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L’économie océanique mauricienne: un état des lieux

8 juin 2018, 09:14

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L’économie océanique mauricienne: un état des lieux

La journée mondiale de la mer est célébrée, le 8 juin de chaque année, le but étant de conscientiser les habitants de notre planète sur l’importance de l’océan. L’espace marin couvrant 72% de la surface de la terre, elle joue un rôle fondamental dans le contrôle du climat mondial en échangeant de la chaleur et des gaz avec l’atmosphère grâce aux courants et aux vents qui balaient la surface de la mer. Aussi, avec la présence des végétaux marins, l’océan libère plus d’oxygène dans l’atmosphère que toutes les forêts du monde. En effet, la vie de chaque être humain est influencée par la mer, même s’il vit loin à l’intérieur des terres. Afin de sensibiliser davantage la population sur les sciences de l’océan, les Nations Unies ont, le 5 décembre dernier, proclamé la période 2021-2030 comme décennie des sciences océaniques pour le développement durable. Cette initiative vise à mobiliser la communauté scientifique, les décideurs politiques, les entreprises, et la société civile autour d'un programme commun de recherche et d'innovation technologique. Au niveau démographique et économique, il faut se rappeler que plus de 50 % de la population mondiale vit et travaille sur les côtes (et on s’attend à ce que ce chiffre s’élève à 75 % d’ici 2025);  90 % du commerce international circule par voie maritime; la mer est source de quantités considérables de minéraux, de métaux et de ressources énergétiques tels que le pétrole et le gaz. Elle fournit de l'emploi direct à plus de 140 millions de personnes dans les domaines de la pêche et de l’aquaculture, et encore plus dans des emplois indirects dans les secteurs tels que le tourisme, les activités navales et scientifiques entre autres.

L’océan: pilier de l’économie mauricienne?

Cette journée mondiale de la mer est une occasion pour nous de nous situer et de faire le point sur l’ambition de notre pays de faire de l’océan un pilier de l’économie.

Le gouvernement actuel avait annoncé en janvier 2015, dans son programme, qu’il est déterminé à faire de l'économie océanique une industrie importante pour soutenir la diversification économique, la création d'emplois et la création de richesses. On avait aussi annoncé la création d’un ministère pour l’océan où sont maintenant regroupés les divers départements et organismes liés à l'océan. L’annonce parlait aussi d’un cadre juridique et un organisme de réglementation unifié à être mis en place pour autoriser, superviser, surveiller et réglementer les activités économiques liées à l'océan. Nous espérons voir des mesures dans cette direction dans le prochain budget.

Nos atouts

Afin de gérer cette économie bleue, voyons d’abord les atouts dont nous disposons. Grâce à la Convention du Droit de la Mer (United Nations Convention on the Law of the Sea), dont nous sommes signataires, tout état côtier a droit à une Zone Économique Exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques à partir de ses côtes. Lorsqu’on ajoute ces étendues autour de chacune de nos îles, cela nous donne un total d’environ 1,9 million de kilomètres carrés. D’après l’article 56 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, « Dans la zone économique Exclusive, l'État côtier a :

  • - des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu'en ce qui concerne d'autres activités tendant à l'exploration et à l'exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d'énergie à partir de l'eau, des courants et des vents ; 
  • - juridiction en ce qui concerne la mise en place et l'utilisation d'îles artificielles, d'installations et d'ouvrages, la recherche scientifique marine, la protection et la préservation du milieu marin. » Bref, l’État Mauricien a des droits quasiment exclusifs sur toutes les ressources dans cette ZEE de 1,9 million de kilomètres carrés, qui est, il faut le rappeler, presque mille fois la superficie combinée des îles formant la République de Maurice. En matière de ressources (et non pas dans le sens légal du terme) on pourrait dire que l’État Mauricien est formé d’environ 0,1% de terre et de 99,9% de mer. C’est ainsi qu’est né le concept de l’État Océan, en remplacement du terme de Petit État Insulaire.

Ajoutée à cette ZEE, il y a  une étendue supplémentaire de 396000 kilomètres carrés sur le plateau continental gérée conjointement avec la République des Seychelles. Dans cette zone, définie par l'article 76 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, les États côtiers disposent de droits souverains sur l'exploitation des ressources du sol et du sous-sol des fonds marins (incluant les ressources pétrolière) mais excluant les ressources qui se trouvent dans la zone entre le fond marin et la surface de l’eau, notamment les ressources poissonnières. Il serait bon de rappeler que cette étendue du Plateau Continental  comprenant une large partie du banc de Saya de Malha est devenue une “propriété” co-géré par les Seychelles et Maurice grâce à des efforts conjoints entre les deux pays. Du côté Mauricien, une équipe formée du personnel du PMO, du Ministère des Affaires Étrangères, celui de l’Attorney General's Office, du Ministère des Terres et Logement, du Mauritius Oceanography Institute et menée par le secrétaire du cabinet avait la tâche de travailler en équipe avec les homologues Seychelloises avec l’aide du Commonwealth Secretariat afin de faire une soumission au United Nations Commission for Extended Continental Shelf (UNCLCS). Cette soumission avait été faite en 2009 et suite aux auditions du UNCLCS et aux arguments mis en avant par les deux pays, ces derniers ont maintenant le droit exclusif aux ressources du fond marin dans cette zone.

