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Villes partagées : utopie ou voie d’avenir ?

12 décembre 2017, 09:17

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Villes partagées : utopie ou voie d’avenir ?

La réduction de la surface sous canne est en train de redessiner le paysage à Maurice avec de nouveaux pôles de développements fonciers un peu partout dans l’île. La résilience et la capacité de se réinventer de nos propriétaires terriens, traditionnellement sucriers pour la plupart, sont très louables. Car ils s’évertuent depuis longtemps déjà à donner un nouveau souffle à notre économie et compenser ainsi les baisses de revenus de la culture sous canne. Mais ne pourraient-ils pas en profiter pour contribuer à réhabiliter l’habitat à l’île Maurice ?

Depuis plusieurs décennies déjà, des voix s’élèvent pour attirer l’attention de nos décideurs sur le fait qu’une catégorie socio-économique de la population éprouve de plus en plus de peine à se loger. Il est question ici de certains salariés du public ou du privé dont les revenus sont trop bas pour acquérir une propriété aux prix actuels du marché de l’immobilier et trop élevés pour bénéficier de logements sociaux.

Alors qu’ils sont désireux de progresser dans la vie et travaillent dur, ils sont stoppés net dans leur élan, étant obligés de se rabattre sur le locatif, y consacrant une bonne partie de leurs revenus. Ce qui au bout du compte ne leur permet pas d’économiser pour pouvoir accéder au statut de propriétaire.

Face à ces coûts prohibitifs du logement, d’autres vont faire le choix de se loger à des endroits excentrés, mais moins onéreux. Ils vont, cependant, perdre temps et argent dans les transports. Ce qui vient justement confirmer le fait que l’étalement urbain est créateur d’inégalités et de ségrégation, forçant ceux qui ont de bas revenus à s’exiler (sans voiture) dans des endroits dénués d’infrastructuresde transports collectifs réguliers et de commerces raisonnablement achalandés. Cette réalité mauricienne nous fait penser à ce qui se passa à Helsinki dans les années 60.

À cette période, face à l’augmentation des prix au coeur d’Helsinki, les ouvriers n’eurent d’autre choix que de résider dans les banlieues. Quand les longues heures de trajet commencèrent à se répercuter sur la qualité du travail, les autorités ont succombé aux exigences du patronat en instaurant la mixité sociale ! Cette expérience explique pourquoi la capitale finlandaise a, depuis, fait de la mixité un dogme ; dans chaque quartier, les plus aisés doivent cohabiter avec les moins privilégiés.

Socialement viable

Aussi, nos promoteurs du privé ne pourraient-ils pas faire provision pour cette catégorie socioprofessionnelle (peu ciblée par les stratégies commerciales et politiques) dans les nouvelles villes à être aménagées et commercialisées ? Surtout qu’il est entendu que ces clients potentiels ne sont nullement en situation de précarité et rien n’indique qu’ils ne pourraient pas s’intégrer à la vie communautaire à côté de leurs compatriotes mieux lotis.

Cela relèverait-il de l’utopie ? Nous n’aurons pas à aller trop loin pour en juger. L’exemple des villes de Beau-Séjour et de Ravine-Blanche, à La Réunion, témoignent que l’implantation de ces villes favorisant la mixité est viable socialement, mais aussi économiquement.

Ainsi à l’occasion d’un voyage à La Réunion à la mi-décembre 2016, facilité par la représentationde l’Agence française de développement à Port-Louis ainsi que son antenne à St-Denis, l’encadrement de Landscope a pu exposer ses besoins et attentes à des aménageurs urbains en poste à l’île soeur. Nous avons eu l’occasion de visiter la nouvelle ville de Beau-Séjour, implantée par CBO Territoria, société privée de La Réunion.

La dimension sociale du projet est centrale avec 40 % de logements sociaux. C’est une société HLM qui vend ce projet et le nombre de logements est conséquent – 2 300 sur six niveaux.

La mixité sociale est au coeur du projet et, jusqu’ici, l’aventure continue sous de très bons auspices. Soulignons aussi l’existence d’un autre écoquartier, Ravine- Blanche, à quelques pas de Saint- Pierre où immeubles collectifs côtoient les maisons individuelles. Ces deux villes qui ont misé sur la mixité sociale devraient aussi nous interpeller de par le fait que comme à La Réunion, nous sommes tributaires du climat tropical du sud-ouest de l’océan Indien, de la nature des sols et de la flored’une île volcanique. Mais aussi d’éventuels matériaux naturels et organiques propres à cette région du monde.

