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Chauves-souris: pas qu’une nuisance…

29 décembre 2018, 08:18

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Après une série d’articles intitulés «La chauve-souris, cette nuisance» publiés par «l’express», la Mauritian Wildlife Foundation (MWF) a voulu apporter sa perspective dans ce débat.

La Mauritian Wildlife Foundation (MWF) a le mérite de communiquer autour des projets de conservation dans la République de Maurice et d’avoir établi une passerelle entre la conservation et la recherche et le public, incluant les enfants. Nous recherchons constamment à approfondir notre compréhension du problème lié à la chauve-souris afin de dégager des solutions pratiques, des solutions «win-win», plutôt que de rechercher du «win-lose».

Ces solutions existent, et ont fait l’objet de deux ateliers de travail réunissant toutes les parties concernées que tout un chacun peut consulter sur le Net, à travers le rapport du Net Benefits StakeholderWorkshop et celui du Mauritius Fruit Bat Research Strategy Workshop. Selon nous, Maurice n’a pas encore accordé toute l’attention nécessaire à ces solutions afin que celles-ci puissent profiter aussi bien aux producteurs de fruits qu’à l’environnement et à la biodiversité. Le pays persiste à appliquer des mesures comme les abattages, qui non seulement ne vont pas résoudre le problème des producteurs, mais en rajoutent d’autres. A noter que l’abattage de chauves-souris n’a jamais atteint l’objectif de réduire des pertes de fruits et nous avons nul rapport ni publication scientifique des autorités locales prouvant le contraire.

Nos connaissances sur la chauve-souris s’améliorent d’année en année. Mais il nous reste des éléments à découvrir. Cependant, les recherches effectuées jusqu’à présent à Maurice, et sur d’autres espèces de chauves-souris frugivores ailleurs, démontrent que les dégâts imputés aux chauves-souris sont exagérés et que l’abattage est un moyen totalement inefficace pour résoudre ce problème (Olival K 2016, To cull or not to cull, bat is the question.

Nous sommes d’accord qu’il y a eu une augmentation de la population de la chauve-souris du fait que les forts cyclones ont été rares. Nous sommes tout également d’accord avec les chiffres officiels du gouvernement de 62 500 individus (octobre 2017). Nos forêts indigènes diminuent comme peau de chagrin et ne peuvent pas soutenir une population bien audelà de ce nombre. Un taux de croissance de la chauve-souris de 17 % annuellement est intenable pour nos forêts et, de plus, plusieurs facteurs n’ont pas été pris en compte : l’âge de la maturation sexuelle et l’âge maximal de reproduction des femelles (inconnue), le fait que certains mâles et femelles ne se reproduisent pas (il existe une hiérarchie sociale), les sècheresses qui sont aussi responsables de mortalité, par exemple. Des simulations de la dynamique des populations se font avec des programmes de «Population Biology» tels que «Vortex», avec beaucoup de paramètres qui interagissent de manières complexes. Cela n’a jamais été un banal calcul !

L’auteur de cette série d’articles a supposé que toutes les chauves-souris ne mangent que du letchi ! Or, les résultats de recherches démontrent que les dégâts causés par la chauve-souris aux letchis sont de 20 à 25 % en moyenne et que ces dégâts peuvent être réduits à zéro en installant des filets convenablement, chose que l’abattage ne ferait jamais.

De plus, l’auteur écrit que «la chauve-souris est devenue une nuisance en mangeant tous nos fruits», mais nous savons que nos fruits locaux (letchis, mangues, longanes) ne durent que quelques mois. Des oiseaux, rats, la chute naturelle des fruits, des facteurs climatiques, insectes et maladies sont tout aussi responsables des pertes. Nous avons aussi des baisses de production dues à la physiologie des plantes (une bonne année de production est suivie d’une mauvaise année de production, ce que tous les agriculteurs connaissent bien). Mais nous constatons un gaspillage inacceptable des fruits non récoltés chaque année, même quand la production est faible. Nous devons réduire ce gaspillage, qui est bien plus important que les dégâts occasionnés par les chauves-souris.

Les cyclones peuvent causer de fortes baisses des populations. Exemples : 80 % de la roussette du Pacifique Pteropus tonganus ont été éliminées après le cyclone Waka sur Vava’u Islands de Tonga ; dans le Samoa Americain et Samoa. Les populations de P. tonganus et du renard volant de Samoa P. samoensis ont été décimées de 80 à 99 % suite aux cyclones Ofa en 1990 et Val en 1991 et bien d’autres exemples au niveau mondial.

Plus près de nous, la chauvesouris de Rodrigues Pteropus rodricensis est sortie de la catégorie «commun» et s’est retrouvée à 70 individus suite au cyclone Céline II en 1979. Elle est ainsi devenue la chauve-souris la plus rare au monde ! La population se rétablissait mais a par la suite été réduite de nouveau par le cyclone Kalunde en 2003. Il y a eu de grandes baisses de population de la chauve-souris de Maurice dans les années 1960 mais personne ne les recensait pour en démontrer l’étendue.

N’oublions pas que la chauvesouris donne l’impression d’être plus nombreuse qu’elle ne l’est en réalité puisqu’elle est un grand animal, se rassemble en grand nombre dans les dortoirs du jour, sort à la tombée de la nuit en grand nombre, fait de grands bruits et fait beaucoup le va-et-vient d’arbre en arbre, en mangeant.

