un capital humain à très fort potentiel d’ici quelques années. Ceci n’aurait en aucun cas empêché l’égalité des chances, car au lieu de simplement déclarer la gratuité de l’éducation universitaire publique, le gouvernement aurait pu utiliser les Rs 600 millions trouvés afin de mettre en place un fond public s’inspirant du système de la Federal Financial Aid aux États-Unis, et dont l’objectif aurait été de donner le choix de l’institution et de l’offre de formation à tous les jeunes Mauriciens.

Un système comme celui-ci aurait été beaucoup plus équitable et aurait aussi ouvert les portes des institutions privées aux étudiants ayant obtenu une admission mais n’ayant pas forcément les moyens de s’acquitter des frais de scolarité. Mais il n’en est rien. Le gouvernement vient de réaliser un exercice de communication qui n’est rien d’autre qu’un cadeau électoral qui ne répond en aucun cas à la nécessité d’augmenter l’employabilité des jeunes diplômés, à l’urgence d’entamer la transformation du paysage éducatif mauricien, et qui risque même d’accentuer les inégalités sociales au sein de notre société – au lieu de les combattre.

En se faisant, ils sont passés à côté du problème et sont hors sujet dans un domaine qui est pourtant vital pour le développement de notre pays.