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Effets d’annonce: Entre indécence et clientélisme politique

15 janvier 2019, 12:37

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Il est indéniable que c’est en partie grâce à l’éducation gratuite que notre pays a pu réussir le pari de passer d’une économie basée sur l’agriculture à une économie diversifiée. Notre société témoigne d’ailleurs d’une certaine mobilité intergénérationnelle ascendante – beaucoup de nos cadres, que ce soit du public ou du privé, sont fils ou filles de manuels, une partie non négligeable venant même de foyers démunis dans la fin des années 70, preuve de l’impact que la gratuité a pu avoir sur les destinées individuelles.

Cependant, le monde dans lequel nous vivons est beaucoup plus complexe que celui d’avant – l’écart entre riches et pauvres ne fait qu’augmenter et il serait donc illusoire de croire que la gratuité de l’enseignement supérieur public suffirait en elle-même de pallier les inégalités. Contrairement à Pravind Jugnauth, qui présente la gratuité à l’université comme la panacée, force est de constater que cette mesure ne changera pas grand-chose aux perspectives d’avenir d’une très grande partie de la population : pour commencer, la gratuité rend-elle l’université plus accessible aux jeunes des milieux modestes ?

Taux de réussite au HSC

Plus de 25 % de collégiens échouent au Higher School Certificate (HSC), et donc ne satisfont pas les critères d’admission pour entrer à l’université. Nous parlons de statistiques nationales alors que dans certains collèges le pourcentage de réussite peine à atteindre les 40 %. Nos politiques démagogues utilisent à satiété le mot «gratuit». Rien n’est gratuit. Ce sont les taxes publiques qui devront financer les dépenses additionnelles dans ce secteur.

On a tendance à oublier que les indigents, à travers la TVA par exemple, paient aussi les taxes. Ils vont donc indirectement casquer afin de financer des services auxquels ils n’auront pas accès. N’aurait-il pas été plus judicieux d’investir davantage dans l’éducation secondaire, afin de lutter efficacement contre le décrochage scolaire ?

Nine-Year Schooling et décrochage scolaire

Afin d’augmenter les chances de ceux en situation d’échec de compléter leurs études secondaires, le Nine-Year Schooling préconise que ces collégiens prennent quatre ans au lieu de trois ans (extended stream) avant de passer l’examen national en Grade  9. Cependant, les enseignants en contact avec ces collégiens déplorent le fait qu’un grand nombre d’entre eux arrive à peine à écrire leur nom ! Cette stratégie est-elle alors pédagogiquement viable ?

Rien n’est moins sûr, à moins que la ministre de l’Éducation, enseignante de carrière, se mette en disponibilité pendant un mois, aille sur le terrain afin de galvaniser ses troupes et démontrer que grâce au savoir-faire et à l’assiduité de l’enseignant on peut arriver à des résultats probants ! À un moment où la drogue devient une urgence nationale, il ne faudrait pas oublier que les chances de tomber dans la délinquance sont décuplées quand on décroche prématurément de l’école ! Il faudrait donc faire dans la prévention en investissant beaucoup dans ce domaine.

À ce jour, certains de nos collèges ressemblent davantage à des lieux de gardiennage, où ne sont véhiculés que des savoirs à être mémorisés. Investir pour investir, au lieu de l’éducation universitaire gratuite, on aurait dû employer davantage d’assistantes sociales, de psychologues et de conseillers d’orientation dans certains de nos collèges. Ces jeunes ont souvent des parents en précarité professionnelle, qui ne comprennent rien au système éducatif. Ils n’ont donc aucune chance de s’échapper de la trappe de la pauvreté si l’État ne met pas en place de vraies structures pour les aider.

Où se situent donc nos réelles priorités dans le secteur éducatif ? La légèreté avec laquelle nos dirigeants traitent de l’éducation démontre une complète ignorance des relations existant entre l’éducation et la croissance économique.

Économie de l’éducation

Pravind Jugnauth et son équipe auraient dû tirer des leçons des erreurs commises par sir Seewoosagur Ramgoolam quand celui-ci a dispensé l’éducation gratuite en 1976 à des fins purement électoralistes, lui aussi. Même si une partie de la population a pu saisir cette opportunité, cet exercice improvisé nous a laissés à long terme un lourd héritage : chaos complet avec les collèges confessionnels privés, les collèges privés, les collèges d’État et les collèges privés payants.

Avec sa somme de scandales voilés et dévoilés entourant les subventions sortant des poches des contribuables et entrant dans celles des propriétaires des collèges privés ! Quelles seront donc les modalités entourant ce passage à la gratuité dans le secteur de l’enseignement supérieur ? Et qu’en est-il de la transparence des fonds publics ? Pravind Jugnauth le sait-il lui-même ?

Comme nous l’avons dit précédemment, il y a un lien étroit entre la qualité de l’éducation et la réussite économique d’un pays. Nous proposons au lecteur de trouver des réponses à certaines questions, ce qui lui permettra de réfléchir sur le bien-fondé de la gratuité à l’université.

1. Dans un contexte de contraintes accrues des ressources publiques, l’éducation universitaire gratuite est-elle une priorité ?

