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«Nous attendrons avec impatience ‘Les Années Ramgoolam’»

14 décembre 2018, 08:03

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«Jugnauth-Bérenger Ennemis intimes» 

Chers amis,

Il y a maintenant neuf ans, avec la publication de «Passions Politiques», Jean Claude de l’Estrac faisait revivre, avec une riche documentation, et avec son évident talent «d’historien du quotidien», l’effondrement inexorable du régime à bout de souffle de sir Seewoosagur Ramgoolam. Pour notre plus grand plaisir, et pour poursuivre son œuvre de mise en lumière des grandes étapes de notre histoire, Jean Claude revient, cette année, avec «Jugnauth-Bérenger Ennemis intimes», le rappel de ce qu’on pourrait appeler «Les Années Jugnauth» – ou devrions nous dire, pour être plus précis, «Les Premières Années Jugnauth». Cette précision est utile, car le caractère largement imprévisible de la politique  mauricienne ramènera sir Anerood Jugnauth (SAJ) à la direction du gouvernement une deuxième fois entre 2000 et 2003 et (de manière plus inattendue) une troisième fois entre 2014 et 2016.

Avec la rigueur qu’on lui connaît, avec les yeux du témoin privilégié qui vécut jour après jour cette exceptionnelle période de notre histoire, Jean Claude, cette fois, décortique les grands événements du premier Prime ministership de SAJ, l’intense rivalité qui l’opposa à ses anciens amis du MMM et ses efforts permanents pour demeurer au pouvoir en contractant diverses alliances. Cette période 1982-95 restera, dans les esprits, comme l’une des plus marquantes, l’une des plus stimulantes et l’une des plus fécondes de l’histoire de ce pays. Une période décisive pour la transformation sociale et le rethinking de l’île Maurice moderne. Elle sera aussi une période de tumulte incessant et de réaménagement constant du paysage politique, avec le choc explosif des ambitions de deux hommes hors du commun, SAJ et Paul Bérenger, les deux «ennemis intimes» qu’invoque le titre du livre. 

Ennemis d’autant plus féroces que les amis (on le sait) font souvent les pires ennemis car ils savent exactement où frapper, où blesser pour faire le plus mal. «Les années Jugnauth» que raconte Jean-Claude changeront à tout jamais l’île Maurice. Sur le plan économique, on vivra, à travers le livre, la remarquable montée en puissance du pays pendant 13 ans, le nouveau dynamisme qui règnera, une poussée sans pareille de l’esprit d’entreprise.

Maurice va, en effet, connaître entre 1982 et 1995 une croissance nationale moyenne de 5,9 %. Le produit national brut, en 13 ans, sera plus que quintuplé, passant de Rs 10 milliards à Rs 62 milliards. On assistera à la consolidation des piliers économiques traditionnels (agriculture, Industrie) mais aussi à l’émergence de nouveaux secteurs (services financiers, offshore, port franc). On verra l’explosion du tourisme, les visiteurs passant de 140 000 à 423 000 , avec des recettes touristiques de 7 milliards. On assistera au recul spectaculaire du chômage, de 23 % en 1982 à 3 % en 1995.

Cette période se caractérise également par l’entrée en force de la consommation de masse ; une forte poussée des investissements étrangers ; une réforme résolue de la fiscalité (l’impôt reculant de 65 % à 30 % ) ; la libéralisation du taux de change ; une excellente collaboration entre les secteurs public et privé. Tout cela va redéfinir les contours du pays et le porter vers un État moderne, optimiste et ambitieux.

Sur le plan social, on verra, dans la foulée, une plus grande mobilité sociale, l’élargissement de la classe moyenne, un partage plus équitable des fruits de la croissance. Sur le plan politique, enfin, pour les nouveaux administrateurs du MMM, parvenus au pouvoir après 13 ans d’activisme sans relâche, ces premières années post-Travaillistes vont, pourtant, être celles de la confrontation des idéaux avec le réel, celles du pragmatisme forcé, celles de la désillusion également qui, toutes, contribueront finalement à l’implosion du nouveau pouvoir. Elle le sera, sous le coup des frustrations, des renoncements, des antagonismes, des intrigues et des trahisons de part et d’autre que Jean Claude évoque sans ménagement.

