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Oh ! Nue...

16 décembre 2016, 07:22

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...la mort. Elle avance inexorablement, la mort, sans costume, sans chaussures.

Elle avance à grands pas, elle progresse malgré notre désir inné de vivre, à Alep ou ailleurs. Dès notre naissance, il n’y a qu’elle comme certitude : la mort nous attend tous, au tournant, quelque part, sur la route. Lamartine, poète, disait que chaque instant dans la vie est un pas de plus vers la mort. Chaque instant à ignorer la mort est une fuite inutile, puérile, stérile.

Oui chaque instant. À l’heure où certains ont du mal à choisir leurs arbres et cadeaux de Noël, des enfants meurent sous les bombes à Alep, en Syrie. On efface leurs traces à coups de propagande et nous, on regarde ailleurs. Les Nations unies enchaînent les discours de paix et les secrétaires généraux, mais elles ne peuvent strictement rien face à la «pire tragédie du XXIe siècle» : le massacre des Syriens, qui ne veulent pas d’un régime totalitaire.

Alors que les rues et les vitrines du monde entier arborent les lumières de Noël et du Nouvel An, comment expliquer que l’on puisse rester, à ce point, indifférent à ce qui se passe là-bas à Alep ? Ne comprend-on pas que soutenir les civils qui sont déchiquetés par les bombes, alors que l’ONU et les grandes puissances détournent le regard, c’est aussi soutenir la démocratie et nos semblables ? Où est passée notre capacité d’indignation ? Comment s’attendre à ce que le monde nous aide en retour (par exemple en récupérant les Chagos) si, nous, on ne lève pas le petit doigt, si on persiste à croire que notre petit doigt ne pourra jamais stopper les kilotonnes de bombes diverses d’al-Assad et de Poutine ?

 

La cruelle vérité, alors que nous écrivons nos cartes de vœux (bonheur, paix, longue vie, etc.), c’est que l’ONU n’a aucun pouvoir dans la vraie vie ! On y va chaque année, dans un cadre feutré, faire un discours qui ne change pas grand-chose à la marche du monde. L’ONU est paralysée, dans le cas syrien, par le droit de veto russe et la puissance de Poutine, devenu encore plus puissant avec l’élection de son ami Donald. Tout le monde le sait, tout le monde s’accorde à le dire : le régime syrien seul n’aurait jamais pu mener des opérations militaires d’une telle envergure sans les Russes. Et, pourtant, il réduit ses opposants au silence par la violence.

Après l’Irak, l’Afghanistan, l’Occident a peur d’intervenir et ce, même si al-Assad gaze son peuple (comme jadis les Anglais avaient gazé des chiens sous les yeux traumatisés des Chagossiens dans nos eaux territoriales !).

Nous vivons – et nous mourrons – dans un monde où la justice internationale se plie, comme du papier cadeau, face aux puissants. Les armes chimiques sont utilisées (comme hier les bombes atomiques), mais l’ONU, Obama, Merkel, Modi, Hollande, bref la communauté internationale (qui n’existe pas à cause des intérêts divergents des pays) feint de ne rien voir. La mort, toute nue, avance mais on fait comme si de rien n’était. On préfère rester zen. C’est la période des fêtes. On ne devrait pas parler de la mort.

De Javier Pérez de Cuéllar ou Boutros Boutros-Ghali à Antonio Guterres (qui a prêté serment le 12 décembre et qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2017), en passant par Kofi Annan à Ban ki-Moon, les SG de l’ONU ne peuvent que regretter les insuffisances des Nations (des) unies, rassemblées sur les ruines de la Seconde guerre mondiale en 1945. Depuis le monde a changé – le mur de Berlin est tombé, Fidel est mort. De temps en temps, dans les forums internationaux, on exprime des regrets sincères face aux morts qui se ramassent à la pelle, on verse des larmes impuissantes face aux chars, on agite des drapeaux blancs, on déploie quelques casques bleus et une extrêmement lourde bureaucratie face à la puissance de feu des assassins internationaux qui changent de visages...

On aura beau discourir sur le déracinement des Chagos du territoire mauricien, le massacre syrien, le besoin de maintenir la paix en mer de Chine, la gestion des catastrophes naturelles et humaines, mais cela ne servira à rien au fond si, dans la réalité, la ville d’Alep est rayée de la carte du monde. Et ses victimes, par milliers, ensevelies, sous les ruines et décombres.

Il y a une montagne de chaussures dans les rues d’Alep. Elles n’attendent pas le Père Noël, encore moins l’ONU. Elles symbolisent la mort qui frappe, alors que nous, nous, décorons nos sapins artificiels ou nos filaos...

Se pose alors cette question : si la mort, implacable, est au bout de la route, si on n’y peut rien, et si, en plus, on ne tente rien non plus, devrait-on blâmer pour autant ceux qui ont le cœur en fête, inconscients, insouciants. Pagnol avait peut-être raison : «Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants.» On peut y lire toute la tragédie et toute la douceur du monde. Car au fond, extrapolant sur la mort, on ne peut que déduire ceci comme vérité : la seule leçon à retenir de la vie est que la mort finira, tôt ou tard, par vous ôter tout ce que vous avez aimé ou pas. À Alep, on le vit jusqu’au bout de la route défoncée, beaucoup tâchent de se laisser aller à l’évidence de vivre en attendant que frappe la mort...