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Le grand bleu

30 août 2017, 08:20

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Le grand bleu

Le grand plongeon dans l’économie bleue. C’est le projet que le gouvernement et la Banque mondiale préconisent pour permettre à Maurice de relever les défis du futur. Si bien que le dossier de première importance est passé sous l’égide du ministère des Finances, qui se propose d’organiser en octobre une conférence réunissant toutes les parties prenantes au projet.

Ce qui n’est pas dit autour de l’organisation de cet événement, c’est la difficulté grandissante de concilier une vision bureaucratique et technocratique de l’économie océanique à la réalité de la vie quotidienne de nombreux Mauriciens. Ce qui laisse la porte ouverte à des surprises, souvent mauvaises, lorsque les véritables projets commencent à prendre forme.

Une des activités de l’économie bleue est l’aquaculture. Elle n’est, certes, pas la seule activité de ce secteur, mais les débats autour de son expansion sont indicatifs de ce décalage entre les perceptions des promoteurs et des parties prenantes.

Dans ce dossier, nous voyons déjà se dessiner deux visions distinctes de ce qu’est l’économie bleue et de son potentiel. Nous avons, d’une part, des décideurs, essentiellement publics. Soutenus par des organismes internationaux et par des Mauriciens, souvent urbains. Pour eux, la mer est une ressource abondante et pas assez exploitée. Ils estiment que l’avenir du pays repose sur notre capacité à sortir du domaine du connu et à oser des projets audacieux en rapport avec la mer. Pour ce groupe, les opposants aux projets d’aquaculture seraient sous l’influence des lobbies hôteliers et touristiques. C’est, du moins, ce qu’ils auraient confié au cabinet Pluriconseil dans une étude à ce sujet.

Il est vrai que ceux qui s’y opposent sont des Mauriciens qui vivent sur les côtes et dont le mode dépend du tourisme. De là à penser que leur motivation est de soutenir quelque lobby, il y a un pas qui est vite franchi. Et des considérations légitimes sont vite écartées. Ce qui n’empêche que les groupes anti-aquaculture se mobilisent sur les réseaux sociaux contre les projets qui s’apparentent, à leur sens, à une surexploitation des ressources. Une surexploitation qui entraîne des effets pervers illustrés par la menace des requins dans le lagon. Ils brandissent aussi les risques écologiques, notamment la prolifération des maladies parmi les espèces de poisson ou la nécessaire capture de petits poissons pour nourrir les plus gros.

Les lobbies, qu’ils soient ceux de l’aquaculture ou des hôtels, n’ont aucune envie de se jeter dans l’arène et de trouver des réponses à ces interrogations légitimes des Mauriciens. Si bien que, si la société civile ne se mobilise pas pour cette conférence, le débat restera confiné à l’univers des technocrates et des groupes d’influence. Se posera-t-on enfin la question que poserait un économiste, à savoir de définir la ressource qui fait débat et d’évaluer sa rareté relative.

Mais de quelle ressource parle-t-on véritablement ? De quelle mer ? De quel environnement ? S’agit-il de ces vastes eaux territoriales loin de nos côtes que la majorité des Mauriciens n’aurait jamais vues ? S’agit de la mer proche de nos côtes et de nos lagons, celle que nous connaissons mieux et à laquelle nous sommes attachés ?

Quelle que soit notre relation à la mer, comment nous y prenons-nous pour évaluer le caractère rare et non renouvelable de cette ressource ? Sur des impressions ou sur des avis éclairés ?

Pour revenir à un débat plus apaisé sur les ressources océaniques, il serait utile d’intégrer des acteurs peu sollicités actuellement : les scientifiques qui, de manière neutre, pourraient poser un avis sur la rareté et le caractère renouvelable de la ressource. Des scientifiques qui ne seraient pas rémunérés par des promoteurs… qui produiraient des études qui ne seraient pas reçues comme des confirmations de victoires d’un groupe sur l’autre, mais qui pourraient nuancer par des avis contraires. Après, et seulement après, pourra-t-on parler de l’exploitation et du partage de cette ressource.

À défaut de ce préambule, les débats sur l’économie de l’océan tourneront rapidement à l’expression de fantasmes aussi profonds et insondables que l’océan.