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C’est donc cela, la décadence ?

15 octobre 2017, 09:31

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C’est donc cela, la décadence ?
Ravi Rutnah, Showkutally Soodhun, Sir Aneerood Jugnauth, Kalyan Tarolah, Ravi Yerrigadoo.

On ne sait plus où tourner la tête ! C’est comme si les scandales de ces dernières années ne nous suffisaient pas, puisque chaque semaine on en rajoute, parfois par louche entière. Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce la décadence finale ?

Cette semaine, deux nouvelles affaires. Les deux découlent, semble-t-il, du même protocole. On ne parle pas ici de petits malfrats en mal de rapines ou de violence familiale ou de bagarres entre voisins. On ne parle pas, non plus, de malaises sociaux grandissants puisque, selon le ministre de la Santé lui-même, 200 000 Mauriciens souffriraient de troubles mentaux ! On ne parle pas de malpolis, de cyniques, de menteurs chroniques, de «triangueurs» perpétuels qui parsèment la vie locale. On ne parlera pas des «faibles». On parlera plutôt de deux schémas de plus où les puissants du jour usent et abusent de leur position pour se constituer, qui un magot, qui une position d’influence, sans trop de considération pour l’intérêt public. Le troublant c’est que dans ces circonstances, il n’y a généralement qu’un leadership éclairé et volontaire pour nous sortir de là. Or, ce leadership, principalement politique, semble faible, velléitaire, trop souvent même participatif. Maurice n’est pas du «tout pourri», fort heureusement, mais les poches de respectabilité, de qualité et de décence sont sous pression, souvent rendues muettes par leurs propres intérêts immédiats et ressemblent de plus en plus à des taches d’huile isolées flottant dans un cloaque d’eau viciée. Ce qui est clair c’est que si ces poches de respectabilité ne se prennent pas en main pour se faire entendre, c’est le cloaque qui va les absorber ! Comme dans le proverbe africain qui rappelle froidement que : «Pour que les méchants triomphent, il suffit que les bons ne fassent plus rien»…

Passagers à l'aéroport Sir Seewoosagur Ramgoolam après que leur vol est renvoyé, le 6 octobre 2017. Megh Pillay: ex-nº 1 d’Air Mauritius.

Commençons par Air Mauritius. Au départ, des maladies de pilotes jugées suspectes qui mènent à l’annulation de quatre vols. Ça, c’est le symptôme. Mais la maladie c’est quoi ? C’est l’interventionnisme politique qui, depuis des lustres, permet à l’État d’intervenir sur tout, depuis le profil des menus jusqu’aux recrutements, sur le choix des achats d’avions ou de voitures jusqu’au licenciement du General Manager. Quand, en plus, le petit mignon controversé de la cuisine, pour les yeux de qui on licenciait Megh Pillay, est devenu le «HR Manager»  de la compagnie face à des pilotes qui avaient pris position pour Pillay, on allumait la mèche d’un gâteau explosif. D’autant que les appels au dialogue et les courriers ne menaient qu’au silence et au mépris. Ceux qui ont prôné la méthode forte en fin de semaine dernière, congédiant trois pilotes sans qu’ils aient pu, ne serait-ce, que donner leur point de vue ou leur défense, sont connus et n’ont qu’un but : se faire respecter par la force, y compris en utilisant la force policière et la menace de déportation immédiate. En langage local on dirait qu’ils ont : «Met enn cracking.» Comme pour les journalistes de l’express, fin septembre. Le but ? Favoriser le silence, l’abdication, le règne sans partage. La levée de boucliers des contre-pouvoirs (syndicats, réseaux internationaux, médias) faisait heureusement douter et menait à prôner l’apaisement et à la constitution d’un comité de sages… 

Une semaine après la crise, il reste, cependant, essentiellement deux nœuds de problèmes. Le premier est terrible pour l’image du pays. Nous avons essentiellement passé un message violent aux étrangers respectables que nous disons vouloir accueillir (et dont nous avons, en fait, besoin) que tout permis, de travail ou autre, dépendant de l’État, pourrait être annulé et mener à la déportation immédiate si vous déplaisez suffisamment. Le précédent établi va marquer et va avoir des conséquences.

