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Drogue: Héros et héroïnes de tous les trafics

5 avril 2017, 10:20

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Rs 300 millions d’héroïne a été découverte dans des cylindres, au port, le 24 mars.

135 kg. Deux milliards de roupies : pas trop choqué le Mauricien, il est plutôt curieux. Il est intéressé surtout par le mode opératoire du trafiquant, la quantité de drogue trouvée, le montant de la saisie, l’astuce et l’audace de l’importateur, l’utilité du chien renifleur dont le flair n’a pu transpercer les cylindres. Quant à la dimension morale du trafic, elle ne sera, comme d’habitude, qu’une interpellation passagère. Bientôt, les 135 kg ne seront plus qu’un fait divers.

Des trafics, le Mauricien en connaît des tas qui ont tous commencé par le choquer, mais qui ont fini par être banalisés : trafic de devises, de blanchiment d’argent, trafic humain, prostitution forcée ou pas, trafic de filles malgaches, trafic de mains-d’oeuvre étrangères, de permis de conduire, de horsepower falsifiées, trafic dans l’immobilier, trafic de l’or, trafic dans les courses, trafic dibwa, zako, lisien, trafic de prêts logements ou appartements destinés aux pauvres, trafic de terrains à bail, trafic de certificats, trafic de fitness, trafic de l’eau en citernes, trafic de casseurs, trafic de papiers d’examens, trafic de bourses, trafic d’adoption, trafic avec fonds de pension, trafic de coupons parking, et tous les trafics d’influence, trafic de contrats, trafic de cartes sim et autres trafics dans les prisons. Comme avait annoncé un ancien Premier ministre, de manière péremptoire, un soir à la télé, cet aveu d’impuissance d’un gouvernement : «Ou kapav ampess kokin ou ?»

L’assurance des impunis

Pourtant, subsistent des questions de fond sur l’assurance de l’importateur trafiquant au moment où il passe sa commande, les rentables connexions des intouchables qui profitent d’un système complexe de protection et qui clament abusivement : «Gouvernma dan nou lamé.» Ceux nullement inquiétés par les autorités, jamais menottés, ou qui, après des années, voient leurs procès rayés pour insuffisance de preuves. Et comme pour nous narguer, le malfrat, qui s’en sort toujours et qui ose même s’afficher en héros, marche dans la rue en bombant son torse corrompu. Une situation certes pas exclusivement locale, mais c’est ainsi que le Mauricien finit par banaliser le crime. Et l’oublier.

Trafiquants, traceurs, transfuges, tous terribles !

À l’heure où le libéralisme et le rationnel économique l’emportent sur toute autre considération, on peut s’attendre à l’accroissement de trafics qui échapperont à la condamnation populaire, car faisant partie d’un système où tout le monde veut réaliser son propre miracle économique, guidé en cela par l’environnement social et politique et la moralité ambiante. Certains se défendent d’être trafiquants : ils se disent traceurs. Mais difficile de tirer une ligne entre les deux. C’est vrai, les 135 kg de poudre, ça n’a rien à voir avec nos petits trafics de fausses adresses et de factures d’eau pour être admis dans une star school, aux abords de laquelle grouillent ces nombreux vans lékol. À quoi servent-ils si les enfants habitent le catchment area ? Le trafic de l’éducation démarre là, et ça produit des lauréats.

Et puis, il y a le trafic de la pensée, trafic au col blanc, couillonner les gens pour avoir leurs votes ; trafic de promesses ; trafic de jobs for the boys, trafic de nominations politiques. Le transfuge, escroc électoral, qui trahit, qui vend sa conscience pour un portefeuille et des millions, en quoi est-il différent du trafiquant ? Lui aussi, il jouit d’une impunité. Il finit toujours par se faire accepter et saluer par le peuple. Tout comme ceux et celles de la drogue que l’on appelle rois ou reines de quelque partie de l’île : tous des héros et héroïnes.

Banaliser le crime

Notre système de justice établit une hiérarchie des sanctions selon la gravité du délit. Le montant de la drogue saisie, la quantité de grammes compte dans l’imposition des peines. Dans notre société, nous tenons le même raisonnement. Nous relativisons et nos jugements deviennent plus mous, on soutire selon la gravité du délit. Plus la quantité de drogue saisie devient importante, plus on aura tendance à ne plus être choqué. Demain, la tonne d’héroïne trouvée dans un container nous rendra moins sévères vis-à-vis de l’importateur des 135 kg d’aujourd’hui. En bref, plus les saisies seront conséquentes, plus on va banaliser le crime.

Notre part de responsabilité

À force de comparer, on finit par déculpabiliser l’escroc qui a tapé des commissions sur un contrat, ou le transfuge ou autres voyous impunis, alors que notre société se gangrène tout autant qu’avec le trafiquant de drogue.

On entoure le chauffeur de bus qui a causé un accident pour le malmener, pour exprimer quelque colère, même s’il n’est pas en tort. Si nous entourons le transfuge ou le politicien qui côtoie le trafiquant financier, pourvoyeur de briani ou de tempos, ce n’est pas pour l’insulter mais pour l’enguirlander, l’encenser. Le peuple est content et ira voter avec reconnaissance.

135 kg à Port-Louis : beaucoup de trafic, là-bas.

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