Le phénomène de consommation des letchis et mangues par la chauve-souris est récent. Il peut être dû à un changement de comportement forcé pas le déclin des forêts en termes de superficie et de qualité. La solution ne devraitelle donc pas être un plus grand effort de restauration de forêts et de recréation de forêts indigènes et non l’abattage ?

La mortalité des chauves-souris en 2015 était due au manque de nourriture (confirmé par des analyses vétérinaires). Ceci contredisait tous ceux qui pensaient que la chauve-souris était en expansion à l’infini et atteignait des «centaines de milliers ou millions d’individus ». Comme toute population sauvage, la nature va s’autoréguler à la base de l’habitat disponible, la nourriture, la compétition entre individus, les maladies, etc. Les individus faibles seront éliminés prioritairement. Et cela ne nécessite pas un contrôle de chasseurs ou de la Special Mobile Force.

Une étude par Sophie Robin, il y a plus de 10 ans, avait établi un nombre initial de dortoirs et des recherches de terrain, depuis, ont sensiblement amélioré la connaissance des gites, qui aujourd’hui se situe à moins de 100, de tailles allant de quelques dizaines d’individus et à quelques milliers pour certains. Les chauves-souris changent de gites durant l’année et nous avons constaté des gites très fréquentés durant une période de l’année étaient vides à d’autres moments. Il n’y a pas «plus de 500 gîtes» ! L’auteur peut-il nous envoyer une carte des localisations de terrain avec un nombre recensé pour nous en convaincre ?

A contrario des dégâts aux fruits imputés aux chauves-souris, nous pourront en chiffrer les bienfaits en termes de pollinisation, dispersion de graines, maintien de la couverture végétale (et conservation de l’eau et assainissement de l’air en conséquence), maintien de plantes endémiques dont une bonne partie dépend des chauves-souris (la chauve-souris consomme les fruits d’environ 53 % des plantes indigènes ligneuses de nos forêts). Beaucoup de ces espèces sont elles-mêmes en danger d’extinction et plusieurs n’ont que la roussette pour disséminer leurs graines. Sans compter que ces arbres qui dépendent de la chauve-souris façonnent l’habitat permettant aux centaines d’espèces formant le gros de notre biodiversité de se maintenir dans la nature (ex. oiseaux, reptiles, insectes, escargots, orchidées, fougères). Nous invitons l’auteur à se renseigner sur le concept «espèce clef de voûte» : Florens et al 2017 Disproportionately large ecological role of a recently mass-culled flying fox in native forests of an oceanic island. DOI: 10.1016/j. jnc.2017.10.002).

De plus, la grosse chauve-souris Pteropus niger, tout comme la chauve-souris indigène Mormopterus acetabulosus (chauve-souris des caves ; endémique de Maurice) et le Taphozous mauritianus (‘Tomb Bat’, ‘taphe’ ; indigène de Maurice) sont toutes protégées par nos lois et une bonne lecture de ces lois ne démontre aucune confusion entre les diverses espèces, contrairement à ce que suggère l’auteur.

Quant à l’étude sur les maladies dont l’auteur fait référence, cette étude est déjà publiée (Gomard et al : Pathogen investigation of two Mauritian bat species: Pteropus niger and Mormopterus acetabulosus). Elle n’a pu déceler des maladies communicables à l’homme par le Pteropus niger. Il est difficile, voire impossible, de détecter une chose qui n’existe pas !

Nous ne pouvons pas discuter du cas de la patiente dont l’auteur fait mention sans une confirmation médicale et sans que la voie de transmission n’ait été établie. Nous ne parlons pas de symptômes, mais de la confirmation du virus lui-même et de l’animal porteur. Sans ces informations, toute discussion sera pure hypothèse, au risque de causer une psychose inutile. Si la chauve-souris de Maurice était porteuse de virus mortel (Ebola et autres), comme voudrait faire croire l’auteur, on l’aurait su, vu le nombre de Mauriciens qui mange ou a mangé la chauve-souris et qui jouit d’une bonne santé. On ne peut pas non plus imputer toute mortalité inexplicable ou non-résolue aux chauves-souris ! L’auteur prétend que les chauves-souris sont autour de nous. Je dirai le contraire ! Les Mauriciens sont tout autour d’eux, grâce aux développements tous azimuts près ou sur des montagnes ou dans les forêts, sur les berges de rivières, sur leurs couloirs migratoires. Le développement galopant de notre île nous amènerait à empiéter davantage sur le territoire des chauves-souris.

La perte d’habitat, le changement climatique et le développement vont nous rapprocher davantage des chauves-souris. Ce qui appelle à une meilleure cohabitation avec la chauve-souris, une amélioration de l’aménagement du territoire, des investissements plus importants pour la protection et la restauration de nos forêts (tant publiques que privées), et non une diabolisation sans fondement de la chauve-souris.

Nous apportons toute la science permettant de comprendre et de résoudre de façon non-létale le conflit entre les humains et les chauves-souris. Il s’agit pour nous de promouvoir l’importance de la chauve-souris pour l’écosystème et une cohabitation avec l’animal. Nous nous efforçons d’informer et de communiquer avec le public pour protéger la biodiversité mauricienne qui ne cesse de faire face à des pressions poussant nombre d’espèces vers l’extinction. Maurice a tout à gagner à se montrer capable de dégager une gestion moderne et intelligente de l’environnement qui privilégie des faits et une logique scientifique au lieu d’avoir recours à des solutions telle l’abattage dont l’efficacité n’a même pas été démontrée.