Mike Seetaramadoo, Executive Vice-President (EVP) Commercial et Cargo d’Air Mauritius.

Le second est celui-ci : la crise est venue d’une opposition vive entre Mike Seetaramadoo et, au moins, les pilotes. Aucun comité de sages ne saurait gommer cette réalité, qui sera opérante à nouveau au cours des mois à venir, apaisement ou pas ces jours-ci. Air Mauritius aura donc, finalement, à choisir entre être une compagnie autonome, libre de ses décisions, ou être un appendice du gouvernement du jour. À choisir entre M. Seetaramadoo et consorts et les techniciens indépendants dont elle a besoin. L’an dernier, on a choisi de licencier Megh Pillay. Cette fois-ci, la loi des nombres jouera en faveur des pilotes et de ceux qui les soutiennent. Air Mauritius, fleuron national, la cinquantaine, saura-t-elle choisir ? À voir la constitution du conseil d’administration, on peut en douter, sérieusement.

Photo bas droit: ex-Chairman de la SBM, Muni Krishna Reddy. Vishnu Lutchmeenaraidoo, ministre des Affaires étrangères, octobre 2017.

Le deuxième scandale concerne cet achat de terre de la State Bank qui pue l’affairisme. On voyait d’ailleurs quelque chose venir depuis un certain temps, tous les responsables de cette banque jusqu’en décembre 2014, ayant été automatiquement soupçonnés d’avoir fait le jeu du gouvernement travailliste précédent. Il y eut d’abord le désastre du projet informatique Flamingo de plusieurs milliards. Il y eut ensuite la débâcle de la BAI qui aura coûté, dit-on, presque 2 milliards de roupies en provisions. En juillet 2015, le Chairman Muni Reddy démissionne, ayant négocié une «golden handshake» de Rs 48 millions. En août 2016, on annonçait le retrait de Jairaj Sonoo, comme CEO de la SBM et sa reconversion à la tête des ambitions internationales de la banque. Difficile de présenter cela comme une promotion ! En toile de fond, d’autres équations d’influence gouvernementale, dont le fameux euro-loan du ministre Lutchmeenaraidoo, avec, à la clé, la fuite des documents bancaires les plus secrets et des accusations de Gestapo. Sans oublier la gaffe de début 2015 où l’on annonçait, dans le dos des actionnaires, que la SBM allait reprendre la Bramer. Finalement, trois suspensions (dont celle de Sonoo, après sa retraite, clame-t-on) pour une sombre affaire de terrains de 12 arpents, apparemment achetés à un prix déraisonnable pour suivre les instructions du PMO. Un des bénéficiaires, Kailash Ruhee, est lui-même du PMO, sous Navin Ramgoolam. Un autre scénario d’intervention politique, de revanche, de règlement de comptes, qui aura un prix sur cette banque, par ailleurs excellente.

Alvaro Sobrino, banquier, milliardaire, philanthrope Angolais. Thierry Henry. Ravi Yerrigadoo.

Répondons maintenant à la question du titre. Je ne vais pas vous refaire la liste de tous les scandales politiques qui nous alimentent depuis des décades : de Daby/Badry à Thierry Henry, du festival de la terre à Soodhun, de la BAI à MedPoint, de Neotown à Sobrinho, de ce qui s’entend devant la commission sur la drogue à Yerrigadoo, mais c’est bien de décadence que l’on parle.

Et à la vérité, Mesdames et Messieurs, cette décadence peut être encore pire si tous ceux qui se pincent aujourd’hui le nez, ne se remuent pas les fesses de leurs intérêts et de leur confort personnels pour tenter d’inverser la tendance.