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Flics ou voyous ?

27 mai 2018, 11:23

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Flics ou voyous ?

 

L’inadmissible escapade du détenu Lutchigadoo confirme le puzzle dessiné par la commission d’enquête sur la drogue : les trafiquants (présumés ou coupables) bénéficient d’une structure bien huilée, à travers un système impliquant un nombre impressionnant de policiers, devenus complices d’un vaste réseau. N’avons-nous pas appris que la prison était tout, sauf un obstacle au trafic de drogue ? N’avons-nous pas appris qu’un trafiquant condamné à 34 ans de prison n’a aucun souci d’argent, tant il peut tranquillement s’adonner à son commerce derrière les barreaux? Tout en ayant à sa disposition les services de plus d’une vingtaine d’hommes de loi ?

Ce qui s’est passé au Vacoas Detention Centre, avec les frasques d’un détenu «parti prendre l’air», vient attester de l’incroyable pouvoir que possède le milieu de la drogue, avec la complicité de trois policiers qui ajoutent ainsi leurs noms à la déjà longue liste des ripoux. Ceux-là qu’on soupçonne d’avoir enfoui depuis longtemps leur sens d’éthique ailleurs, et se moquant royalement de la morale ! Au profit de leur compte en banque ? En tout cas, quelles qu’en soient les raisons, il existe de ces flics qui n’hésitent pas à se montrer serviles et complices de deux détenus incarcérés pour des délits de drogue: l’un, Kusraj Lutchigadoo, ayant été arrêté en possession d’un kilo de drogue synthétique, et l’autre, Ashish Dayal, qui s’est illustré comme le tombeur de Gro Derek dans une affaire de 12 kilos d’héroïne et qui a été par la suite impliqué dans d’autres trafics illicites.

Voilà donc deux détenus, et pas n’importe lesquels, qui non seulement ont une incroyable influence sur des policiers, mais qui agissent aussi en propriétaires des lieux, l’un après avoir obtenu des clés des mains d’un flic, s’en allant ouvrir la cellule de l’autre. Comme si les rôles étaient inversés, comme si tout était permis pour ces prisonniers capables de convaincre des hommes en uniforme de franchir la ligne jaune. Si cette affaire mérite qu’on s’y attarde, c’est parce qu’elle suscite des interrogations qui vont de la chaîne de complicité dont bénéficient certains prévenus, à l’intermédiaire qui s’est substitué à Kusraj Lutchigadoo, en passant par les véritables raisons de cette incroyable sortie, sans oublier l’étonnement autour de la libération sous caution des trois policiers.

Mais il n’y a pas que ça ! Cette histoire interpelle parce qu’il faut aussi voir au-delà. Pour une escapade qui, heureusement, a eu le mérite d’être révélée publiquement, combien d’autres épisodes de ce genre, qui témoignent de la force d’un système et de nos dysfonctionnements, restent cachés ? De combien de moyens, d’appuis, continuent à disposer les protagonistes du milieu de la drogue qui réussissent à transformer nombre de flics en de précieux maillons intermédiaires de l’immense toile d’araignée tissée pour faire prospérer leur business ?

Comment, après avoir vu avec quelle facilité des complicités peuvent être nouées, ne pas s’arrêter sur toutes ces zones d’ombre entourant la mort d’Arvind Hurreechurn, un policier arrêté alors qu’il revenait de Madagascar avec, dans sa valise, deux kilos d’héroïne, puis incarcéré au poste de police de Moka et dont la version officielle veut qu’il s’est suicidé en octobre 2016 ? Une version contestée par ses proches qui poursuivent l’État dans cette affaire, tandis que cette mort est qualifiée de «suspecte» par ni plus ni moins que la Human Rights Commission. Et dont les auteurs soulignent, dans un rapport, après une visite des lieux, qu’il est «difficile pour un homme de taille moyenne de se pendre à un objet se trouvant à peine à trois pieds du sol».

Peut-on, eu égard à la connivence à laquelle on assiste entre certains policiers et la mafia, ne pas douter de ce qu’on nous présente comme des vérités ? D’autant que, dans l’affaire Arvind Hurreechurn, la Human Rights Commission déplorait le fait que le détenu avait été placé dans une cellule munie d’une caméra qui ne fonctionnait pas.

Cette audacieuse escapade de Lutchigadoo n’est-elle que l’arbre qui cache la forêt de certaines collaborations condamnables ?