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Île Maurice: Nouvelle Troie ? Réflexions sur la naïveté des gouvernants

30 mars 2017, 13:03

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Île Maurice: Nouvelle Troie ? Réflexions sur la naïveté des gouvernants

En première page de l’express récemment une caricature de POV servit à illustrer l’utilisation par les Grecs d’un habile stratagème, le cadeau d’un cheval de bois harnaché d’or, pour infiltrer les défenses de la ville de Troie et massacrer ses habitants. Homère s’en était inspiré pour écrire l’Iliade et l’Odyssée il y a environ trois mille ans. Depuis cet épisode sanglant, le Cheval de Troie sert de référence aux dangers de la crédulité comme de la complaisance en politique pouvant mener un État à sa perte.

C’est dans l’optique d’inculquer aux éventuels décideurs les notions de prudence que le Commonwealth Secretariat finança, à l’époque, un programme de formation de cadres destinés à assurer des responsabilités publiques dans les pays en développement, surtout africains. De nombreuses personnalités issues du monde des finances, de la politique ou des milieux universitaires furent invitées à y participer.

Parmi elles, le professeur Peters Don à la faculté de philosophie d’Oxford, qui choisit comme thème d’intervention : Ethics and Politics. Il démontra en passant que les princes qui nous gouvernent ont été, depuis la tragédie de Troie et jusqu’aux temps modernes, victimes de la duperie de personnages de douteuse réputation très souvent justiciables des tribunaux de leurs propres pays ou des instances juridiques internationales. Souvent des deux.

Timeo Danaos...

Pourtant à Troie, des sages comme Laocoon, ou des sceptiques comme Cassandre, avaient prévenu Priam, chef de la cité, et ses généraux, qu’il fallait se méfier des Grecs. «Timeo danaos et dona ferentes» est une mise en garde très claire : «Je crains les Grecs surtout quand ils font des cadeaux.»

Il est souvent arrivé à nos hauts fonctionnaires, particulièrement aux Affaires étrangères, aux Finances ainsi qu’au Plan et développement, dans les années 80, d’avoir affaire à des prédateurs économiques ou financiers venus nous offrir leurs services tout en demeurant frileux sur leurs antécédents. La faiblesse d’un ministre de cette époque, dont les coups de cœur court-circuitaient souvent (hélas !) la vive intelligence, coûta parfois très cher. Elle nous a valu des scories architecturales et sculpturales qui défigurent toujours notre paysage urbain. Sans compter bien d’autres projets fumeux dont certains, heureusement, furent abandonnés. Il arrivait que «timeo danaos» fût écouté et compris.

De Machiavel à Laurence Peter

Élaborons un peu sur la méfiance qui, en tout temps, en tout lieu, surtout chez soi aux plus hautes sphères du pouvoir, doit conditionner le comportement des «princes», qu’ils aient hérité leurs titres, aient été élus par le peuple ou aient bénéficié de la confiance d’une quelconque assemblée constituante.

Que peuvent avoir en commun le Cheval de Troie, Machiavel, Thomas Hobbes, Daniel Batson, la Loi de Murphy et le Principe de Peter ?

Quand le «très rusé» (polumétis en grec) Ulysse imagina le maléfique traquenard qu’il tendit aux Troyens, il s’arrangea subtilement pour convaincre les dignitaires de la cité-État d’accepter cette offrande somptueusement caparaçonnée. Bernés par un fin dosage de louanges et de promesses, appâtés par le cadeau, les assiégés festoyèrent, ouvrirent toutes grandes les portes des remparts. La suite tragique de cet excès de zèle est connue.

Au siècle présent un roublard bien nanti, en délicatesse avec la justice de son pays, ou internationalement compromis par des activités non encore élucidées, agira comme Ulysse. Ses «dona ferentes» fascineront les «princes» d’un pays ciblé qui lui offriront complaisamment l’accès aux institutions régulatrices, supposées les plus sévères, pour la promotion de ses projets. À Troie, Priam n’avait pas les facilités d’investigation et de recherche pour obtenir des précisions sur un bienfaiteur aux mielleuses paroles. Les gouvernants, ces «princes» que décrit Machiavel, ont aujourd’hui des recours pouvant leur permettre, par un coup de téléphone, ou une simple touche sur un clavier d’ordinateur, de déterminer le bona fide d’aigrefins actifs de par le monde, plus particulièrement en Afrique et, semblet- il, en Amérique latine.

Il serait évidemment irrationnel d’afficher systématiquement des réserves envers tout étranger venu s’informer des facilités que nous offrons aux investisseurs. L’hospitalité n’exclut pas de s’enquérir discrètement sur son passé et sur ses réelles motivations. Il serait même plus honnête de lui dire franchement : «Merci. Nous allons d’abord enquêter sur vous auprès de nos contacts. Nous verrons après.»

