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Un urgent besoin de scandale

31 juillet 2017, 09:43

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Un scandale pourrait enfin venir aider ceux qui nous gouvernent. Leur faire sortir des feux brûlants de ces projecteurs de l’indignation populaire, leur offrir un répit, même momentané, des assauts répétés d’une opinion publique très critique et virulente à leur égard. Ceux au pouvoir, grillés ou presque, n’ont qu’à espérer un faux pas, même le plus petit, le plus insignifiant, qui viendrait leur offrir un peu d’aération, eux qui s’étouffent sous le poids des scandales les éclaboussant semaine après semaine, et cela, depuis qu’ils sont à la tête du pays. Ils attendent, prient même, qu’un écart de comportement d’un opposant puisse les aider à souffler un peu. Le malheur de l’ennemi pourrait être la meilleure chose qui puisse les tirer des sables mouvants dans lesquels ils se trouvent.

L’écart ainsi recherché ou le faux pas, qu’ils appelleraient sans doute «scandale du siècle», proviendrait de l’opposition. Évidemment. Il impliquerait un adversaire ou ennemi politique. Un excès ou impair qui, même s’il n’est pas d’ampleur scandaleuse ou qu’il soit monté de toutes pièces, ferait l’affaire. Il peut être de nature très temporaire : le temps pour que les matamores puissent clamer «zot finn gagn klak» et dénoncer les alliances soulards, pour ensuite se déconfire, lorsque le coup s’avère foiré.

Scandales équilibrés

Le camp des acculés est fait de ceux qui se débattent, toujours à la recherche d’une accusation qui puisse au moins permettre à la population de rééquilibrer ses réflexions, lui faire croire que la comparaison entre gouvernement et opposition est encore possible. Ses dirigeants sont conscients de ce qui leur arrive, même s’ils réfutent ou banalisent les accusations. Ils essayent de tout faire afin que l’ensemble des troupes sorte de cette voie à sens unique, un one way trafic (sans jeu de mots) sur la pente des scandales qui l’entraîne vers des abîmes certaines.

Du côté du gouvernement, la situation est difficile pour les dirigeants. Eux qui auraient souhaité que le récent scandale de leur vice-Premier ministre soit définitivement son dernier. On peut être presque sûr que c’est un sujet de grande préoccupation, et plane en permanence le souhait que le scandale signalé hier, soit le dernier. Mais hélas, difficile de contrôler les troupes. Et lorsque le pouvoir est exercé par une alliance, il est pratiquement impossible de sanctionner quelqu’un sans porter atteinte à l’ego de l’autre partenaire.

Le grand rêve

C’est un grand rêve pour ceux-là, que l’opinion bouscule et vilipende ces jours-ci, de pouvoir dire à l’opposition qu’elle a aussi en son sein une brebis malfamée. Comme cela leur aurait soulagé la conscience et dénoirci un peu leur réputation. La moindre interpellation policière pour stationnement interdit, ou encore une convocation devant la commission sur la drogue d’un membre de l’opposition, suffirait pour donner aux princes durement acculés, l’impression réjouissante d’un équilibre entre gouvernement et opposition, dans le nombre de frasques occasionnés. Leur palmarès abondant des 30 derniers mois ne sera plus scandaleusement édifiant à leurs yeux, même si statistiquement, aucune comparaison n’est possible. Mais qu’importe. Si cela permet de jubiler avant que ne s’éteigne le pétard fizet !

Les opposants, surtout les plus volubiles et les plus menaçants sur le terrain politique, peuvent penser qu’ils n’ont rien à craindre, compte tenu du volume de scandales accumulés par les propriétaires du pouvoir. Mais l’attention doit être de mise. La moindre faille dans l’édifice de l’opposition sera exploitée outre mesure. Une prolifération de grandes fêtes permettra aux complaisantes organisations politico-religieuses d’offrir en pâture leurs membres à des discours hautement politiques. Des affiches illégales, collées dans des endroits ciblés, feront leur apparition. Et, à la télé nationale, pour une fois, on parlera de scandale !

Et le peuple dans tout ça ?

Difficile de savoir la réaction de la population au premier scandale qui toucherait un opposant au gouvernement. Car tout va dépendre de sa conscience, celle de chacun de nous, et de notre faculté de nous rappeler de nos indignations, de nos colères.

Que le peuple oublie et se laisse manipuler, qu’il sommeille ou feigne l’ignorance, qu’il se laisse faire tout en s’autoproclamant admirable alors qu’il n’est qu’admiratif, il aura à assumer sa responsabilité. Tout comme il doit assumer ses choix politiques. Et il ne peut aussi dire qu’il n’a pas vraiment eu à choisir, car c’est lui qui a décidé de limiter ses choix, sa liberté de penser, punissant les nouveaux venus, enguirlandant les pourris, et applaudissant pour un plat de briani. Un travail assizé à la municipalité, dans un corps parapublic, au gouvernement ou ailleurs, est une formidable gomme élastique de la mémoire.

Et si demain une égratignure touche un opposant, toute la série de scandales qui défile aujourd’hui sous nos yeux risque de ne plus être condamnable. La culpabilité risque de s’amenuiser, de s’évaporer. Nous aurons alors perdu le sens d’un devoir : celui de la mémoire.