2. Nos économistes ont-ils participé à des recherches de stratégie coûts-efficacité avant que Pravind Jugnauth ne donne le feu vert ? N’aurons-nous pas affaire à des jeunes qui fréquenteront l’université uniquement en attendant de trouver du travail ?

3. Les apprenants auront-ils la possibilité de choisir des cursus correspondant au milieu environnant, aux besoins réels du pays ou bien, par défaut, certains serontils obligés de s’orienter vers des filières peu porteuses ?

4. L’écart salarial entre les individus avec diplôme et sans diplôme augmente-t-il ou s’amincit-il?

5. Avec le nombre de jeunes qui iront à l’université, avons-nous des garanties qu’ils occuperont des emplois conformes à leurs qualifications ?

6. Tout le monde est-il fait pour de longues études ? Est-ce que le fait de prolonger la durée des études garantit-il de meilleurs salaires ?

7. La gratuité n’encourage-t-elle pas le laxisme ?

8. Peut-on vraiment mieux se vendre grâce à un diplôme ?

9. Quelle serait la rentabilité du diplôme public par rapport à celui du privé ?

Cette dernière problématique semble malheureusement présager que ceux qui vont se laisser tenter par la gratuité vont être désillusionnés. Alors même que dans toutes ses entrevues, Madame la Ministre scande que toutes les institutions éducatives ont le même niveau, il est fort à parier que beaucoup d’employeurs, soupçonnant que le quantitatif se fait au détriment du qualitatif, vont valoriser davantage les étudiants venant du privé.

Ce sera alors la grande débâcle pour ceux qui auront saisi l’opportunité de la gratuité pour étudier. Surtout que dans une concurrence accrue pour l’emploi, il y a déjà une course à l’accumulation des diplômesalors même qu’ironiquement, le diplôme garantit de moins en moins l’accès aux emplois qualifiés.

La capacité de Pravind Jugnauth d’émuler Navin Ramgoolam nous laisse perplexe. Après le Metro Express qu’il a fustigé puis adopté, c’est maintenant le projet «une famille, un diplômé» qui l’habite. Fidèle à sa marque de fabrique, il fait dans l’improvisation, mettant systématiquement la charrue devant les boeufs. Il aurait pu engager le dialogue avec le peuple, proposer par exemple l’idée d’indexer les droits de scolarité à la capacité de payer des familles, mais comme le Roi Soleil, il coupe et tranche en tout amateurisme.

À Côte d’Or, les coûts augmentent de manière conséquente parce qu’il «oublie» de faire une étude du sol avant de commencer les travaux. Il est heureux pour sa famille et lui que ses finances personnelles ne soient pas gérées de la même manière ! Et que dire de cette manière de mettre ses concitoyens devant le fait accompli, par exemple en ce qu’il s’agit de la réforme électorale. Comme si les incompétences de Pravind Jugnauth ne suffisaient pas, il a fallu en plus qu’il s’entoure de conseillers incapables, comme lui, de bien jauger les conséquences de leurs idées «innovantes» : la vente de passeport mauricien, projet heureusement avorté !

Cependant, la mesure électoraliste qu’est l’université gratuite risque de mettre à genoux toute une génération de jeunes. Ceux-ci, vu la gratuité jubilent, alors même que sous ce gouvernement plus que sous tout autre, les emplois restent souvent davantage liés à des positions dans des réseaux de pouvoir qu’à de réelles compétences. Devrait-on alors s’étonner de l’exode de cerveaux de plus en plus conséquent ?

Un économiste affûté l’a dit haut et fort : «L’absence de débats économiques est responsable de la stagnation économique.» On ne fait que parler d’augmentation de salaires sans parler de productivité. Pravind Jugnauth ne gouverne qu’en fonction des lobbies. Son discours lui a donné raison sur toute la ligne. Le premier jour de l’An, le Premier ministre a exercé son droit à faire du clientélisme politique ou, plus couramment, la «reconnaissance du ventre».

Le 1er janvier, alors que tous les indicateurs économiques sont au rouge, nous étions loin, très loin du discours de vérité. «Gouverner, c’est prévoir», dit-on. Le Premier ministre en est cependant aux antipodes. Grisé par le pouvoir, prêt à tout pour le conserver, il nous montre une fois de plus qu’il est incapable de réfléchir au-delà de la durée de son mandat. Cependant, a-t-il obtenu l’allégeance des électeurs ? Si le peuple se laisse encore une fois gruger, serait-ce excessif de dire que l’irresponsabilité serait cette fois partagée ? Le peuple n’aura que ce qu’il mérite.

Au-delà de l’indécence de Pravind Jugnauth, qui semble (par prévoyance), avoir déjà lancé la campagne électorale, nous avons vu un homme tellement tourmenté par la perspective que le pouvoir puisse lui échapper, qu’il a courtisé en direct à la fois jeunes, mères et pères de famille, fonctionnaires, vieux. Le clientélisme politique, non puni par la loi, reste cependant une forme de corruption, contraire à l’éthique. Les politiciens s’en soucient-ils ? Manifestement non, car ils sont trop occupés à préparer l’avenir. Le leur.