Dans ces conditions, il est apparu à Landscope que les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement de l’espace à La Réunion étaient parmi les plus aptes à nous accompagner sur la voie de l’urbanisme écocitoyen. Nous pourrions à l’instar de l’île soeur exploiter mieux l’utilisation du végétal, de l’énergie solaire et maximiser la ventilation naturelle, entre autres.

La société Landscope détient actuellement 920 hectares de terres sous canne s’étendant entre Highlands et Bagatelle. Comment mieux les optimiser, sinon en prenant comme appui la philosophie de Jane Jacobs, auteur du livre Death and Life of Great American Cities, qui a beaucoup influencé un nouveau courant d’urbanisme. Jane Jacobs a démontré comment les villes ne doivent pas être compartimentées, qu’il fallait rapprocher l’habitat du travail et qu’il était primordial de ne pas faire dela rentabilité l’objectif premier en matière d’urbanisme. Pour que la ville respire et vive vraiment, il ne faudrait pas l’appréhender que comme créatrice de richesses.

Bénéfices économiques 

Cependant, il n’est dans l’intérêt de personne que Landscope mène ses projets en solitaire, en marge du secteur privé, ou, pire, en opposition. Car il est impératif de voir les choses dans le long terme et de travailler en partenariat. Nous avons tout à gagner en termes de bénéfices sociaux, environnementaux et économiques si nous allons vers des villes écocitoyennes favorisant la mixité sociale.

N’est-il pas temps de revoir la conception de notre habitat ? Au lieu de petits morcellements disséminés et isolés où on ne peut investir dans des infrastructures par manque de rentabilité, ne devrait- on pas créer des villes d’une certaine taille pouvant accueillir une population diverse, que ce soit en termes d’âge, de niveausocial, d’ethnie ? On pourrait y implanter des entreprises, créer des services publics, construire des écoles, des centres de santé, des commerces. Cela serait aussi économiquement viable pour limiter et diminuer les déplacements et ainsi réduire la dépendance sur l’automobile.

En l’an 2050, les projections font état du doublement du nombre des plus de 60 ans, soit près de 30 % de la population. C’est maintenant donc qu’il faudrait revoir l’aménagement des voies et des trottoirs afin de faciliter les déplacements des automobilistes, piétons et cyclistes qui ne seront plus de première jeunesse ! Il faudrait dès maintenant aussi aménager nos villes afin de rendre la marche plus facile. Nous devons aussi envisager plus d’espaces verts, davantage de lieux de rencontre afin de vitaliser la vie sociale de la communauté.

Les entrepreneurs, qu’ils soient petits ou grands, comprennent de plus en plus qu’investir dans le développement durable est un passage obligé s’ils veulent permettre aux prochaines générations de faire des profits plus pérennes. Quant à la notion de mixité sociale, elle est de plus en plus utilisée dans la construction des politiques du logement.

Au point où en France, la loi fait obligation aux villes depuis 2000 de compter un minimum de 20 % de logements sociaux. Quoi qu’il en soit, nous ne pourrons faire de l’île Maurice un pays à hauts revenus si nous forçons certaines personnes par manque de moyens à s’éloigner des zones où les emplois sont présents. De plus, une nation ne peut se construire en isolant des individus dans des ghettos en fonction de leurs revenus et de leur statut.

En Afrique du Sud, la séparation des populations et des espaces urbains a été poussée à son maximum, au point d’être défini comme «un crime contre l’urbanité». L’exemple de ce pays, où les communautés fermées continuent de se multiplier, nous montre qu’une absence totale de mixité sociale et une attitude de repli sur son groupe communautaire ne font qu’alimenter l’insécurité et la violence.

Voulons-nous de ce type de développement ? De plus, nous ne cessons de parler de «villes intelligentes ». Cependant, les résidents de ces villes censées être ultra-connectées risquent d’être au contraire déconnectés de la réalité physique et sociale du pays si elles se caractérisent par une absence de mixité sociale.

Déjà, les relations de voisinage dans nos villes ne sont plus ce qu’elles étaient avant. Autrefois, dans beaucoup de quartiers vivants où les liens de voisinage étaient forts, il existait ce que Jane Jacobs a appelé «les yeux de la rue» – chacun, quelle que soit son ethnie ou catégorie socioprofessionnelle, était attentif à ce qui se passait dans la rue afin de se protéger collectivement d’une quelconque malveillance ! De nos jours, où nous sommes tous plus ou moins tombés dans le piège de l’individualisme, «les yeux de la rue» ne sont que de vulgaires alarmes et caméras de sécurités. Il est donc grand temps pour nous de redéfinir ce que nous comprenons par le «vivre ensemble».