Avec cette ZEE de 1,9 millions de kilomètres carrés et le plateau continental de 396000 kilomètres carrés co-géré avec les Seychelles, nous nous trouvons actuellement dans la même situation qu’une  personne de classe moyenne qui a hérité d’un terrain d’une immense superficie mais qui n’a ni le capital financier, ni le capital humain, ni l’expertise pour en tirer profit. Pour exploiter nos ressources océaniques, il faut d’abord les identifier et les localiser. C'est là que les moyens nous font défaut. 

Notre expertise: la pêche

En matière d’expertise, le secteur privé et le gouvernement ont déjà une certaine expérience dans le domaine de la pêche. La plupart des ressources qui se trouvent dans les zones de pêches dites traditionnelles sont connues, répertoriées et gérées à travers un système de quotas qui assure un effort de pêche durable. Mais la pêche peut encore être développée davantage. Il faut savoir que les ressources halieutiques sont soit des espèces migratrices  comme  le thon ou alors celles concentrées dans des zones à productivité primaire haute c'est-à-dire dans des zones peu profondes, comme sur les côtes des îles ou sur les bancs tels que celles de Saya de Malha, de Nazareth, de Soudan et de Hawkins. La plupart de ces bancs sont exploités  jusqu'à leur Rendement Maximal Durable (Maximum Sustainable Yield en anglais) mais il y a toujours des zones à grands potentiels qui sont sous-exploitées. Par exemple, l’île Rodrigues se trouve sur un énorme plateau avec des régions relativement peu profondes et des tests devraient aider à déterminer le potentiel de ces zones.

Mais la pêche ne devrait pas se concentrer uniquement sur ces zones traditionnelles. Une technique qui nous maîtrisons mais qui est peu utilisée est la télédétection pour trouver les zones potentielles de pêches en haute mer. Cette technique appelée  “Potential Fishing Zone”, consiste à utiliser les images satellitaires notamment de l’altimétrie (différence en hauteur de l’océan causant ainsi des tourbillons qui ramènent des nutriments à la surface), de la couleur de l’océan (indication de la productivité primaire) et la température de l’océan. Les données de ces trois images sont combinées par un système informatisé et  indiquent les zones où  on pourrait potentiellement avoir une concentration de poissons due à une disponibilité accrue de leur nourriture. Cette technique a été utilisé dans plusieurs pays et a été validé par des tests de pêche. En Inde par exemple, les données (en longitude et latitude) sur ces zones de pêche sont affichées sur des tableaux électroniques dans plusieurs ports de pêche et permettent même à des pêcheurs moyens munis d’un GPS de trouver des poissons d’une façon plus efficace.  Ces zones de pêches sont temporaires et évoluent avec le temps et les conditions météorologiques. Les donnés sont donc mises à jour d’une façon journalière. La technique de PFZ, qui à première vue paraît futuriste, avait déjà été mise en place par le Mauritius Oceanography Institut (MOI) depuis 2010 avec un financement de l’Union Européenne. L’Institut est doté d'une grande parabole de réception qui lui permet de recevoir les images des satellites Européens. Les serveurs associés traitent les images à travers les algorithmes développés par les chercheurs de l’institut.  Ce projet ayant donné les résultats escomptés, la MOI avait eu la responsabilité de former les utilisateurs de plusieurs pays africains pour la détermination des PFZ. 

Notre capital humain

En matière de capital humain, comment l’État Mauricien s’en tire-t-il?  Pour un pays devant gérer une zone maritime de plus de 2 millions de kilomètres carrés, le personnel qualifié disponible est minime. Mais le vrai problème réside dans le fait que ce personnel est éparpillé dans différentes organisations qui collaborent à peine entre eux. Les scientifiques marins sont partagés entre l’université, le Ministère de l'Economie Océanique, l’institut d’Océanographie, et l’Unité du plateau continental sous le Ministère de la Défense – soit sous trois ministères séparés.  Même ceux qui sont sous le même ministère collaborent peu entre eux: Par exemple les données des zones potentielles de pêche ne sont pas utilisées par le personnel des pêcheries… Donc avant de parler de la formation, il faudrait résoudre le problème de l’optimisation de nos ressources humaines existantes.

En ce qu’il s’agit de la formation, l’Université de Maurice avait lancé une faculté de l’économie océanique afin de pourvoir à la demande en personnel qualifié mais elle s’est vite trouvée dans des difficultés divers et cette faculté a dû fermer ses portes dans un lapse de temps très court.

