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À quand un regard neuf sur la drogue ?

6 janvier 2018, 07:41

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L’État veut sa part du gâteau. Donc fini le marché «underground», place au «big business» !

Déjà pionnier du cannabis médical, la Californie autorise désormais l’usage récréatif du marijuana. Du coup, l’État le plus peuplé des States devient le plus gros marché mondial du cannabis - et par ailleurs un laboratoire grandeur nature pour tous ceux qui militent pour ou contre la légalisation de cette drogue douce.

À Maurice, seuls des travailleurs sociaux, la presse et la parlementaire Danielle Selvon provoquent, de temps à autre, le débat, de manière dépassionnée, sur la dépénalisation du gandia, cette plante naturelle qui n’a jamais fait l’objet de recherches scientifiques, selon les aveux mêmes d’une spécialiste mondiale des plantes, son éminence Ameenah Gurib-Fakim. Pour cause : des politiciens comme Gayan préfèrent rester dans une vaste hypocrisie autour de ce sujet devenu faussement tabou.

Aux States, les chiffres du cannabis légal donnent le tournis. D’ici 2021, il est prévu que le secteur du cannabis légal va générer pas moins de 40 milliards de dollars et créer quelque 400 000 emplois (selon une étude publiée cette semaine par le cabinet Arcview en partenariat avec BDS Analytics). Les législateurs de la Californie, dans leur sagesse, et après de longs débats et recherches, accordent désormais à tout adulte de plus de 21 ans le droit de disposer de 28,3 grammes (ou six plants) par personne. À Maurice, avec une telle possession, on irait en prison, à côtoyer des trafiquants de tous genres...C’est dire l’écart colossal qui sépare nos deux sociétés.

«Few questions have been answered about marijuana (...) Now that nearly half the states in the US allow medical marijuana, voters in four states have legalized pot for recreation, and a majority of Americans favor legalization, research about how marijuana affects our brains and bodies is an urgent issue (...) there is less hard science about marijuana than you might think», faisait ressortir le National Geographic dans un dossier intitulé A Hard Look at a Soft Drug.

Nous l’avions déjà écrit après une visite dans le Colorado en 2016 : à bien des égards, accepter une légalisation du cannabis, en promouvoir la culture et encadrer la commercialisation représentent un basculement politique audacieux. Mais face à la montée en puissance du cannabis synthétique, fabriqué n’importe comment et qui met en péril nos jeunes, il est important de s’y pencher, en faisant des études sur plusieurs aspects. Ce n’est qu’après la collecte de telles données qu’on pourrait discuter de manière raisonnée et éclairée, pas avant...

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En faisant la promotion de la culture du cannabis, on pourrait donner du travail, par exemple, créer de nouveaux emplois, attirer de nouveaux touristes et faire rentrer des devises dans les caisses de l’État comme dans celles du secteur privé.

Sur le plan de l’ordre et de la paix, on pourrait redéployer, à des fins plus utiles, des centaines de policiers qui ne peuvent pas vraiment contrôler un commerce illicite qui se fait au nez et à la barbe de tous (comme illustré par le chassé-croisé entre des membres de l’ADSU et les enquêteurs de la commission Lam Shang Leen), libérer des centaines de fumeurs du dimanche qui croupissent en prison aux côtés de dangereux criminels (qui les forment au trafic d’autres drogues). Cela réduirait, d’autre part, l’invasion croissante de toutes ces substances chimiques et nocives (dont les dangereuses drogues de synthèse) sur le marché local justement parce que le gandia «bio» est introuvable, trop cher, réservé à une élite qui y dépense une fortune.

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Dans le sillage de la commission Lam Shang Leen, nous avons publié des cahiers spéciaux sur le trafic de drogues dures et ses ravages à Maurice. Notre enquête a confirmé, à bien des égards, l’étendue du mal : l’heure est grave dans nos villes et villages. Les divers témoignages devant la Commission de la drogue, ces derniers mois, indiquent que nos institutions ne sont guère à l’abri des trafiquants et de l’argent sale qui circule et qui infiltre nos prisons, postes de police et le barreau. Vous rendez-vous compte : il y a eu une trentaine d’avocats et d’avoués dont les fréquentations assidues (du moins jusqu’à novembre 2016) aux prisons (de Beau-Bassin et de Melrose) soulèvent des interrogations légitimes. Pourquoi tous ces avocats (dont quelques avocats-politiciens) allaient pratiquement tous rendre visite au dénommé James Mukusa Kanamwanje, cet ex-prisonnier ougandais, condamné à perpétuité, mais qui a bénéficié d’une remise de peine ? À la suite de nos articles sur leurs visites aux prisonniers-barons, les avocats ont soudain arrêté de s’y rendre. Et ont attendu, sagement, leur comparution devant la commission Lam Shang Leen. Certains en ont profité pour verser des larmes, d’autres ont haussé le ton...

Outre des hommes de loi, il y a aussi des policiers, jugés discrets, comme Hureechurn et Joly, qui se seraient laissé tenter par l’appât du gain facile et malsain, tout comme le «State Witness» Ashish Dayal, qui a profité de l’immunité, accordée par l’État, pour continuer, voire intensifier, le trafic d’héroïne. La réalité locale reste implacable. L’approche actuelle, axée sur la diminution de l’offre et la répression, est totalement inefficace. Dans son rapport annuel mondial sur les drogues, publié en mai 2015, l’UNODC démontre que, malgré les millions de dollars alloués à l’éradication des cultures illicites et à l’arrestation des trafiquants, «de plus en plus de personnes dans le monde se défoncent !» (Sic). C’est le propre de la mondialisation. C’est ce que les Américains appellent «the dark side of globalisation». Ainsi les avancées de la technologie, du transit et du transport ont amélioré la vitesse et l’efficacité de l’économie mondiale. Elles amènent également la même efficacité au commerce des réseaux de trafiquants.

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La suite et fin des auditions de la commission Lam Shang Leen risque d’être épique pour le MSM. Nombre d’hommes de loi qui ont été convoqués sont proches du Sun Trust. Cela risque d’éclabousser le gouvernement. Un gouvernement déjà miné par de multiples scandales. Mais Pravind Jugnauth n’a pas le choix. Il sait qu’il sera jugé sur les résultats de son combat contre la drogue. Ses alliés sont davantage Lam Shang Leen que Gulbul et Dewdaneee. Le rapport de l’ancien juge est sans doute le document le plus attendu de ce début 2018...