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«L’État c’est Pravind»

24 novembre 2018, 09:05

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Pravind Jugnauth est un citoyen à part entière de La République de Maurice. Un citoyen, sans doute pas comme les autres, un peu au-dessus des autres, mais il est un citoyen mauricien. Ce statut lui confère des droits, des privilèges et des protections qui nous sont aussi accordés : la liberté d’expression, le droit de vote, le droit à la sécurité, le droit à la protection par la loi et l’État de droit, le droit à la propriété, le droit à une vie privée ; bref, tous les droits fondamentaux tels que définis par la Constitution. Parmi ces droits, il y a celui d’estimer qu’il a été, en 2012, victime d’une interpellation policière arbitraire visant à «l’assassiner politiquement». Traîner l’État en justice pour réclamer réparation est son droit le plus fondamental. 

L’État, de son côté, pour des raisons que personne n’explique, a subitement et mystérieusement décidé de ne pas se défendre face à cette plainte et ce, même si Pravind Jugnauth n’a pas été capable d’expliquer en cour comment il s’y est pris pour estimer le préjudice allégué à Rs 100 millions. Qu’importe si l’État semblait à un moment vouloir contester le fait même que Pravind Jugnauth ait été «arrêté» (l’argument principal de la plainte) car aucune accusation provisoire n’a été retenue contre lui en 2012! Le bureau de l’Attorney General que dirige Maneesh Gobin estime dans sa sagesse que l’État n’a aucune chance de se défendre, et il décide que l’État doit abdiquer et déclarer forfait. Pravind Jugnauth, en invoquant son statut d’homme ordinaire, comme vous et moi, est donc en train de négocier avec le bureau de l’Attorney General pour un dédommagement dont la somme reste pour l’heure secrète. 

Chronologiquement, quand il a été interpellé, Pravind Jugnauth était député de l’opposition. Quand sa plainte a été déposée, il était leader de l’opposition. Quand l’affaire a été appelée une première fois devant la cour, il était ministre de la Technologie, de la communication et de l’innovation et son père, Premier ministre. Quand l’État lui a proposé un accord le mois dernier, il était chef du gouvernement et ministre des Finances.

En termes de procédure, Pravind Jugnauth, chef du gouvernement, est celui qui a décidé que Maneesh Gobin sera Attorney General (le principal conseil juridique de l’État dans les affaires similaires à celle qu’a logée Pravind-Jugnauth-l’homme-ordinaire). Il est aussi le chef du bras exécutif de l’État et ainsi celui qui constitue le Conseil des ministres censé approuver chaque roupie que dépense l’État. Le Conseil des ministres, constitué et présidé par Pravind-Jugnauth-le-Premier-ministre, doit donc donner son accord à la somme qui est proposée à Pravind-Jugnauth-l’homme-ordinaire. Enfin, le ministre des Finances c’est celui qui budgète chaque roupie que dépense l’État. Une fois la somme de dédommagement approuvée par le Conseil des ministres, Pravind -Jugnauth le-ministre-des-Finances doit inclure cette somme offerte à Pravind -Jugnauth-l’homme-ordinaire, dans un budget ou un Supplementary Appropriation Bill que Pravind Jugnauth-le ministre-des-Finances, présente à l’Assemblée nationale pour être voté. Devant une telle tournure des événements, l’affaire MedPoint, scandale qui tient son nom de la clinique que l’État a achetée quand Pravind Jugnauth était ministre des Finances en 2011 et petit actionnaire de la clinique, serait une insignifiante peccadille.

Ce serait outrancièrement scandaleux sur le principe et les procédures, même si l’État proposait une roupie symbolique en guise de dédommagement à Pravind Jugnauth et qu’il l’acceptait. Il ne reste donc que des excuses. Pravind Jugnauth, l’homme ordinaire qui cumule aussi les fonctions de Premier ministre et ministre des Finances, est condamné à accepter des excuses de l’État sans le moindre sou comme dédommagement. Certes, ce serait toujours un peu tordu que l’État s’excuse auprès de celui qui dirige le bras exécutif de l’État alors que celui-ci a décidé d’abdiquer. Mais c’est un moindre mal pour le contribuable ; un moindre mal aussi pour Pravind Jugnauth, à moins qu’il n’ait vraiment besoin de cet argent, qu’il soit politiquement suicidaire et qu’il n’ait absolument rien retenu de la leçon MedPoint.

Alors Pravind Jugnauth n’aura qu’à dire :«L’État c’est moi». Cette phrase – censée rappeler la primauté royale – est attribuée à Louis XIV, le 13 avril 1655, devant les parlementaires parisiens. Mais des historiens émettent des doutes sur la véracité de cette citation. Si Pravind Jugnauth accepte une seule roupie comme dédommagement dans un procès où l’État qu’il dirige n’a pas osé se défendre, l’histoire retiendra, sans le moindre doute, que «l’État c’est Pravind».