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L’arbre qui cache la forêt

14 juin 2017, 12:27

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C’est beaucoup plus le Budget du Premier ministre que celui du ministre des Finances. On sent à travers le discours de Pravind Jugnauth – il porte les deux casquettes à la fois – un grand besoin de plaire, voire de séduire.

L’exercice financier 2017-18 lui a donc servi de rampe de lancement pour jeter les bases de la prochaine échéance électorale. Croire qu’il en aurait été autrement serait faire preuve de grande naïveté. Car le chef du gouvernement est avant tout un politicien, et ce statut lui impose coûte que coûte d’assurer sa survie. D’autant plus qu’il part avec un désavantage : contrairement à ses prédécesseurs, il n’a pas de plébiscite populaire. Et quoi qu’en disent ses partisans, cela demeure un handicap.

Le contexte ayant été posé, la démarche de Pravind Jugnauth devient plus évidente. Déjà, il faut relever qu’il ne fait pas grand cas du fait qu’il ait raté son objectif sur la croissance économique. Il avait projeté un taux de 4,1 % dans sa dernière allocution budgétaire et au final, il termine l’année financière avec 3,9 %. Cela ne semble pas le déranger outre mesure. Il promet de l’atteindre en 2017-18. «We are expecting the growth rate to rise further to 4.1 per cent in 2017/18», fait-il ressortir.

Son message est on ne peut plus clair : les 300 mesures énumérées ne porteront pas la croissance vers des sommets de 5 %, comme son prédécesseur l’avait fait croire en 2015. Réaliste, il l’est. Cela, au moins nous devons le reconnaître. Mais, en même temps, une telle posture est tout à fait compréhensible dans la mesure où il s’est livré à un exercice de saupoudrage budgétaire.

Avec les prochaines consultations populaires en ligne de mire, le chef du gouvernement a voulu marquer des points faciles. C’est d’ailleurs sa quête de quick wins qui l’a fait recourir à l’instrument fiscal. Un levier qui, jusqu’à preuve du contraire, pourrait lui permettre d’être efficace plus rapidement au niveau de la stimulation de la demande comparé à d’autres outils. Car il s’agit de toucher directement les poches de 150 000 personnes à compter de juin 2018 au moyen de sa Negative income tax. Il ne faut pas, non plus, sous-estimer l’impact psychologique d’une telle initiative. Nous aurons certainement l’occasion d’en prendre la mesure, surtout en période électorale.

Pour le financement, il n’est pas, non plus, allé chercher très loin. Son Solidarity levy de 5 % pour réduire les inégalités est difficilement contestable, même si cela provoque des grincements de dents. Qui plus est, ils ne seront pas très nombreux à devoir s’acquitter de cette taxe. Le relèvement du seuil d’exemption d’impôt sur le revenu à partir du 1er juillet 2017 s’insère également dans le cadre de cette stratégie visant à avoir plus d’impact là où c’est nécessaire : le porte-monnaie. Rien de tel qu’un feel good factor pour faire repartir la consommation.

Toutefois, l’investissement demeure central à toute tentative de faire repartir l’activité. Le chef du gouvernement donne l’impression d’en être conscient. Là encore, c’est la carotte fiscale qui est mise à contribution pour inciter les entreprises exportatrices à investir dans la modernisation de leur chaîne de production. De quoi ravir les capitaines d´industrie.

«Business Mauritius accueille favorablement les mesures annoncées pour redynamiser le secteur de l’exportation avec, entre autres, l’introduction d’une ‘corporate tax’ concessionnelle. Ces mesures permettront aux entreprises locales d’exporter leurs produits et leur savoir-faire, mais aussi de générer de l’emploi au niveau local», souligne le président de Business Mauritius.

Et Arnaud Dalais d’ajouter que «ce budget contient aussi beaucoup de mesures positives pour stimuler tous les secteurs de notre économie tout en privilégiant la recherche, la technologie de pointe et l’innovation».

Effectivement, le Budget 2017-18 prône la voie de l’innovation. De toutes les façons, nous n’avons plus le choix. Le modèle économique s’essouffle et ce n’est pas demain la veille que nous verrons l’émergence de nouveaux secteurs d’activités. Le domaine de la recherche et du développement demeure donc une planche de salut. Reste maintenant à voir comment le Mauritius Research and Innovation Council (MRIC) va s’y prendre pour développer les secteurs à haute densité de savoir.

En revanche, l’Innovator Occupation Permit destiné aux start-up innovantes devrait nous permettre de franchir un nouveau palier à travers l’acquisition d’expertises autres que celles héritées de notre statut d’ancienne colonie. Nous parlons bien évidemment de nos connaissances en matière de recherche et développement dans le domaine sucrier.

Un autre effet d’annonce ? En tout cas, Pravind Jugnauth est attendu au tournant sur la création d’un Economic Development Board. Cet organisme dont l’objectif annoncé est de renforcer notre capacité institutionnelle afin de soutenir nos objectifs de croissance portera une très lourde responsabilité. D’autant plus qu’on attend de lui «greater coherence and effectiveness in implementing government policies and actions». Ce qui n’est pas le cas actuellement, notamment en matière du développement et de la planification économique sectorielle. L’incapacité chronique des pouvoirs publics à respecter les calendriers dans la mise en chantier des projets infrastructurels en est une triste illustration.

Année après année, le gouvernement passe à côté de ses objectifs sous ce chapitre. En 2016-17, il avait projeté de dépenser Rs 35 milliards à l’item des dépenses d’investissements mais, selon Anthony Leung Shing de PwC Maurice, il n’a déboursé que Rs 24 milliards, soit un taux d´implémentation de 69 %.

Selon le partenaire de PwC, «experience from past Budget initiatives, such as the electronic procurement system, indicates that the level of adoption remains low or requires a change in culture. Unless working methods evolve, the desired efficiency gains will not be derived».

En l’absence de véritables réformes structurelles et à voir à quel rythme les projets sont exécutés, il est difficile, en effet, d’être totalement optimiste en anticipant l’impact réel du Budget 2017-18. Le fait est – il est malheureux de le constater – que l’arbre des prochaines consultations populaires a fini par cacher la forêt des enjeux pressants qui guettent le pays en ces temps volatils.