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Congestion routière: la chaussée pour tous

24 novembre 2017, 11:25

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Congestion routière: la chaussée pour tous
Selon l’auteur, les mains courantes ont non seulement compromis l’attrait visuel de Maurice mais ont aussi transformé la marche en une activité frustrante.

Tous ceux qui utilisent la voiture pour se déplacer apprécient le sentiment de liberté que leur procure ce moyen de locomotion. Ainsi, les automobilistes ne sont pas assujettis aux horaires et rythmes des transports publics, ce qui représente un grand gain de temps. Au fait, la voiture facilite la vie quotidienne à un tel degré que les transports publics ne parviennent pas à la concurrencer. Cette aspiration, certes légitime, d’autonomie en matière de mobilité a paradoxalement créé une grande dépendance à l’automobile – avec 1,263 million d’habitants, nous nous retrouvons avec un parc automobile avoisinant les 488 000 véhicules !

Automobilistes, cyclistes, motocyclistes, chauffeurs de poids lourds et piétons accomplissent chaque jour un véritable parcours du combattant, se partageant nos routes de plus en plus congestionnées, cela malgré de nouvelles infrastructures routières censées fluidifier la circulation. Au fait, nous sommes tombés dans le même cercle vicieux que les grands pays développés : en voulant répondre aux attentes des automobilistes, on construit de nouvelles routes pour décongestionner la circulation, ce qui au fait nous ramène à la situation initiale car cette promesse de confort ne fait qu’attirer de nouveaux automobilistes – phénomène connu par les spécialistes sous le nom de «trafic induit».

L’aménagement routier est, par excellence, le domaine où il faut think out the box car il échappe à toute logique conventionnelle. Ainsi, il est absurde d’espérer agir sur le stationnement en augmentant les places à cet effet car cela ne fait qu’inciter les gens à se déplacer davantage en voiture, parce qu’ils se disent qu’ils pourront se garer facilement. De la même manière, nous devrions remettre en question le bienfondé de cette profusion de rambardes censées éviter au maximum les sorties de route et les risques de carambolage. Ces éléments intrusifs ont été installés sur toutes nos routes et à tous les coins de rues. Invasives et inesthétiques, ces mains courantes ont non seulement compromis l’attrait visuel de Maurice mais ont aussi transformé la marche en une activité frustrante, comportant des contraintes imbéciles. Outre d’être enfermés comme du bétail dans un enclos, les piétons doivent couvrir beaucoup plus que la distance requise pour se rendre à leur destination.

À plusieurs endroits, ces «garde-piétons» ont resserré les trottoirs, produisant des ralentissements, voire des immobilisations ponctuelles, conduisant certains piétons à contourner les mains courantes, marchant directement sur la chaussée. Ces rampes, qui transforment nos trottoirs en goulots d’étranglement piétonniers, ont aussi accentué la domination de l’environnement par l’automobile, accroissant la vitesse des véhicules dans nos villes, même au-delà de la limitation à 60 km/h. Cette incitation à la vitesse favorise chez les conducteurs des attitudes agressives.

Non seulement ces dispositifs «sécuritaires» sont hideux mais ces barrières de sécurité gênent la marche des piétons à certains endroits. De plus, à voir le nombre de rambardes défoncées, on se demande même si ces dispositifs préventifs ne sont pas une incitation à rouler à tombeau ouvert ?

Car, il faut bien se l’avouer, des différentes catégories d’usagers de la route, tout semble fait pour favoriser les automobilistes. Et pas seulement à l’île Maurice : un tiers seulement de la population mondiale habite dans des pays qui favorisent la marche à pied et les déplacements à vélo comme alternatives aux transports motorisés. Cependant, plusieurs pays ont investi dans des infrastructures permettant aux piétons et aux cyclistes de se déplacer en toute sécurité. À Maurice, bien des cyclistes vous le diront, ils se font arbitrairement klaxonner – quand ils ne sont pas insultés ou menacés – par des automobilistes qui semblent croire que le deux-roues non motorisé n’a pas de droits sur la chaussée.