Les autres créneaux économiques

La pêche et l’aquaculture demeurent les domaines dans lesquels nous avons le plus d’expertise et le plus de potentiel et il serait logique de mettre plus d’efforts dans leurs développements. Mais quels sont les autres domaines de développement potentiels? Depuis plusieurs décennies, les navires de recherches de différents pays ont rapporté, dans nos eaux, la présence de nodules polymétalliques contenant notamment du manganèse. Mais pour le moment le prix de ces métaux à partir de sources terrestres sont toujours plus profitables. Gardons donc ces nodules comme un dépôt fixe en attendant que les prix augmentent. Un autre atout, d’après les recherches des scientifiques étrangers, serait les “gas hydrates” qui abondent dans nos eaux. Ces “gas hydrates” sont une forme cristalline de méthane et d'eau et existent dans les sédiments peu profonds des marges continentales extérieures. Ils sont envisagés comme une ressource énergétique majeure viable. Contrairement au pétrole, les “gas hydrates” ne sont pas contenus dans des puits bien délimités et leur exploitation, pour le moment, pose des problèmes environnementaux. Mais les recherches des pays développés pour une technique fiable progressent  et cette source d’énergie pourrait bientôt être exploitée.

Et le pétrole? En avons-nous dans nos zones maritimes? Autour de l’ île Maurice, on pense bien que non, l’île était d’origine volcanique. Mais la possibilité existe dans la zone, d’origine continentale, entre Maurice et Seychelles plus précisément dans le Joint Management Area (JMA) cogéré par les deux pays. Le Département for Continental Shelf, Maritime Zones Administration & Exploration (CSMZAE) du Ministère de la Défense travaille d’ailleurs activement afin de développer ce nouveau créneau potentiel de notre économie.

Un decollage qui tarde

Pourquoi a-t-on l’impression que les choses ne bougent que très lentement dans le développement de l’économie océanique? Il existe bien un plan élaboré par la banque mondiale mais ce document est surtout un plan économique ; il manque un plan d’ensemble qui devrait apporter une synergie entre les différents acteurs de l’économie océanique. Nos expertises sont limitées, dispersées et fonctionnent dans des silos étanches qui limitent la coopération entre différentes entitées. Ce manque de synergie entre les acteurs limite le développement d’une vision plus vaste et plus ambitieuse de ce pilier potentiel de notre économie.

Comment se présente l’avenir? L’État mauricien n’a à sa disposition qu’une expertise et technologie limitée et une infrastructure encore plus limitée. Notre ZEE est à peine explorée et, au vu de la situation actuelle", le pays n’a ni les moyens et ni l’expertise requises pour cette exploration. S’acheter un navire de recherche serait un investissement onéreux avec des dépenses récurrentes non soutenables. De même, le coût de  la location des navires de recherches tourne autour de $20, 000 par jour.  Mais on n’en est pasà ce stade, les Mauriciens n’ayant pas été formés à la gestion et l’optimisation des croisières de recherches scientifiques. Ceci requiert, au préalable, le développement d’un plan d’au moins 10 ans pour l’exploration de nos eaux avec des projets spécifiques assortis de coûts, d’équipement, de personnel et une planification minutieuse afin d’optimiser les ressources. Actuellement, les scientifiques Mauriciens participent à  des projets de recherche à bord de navires de recherches étrangers. Pendant très longtemps, cette participation était à titre d’observateur mais plus récemment quelques scientifiques ont commencé à travailler sur leurs propres projets locaux. Les meilleures formations ont eu lieu lorsque des doctorants mauriciens collaboraient avec leurs directeurs de thèse lors des croisières de recherches. La coopération avec les pays ayant l’expertise et les infrastructures des recherches oceaniques reste donc le meilleur moyen d’avancer dans le court et moyen terme. Cette coopération demande à être développé davantage.

Une opportunité exceptionnelle dans l’océan Indien existe actuellement avec la deuxième expédition Internationale de l’Océan Indien (Second Indian Ocean International Expedition), un programme que j’ai eu l’occasion de mener lorsque  j’étais Directeur à la Commission Océanographique Intergouvernemental de l’UNESCO. Ce programme scientifique mondial majeur, qui implique la communauté scientifique internationale dans la recherche océanographique, a débuté en 2015 et se terminera en 2020. Plusieurs de ces navires de recherches passent par Maurice et représentent une occasion unique pour la formation de nos chercheurs ainsi que pour la collecte de données sur nos ressources.

Le mot de la fin

Il nous manque un plan fédérateur qui puisse réunir nos acteurs locaux, optimiser nos ressources et utiliser les recommandations de la Banque Mondiale pour accélérer le développement de notre économie océanique. Un plan d’ensemble devrait pouvoir réunir les parties prenantes, motiver le personnel, s’occuper de la formation, travailler avec les partenaires étrangers et transmettre cette nouvelle vision à toute la population car, il ne faut pas l’oublier, les ressources naturelles de notre pays se trouvent sur environs 2000 kilomètres carrés (0,1%) de terre et 2 millions kilomètres carrés (99,9%) de mer…

 

* Dr. Mitrasen Bhikajee a été le Directeur du Mauritius Oceanography Institute entre 2005 et 2011 et subséquemment Directeur et Secrétaire Exécutif Adjoint de la Commission Océanographique Intergouvernementale de L’UNESCO à Paris. Il peut être contacté sur mbhikajee@gmail.com