Ce dernier décrit, avec son souci habituel de l’objectivité, l’atmosphère pourrie de la cohabitation MMM-PSM, les calculs égoïstes et communalistes, les sourdes rivalités de la période post-60/0, les nouveaux enjeux. On suivra les étapes de la fulgurante ascension de SAJ, passé de «l’ombre à la lumière», celui dont Bérenger avait cru pouvoir faire un docile exécutant de la volonté du parti et dont la base MMM avait maladroitement sous-estimé le caractère bien trempé. On revit les colères et frustrations de Bérenger menant à la dramatique implosion du MMM avec des conflits de personnalités permanents, des égos surdimensionnés et avec en coulisse un communalisme exacerbé qui briseront tragiquement les rêves de toute une génération :

Alors que le MMM se scinde en deux, donnant lieu à la formation du MSM, on revivra aussi dans le livre le début d’érosion du parti. On revivra la renaissance Travailliste sous l’impulsion de Navin Ramgoolam, que le MMM espère récupérer mais qui, en fait, prépare la revanche pour l’humiliation de 1982 et organise le retour à l’administration Travailliste. «Ennemis intimes» fait surtout une large part à l’âpre rivalité qui opposera, année après année, SAJ et Paul Bérenger, deux êtres d’exception portés chacun par le sens d’une mission historique et déterminés à changer, chacun à sa manière, le destin de l’Ile Maurice.

Au fil des pages, le lecteur sera médusé par le combat d’ambitions, les jeux de pouvoir, les arrière-pensées permanentes auxquels se livrent deux hommes complexes, fascinés par le pouvoir, prêts à tous les accommodements pour parvenir à leurs fins, souvent hargneux, avec parfois quelques fausses réconciliations, mais le plus souvent porteurs d’antagonismes refoulés.

Jean Claude se refuse à juger l’histoire des rapports difficiles et de la rancœur entre Paul Bérenger et SAJ, malgré ou peut être en raison de sa proximité avec les deux hommes. Il aligne les faits menant à chaque confrontation et laisse le lecteur formuler son propre jugement. C’est un rapport d’une extrême complexité que les historiens de demain analyseront avec passion. Tout, on le verra à la lecture de ce livre, séparait les deux hommes : l’écart de génération ; la culture politique ; l’orgueil sans limites ; la vision contrastée ce que de l’île Maurice pourrait être.

L’un, SAJ, un produit des années 60, légaliste, constitutionaliste, parlementariste, attaché à la primauté de l’Exécutif sur toutes les autres institutions politiques, ne croyant sans doute qu’à moitié aux rêves des jeunes idéologues du MMM. L’autre, Paul Bérenger, un révolutionnaire romantique, rêvant d’une île Maurice sans barrières, mais confronté au terrain, obligé de réviser sa vision sous le poids des réalités, obligé de composer sans cesse.

L’un, Jugnauth, d’une brutale franchise qui dit les choses par leur nom ; l’autre, Bérenger, tout en nuances et calculs, conscient qu’on ne lui pardonnera aucun faux pas. L’un allergique, depuis des décennies, au Travaillisme, prêt à tout pour en finir avec le PTr ; l’autre obstiné à ne fermer aucune porte qui ramènerait le PTr aux côtés du MMM.

Comme Jean-Claude, j’ai suivi l’évolution de ce couple infernal. Je pense que la différence la plus significative entre ces deux hommes reste celle-ci : SAJ aime l’exercice du pouvoir. Il est prêt à tout pour le conserver afin de pouvoir agir sur le cours des choses. Paul Bérenger, lui, est fondamentalement un guerrier qui aime par-dessus toute la conquête du pouvoir. Sa plus grande motivation, il la trouve dans l’attaque de la Citadelle. L’ayant conquise, il se lasse et s’en va chercher d’autres combats. 

Merci Jean Claude pour cette importante contribution à la mémoire politique du pays. Nous attendrons avec impatience «Les Années Ramgoolam» et nul autre que notre ami Jean Claude ne saurait mieux nous les raconter.