Un ancien maire de Bogotá, en Colombie, Enrique Penalosa, a acquis une réelle notoriété parmi les urbanistes à travers le monde, pour l’observation suivante : «Un pays développé n’est pas un pays où les pauvres ont des voitures ; c’est plutôt un pays où les riches prennent les transports en commun.» Dans cet esprit, Bogotá a aménagé des voies sans voitures.

En Suède, les autorités ont multiplié les barrières qui séparent les pistes cyclables des routes empruntées par les automobilistes. Il y a plus de 12 000 zones protégées comprenant des ponts et des signalements renforcés. Delhi, capitale pourtant réputée pour son urbanisme anarchique et ses voies rapides infranchissables aux piétons, a cependant aménagé des couloirs séparés pour piétons et cyclistes sur certains axes. C’est donc une culture de partage, couplée à une culture de sécurité, qui a permis aux usagers de la route dans ces pays de se sentir collectivement responsables de leur devenir.

À bien voir, si ces pays ont décidé d’appliquer ces mesures, c’est qu’il y a eu consensus autour du fait que la route doit être partagée par tout le monde et qu’il faut protéger ses usagers les plus vulnérables – d’où l’établissement de conditions plus sûres et plus équitables entre piétons, cyclistes, motocyclistes et automobilistes. Car trop souvent nous avons tendance à oublier ce qui coule pourtant de source : la sécurité passe d’abord par la prévention.

Ainsi, dans les zones de rencontre où automobilistes et piétons se côtoient, le trafic est modéré et les piétons ont la priorité. À un moment où on parle beaucoup de réduire la dépendance de nos sociétés à l’énergie fossile, on ne peut qu’encourager l’écomobilité. Encore faut-il s’assurer de l’aspect sécuritaire. On ne peut donc que saluer l’initiative du gouvernement mauricien de limiter la vitesse à 30 km/h dans les zones résidentielles et dans nos villes et villages.

Plusieurs études ont démontré le lien direct entre l’augmentation de la vitesse moyenne, la probabilité d’un accident et sa gravité. Pour schématiser, un piéton a 90 % de chances de survie si le véhicule circule à moins de 30 km/h, mais moins de 50 % de chances de survie si le véhicule avance à 45 km/h. Ainsi, nous le constatons concrètement, beaucoup d’accidents auraient pu être évités si les automobilistes ne se déplaçaient pas si vite. La vitesse associée à l’erreur humaine, à l’usage du téléphone pendant la conduite, à des défauts mécaniques, ne pardonne pas et représente une voie rapide vers l’au-delà.

Soulignons aussi que la dérive des vitesses est malheureusement encouragée par les véhicules modernes, dont les performances représentent une tentation permanente pour les fous du volant ! De plus, il est d’autant plus important de légiférer et de sanctionner tout excès de vitesse car l’infraction de vitesse est souvent indicatrice d’une tendance à transgresser les autres règlements du code de la route – ivresse au volant, dépassement dangereux, violations du territoire de conduite…

Le terme «violence routière» pour parler du comportement potentiellement dangereux de certains usagers de la route est très parlant. Entre autres, on fait preuve de violence quand on profite impunément de la vulnérabilité de certains usagers de la route (comme le fait de ne pas s’arrêter à un passage clouté), quand on fait fi des réglementations de vitesse au point de constituer un danger pour soi-même et les autres.

Depuis le début de l’année, il y a eu quelque 145 victimes sur nos routes. Autant de familles qui n’auront que leurs yeux pour pleurer pendant que nous fêterons Noël et la nouvelle année. Il suffit peut-être de comprendre qu’un accident n’est jamais une fatalité pour changer de comportement sur la route. Si chacun prend conscience de cela, c’est la vie qui gagne.