Au 23e chapitre de ses conseils à Laurent le Magnifique, fils de Pierre de Médicis, Machiavel lui recommande de se méfier des flatteurs et de vivre «de telle sorte avec ses sujets afin que nul incident ne puisse ternir son image». Comme l’épouse de Jules César, le prince doit se maintenir au-dessus de tout soupçon. Il ne doit jamais oublier que la perception d’intégrité, de retenue, de sage modération «doit l’accompagner partout, en toutes circonstances».

Hobbes et l’altruisme

Quelques années après la publication du livre de Machiavel, Thomas Hobbes, philosophe américain, entreprit une analyse sur les pulsions profondes des êtres humains. Il conclut qu’elles sont fondamentalement égoïstes. Tout ce qui ressemble à de l’altruisme ne serait en fait que de l’égoïsme habillé de bons sentiments. Nous faisons la charité pour calmer notre conscience ou apaiser un certain malaise, pas vraiment pour soulager la misère ! La société serait, selon lui, truffée de «faux altruistes».

ll se trouve que les statistiques actuelles émanant des recherches de Daniel Batson, psychologue, vont dans le même sens que les appréhensions de Hobbes. Il n’y aurait que 15 % de vrais altruistes. Raison de plus pour se méfier des chevaux de Troie qui caracolent de par le monde. Batson souligne : «Si vous pouvez berner tout le monde ne serait-ce qu’occasionnellement, cela suffit. » Cela suffit à quoi ? À pénétrer les hautes sphères des instances gouvernementales à des fins personnelles.

Beaucoup de ces bonimenteurs feraient mieux de demeurer chez eux à exercer leurs talents à soulager la détresse de leurs propres citoyens dans des pays où la corruption institutionnalisée demeure depuis des décennies un obstacle à la bonne gouvernance et au progrès économique et social. Charité bien ordonnée...

Le principe de Peter

«Pourquoi tout va mal ?» se demande Laurence J. Peter. Il cherche et découvre que, dans une hiérarchie, toute personne finit par s’élever à son niveau d’incompétence. Sa hiérarchologie, abondamment documentée, fournit une compréhension de la psychologie humaine et de la structure, souvent chaotique, des organisations sociales, industrielles – et politiques.

Selon ce principe, on déduit qu’à Troie, Priam et ses généraux avaient atteint leur niveau d’incompétence. Avoir réussi à élever leur patelin des Dardanelles au niveau d’une puissance maritime dominante n’incluait nullement la faculté de diriger la nation dans le nouveau contexte d’une guerre d’usure contre les Grecs.

Il en est de même aujourd’hui des États où les personnes qui font œuvre utile dans une situation donnée, comme briller en littérature ou réussir en affaires, soient propulsées, par intrigue politique ou copinage, à des échelons de pouvoir révélant bien vite qu’elles avaient été élevées à un dangereux niveau d’incompétence. Un sulfureux mélange de crédulité, d’orgueil, de cupidité même, conditionné par l’ivresse des apparences exaltantes, aboutit à exagérer avec suffisance l’étendue de leur intelligence dans des conditions de responsabilités qui ne leur conviennent plus. Il aurait mieux valu que ces personnes soient demeurées à leur niveau de compétence et d’expérience plutôt que d’aller s’aventurer dans les arcanes du pouvoir où elles finissent par accréditer la Loi de Murphy qui veut que : «Tout ce qui doit aller de travers, ira de travers.» À Murphy d’ajouter : «S’il existe deux ou plusieurs manières de faire quelque chose et que l’une de ces manières est susceptible de se solder par une catastrophe, on peut être certain que quelqu’un se débrouillera pour la choisir.»

Un prince qui aura atteint son niveau d’incompétence fera invariablement un tel choix.

Alors, que faire quand les États se trouvent dans une situation où les princes représentent, selon le Principe de Peter, un risque au maintien de la dignité de la nation et à sa crédibilité internationale ?

Il peut se faire que, lassitude ou sensibilité blessée, les princes choisissent de démissionner. Plus radical, Machiavel prévient que le peuple, exaspéré, finit par les démissionner. La présidence de la Corée du Sud en fit les frais tout récemment.

Références :

Homère : Iliad et Odysée (9e siècle av JC)

Nicholas Machiavel (1469-1527) : Le Prince Thomas Hobbes (1588-1679) : Le Léviathan

Don Peters : Ethics and Politics (Oxford 1967)

Daniel Batson : Empathy and Altruism

L.J.Peter : The Peter Principle

Murphy : Murphy’s Law