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La banalisation des modifications constitutionnelles

6 décembre 2016, 09:15

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En décembre 2015, le gouvernement souhaitait faire adopter une nouvelle législation sur la saisie de biens, l’Integrity Reporting Bill. Il estimait que le dispositif de cette loi serait contraire à la Constitution et que la Cour suprême pourrait décréter l’inconstitutionnalité de la loi. Qu’a-t-il fait ? Il a tout simplement modifié la Constitution pour s’assurer qu’elle est conforme à la nouvelle loi.

En décembre 2016, le gouvernement souhaite apporter de nouvelles dispositions légales contre le terrorisme. Il estime une nouvelle fois que la loi pourrait être en violation de la Constitution. Que propose-t-il de faire ? Une fois encore, il souhaite modifier la Constitution afin que celle-ci soit conforme à la nouvelle loi.

Au lieu de s’assurer qu’une nouvelle loi est conforme à la Constitution, on agit afin que la Constitution soit conforme à la nouvelle loi.

Alors que les dispositions de la loi votée en décembre 2015 soulevaient des questions de fond beaucoup plus discutables, que les motivations de ses auteurs étaient plus suspectes et que les droits fondamentaux de tous les citoyens étaient menacés, celles de la loi proposée en 2016 sont certes controversables pour certains, mais elles s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie globale pour combattre ce qui est perçu comme une priorité pour la paix et la sécurité. Les risques d’abus et d’utilisation de l’arsenal juridique à des fins autres que celles visées par la loi sont toujours possibles et les observateurs vigilants ont raison de craindre le détournement des pouvoirs conférés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, au service d’objectifs moins louables.

Cependant, ce qui est commun aux deux cas, c’est que traiter un amendement de la loi suprême presque comme un simple consequential amendment qu’on retrouve dans presque tous les projets de loi, devient une habitude. On met tous les consequential amendments aux lois ordinaires et à la Constitution dans le même panier. Ceux qui ont trait à la Constitution sont mis dans un projet de loi séparé uniquement parce que la majorité requise pour leur adoption est différente de celle requise pour les autres dispositions du principal projet de loi.

On assiste à la banalisation de modifications constitutionnelles.

Un des objectifs majeurs d’une Constitution est de prévoir les limites des pouvoirs. Ceux de l’exécutif, du législateur et même ceux du judiciaire. Or, si l’exécutif qui dispose d’une majorité parlementaire peut, à chaque fois qu’il estime que son projet législatif se situe en dehors des limites qui sont imposées par la Constitution, enlever ou étendre ces limites d’un trait de plume, la délimitation des pouvoirs prévue par la loi suprême ne sert plus à grand-chose.

Certes, les dispositions constitutionnelles peuvent être revues avec le temps. La Constitution ne reste pas figée et doit s’adapter à des circonstances nouvelles. Mais elle fixe les limites de l’action des différents organes de gouvernement aussi longtemps qu’elle n’a pas été modifiée selon un processus qui respecte le principe que la souveraineté réside dans le peuple.

On ne peut modifier une Constitution, même si un gouvernement agit de bonne foi, comme une lettre à la poste. Voter une loi ordinaire et voter une loi constitutionnelle ne peuvent être rangés à la même enseigne.

Un gouvernement, peu importe sa bonne foi, ne peut agir de façon cavalière avec la loi suprême du pays. Il ne peut agir avec désinvolture et de son propre chef. Il ne peut move the goal post à chaque fois que les limites constitutionnelles ne lui conviennent pas. Au cas contraire, il n’y a plus de limites constitutionnelles.

La décision du gouvernement, en décembre 2015, n’était pas une première. La Constitution a déjà été modifiée, dans le passé, dans des circonstances similaires.

En fait, l’amendement constitutionnel proposé en décembre 2016 par rapport au terrorisme n’est pas le seul. En même temps, le gouvernement tente de faire adopter le Rodrigues Regional Assembly Amendment Bill et trouve qu’il est nécessaire de modifier l’article 16 de la Constitution pour être sûr que celle-ci soit conforme à la nouvelle loi. Donc, il propose deux amendements constitutionnels en cette fin d’année.

Décidément, éliminer ou contourner un obstacle constitutionnel devient plus qu’une habitude. Il est dangereux quand celui-là même qui est assujetti à une restriction est aussi celui qui est pourvu des moyens d’enlever la restriction ou les limites sur son pouvoir législatif.

En attendant que le pays se dote un jour d’une deuxième chambre parlementaire ou d’un système électoral réformé qui rendent moins facile l’adoption des piecemeal amendments à la loi suprême (à chaque fois que le pouvoir du jour le juge nécessaire) ou encore mieux, d’un nouveau mécanisme pour modifier la Constitution, il faut espérer que les gouvernements s’imposent une règle de conduite en la matière. Ils devraient s’engager à consulter largement l’opinion, à chercher l’avis d’experts indépendants, à promouvoir un dialogue national sur toute modification à la Constitution avant que la modification proposée ne soit soumise au vote des parlementaires.

En outre, il faudra éviter toute modification ad hoc à moins que ce soit vraiment nécessaire et urgent de le faire en raison d’un danger imminent. Les gouvernants n’imposeront pas ainsi des limites à leur marge de manoeuvre. Dans ce cas, c’est au peuple de leur imposer ces limites et ces règles de conduite.