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Des ‘people’ qui travaillent au noir

4 décembre 2016, 07:46

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Toute initiative, aussi louable soit-elle, invite des critiques, tout comme toute couverture médiatique ou manifestation artistique ou culturelle. C’est un peu normal puisqu’il est vraiment difficile de tout cerner, en intégrant tous les intérêts, sensibilités, et perspectives, souvent divergents. Tant mieux si les critiques tendent tant vers l’équité sociale que vers la promotion culturelle. Notre propos : autant on avait été émerveillé l’an dernier, autant on a ressenti une certaine gêne cette fois-ci en marchant dans les rues de Port-Louis. Avec cette question qui nous taraude encore : peut-on vraiment parler de ‘people’ de Porlwi en occultant les marchands ambulants ? Simplement en les balayant du tableau que l’on veut peindre ? On peut, sans doute, toujours essayer – sur le plan stratégique, au niveau de la phase conceptuelle et dans le ‘packaging’. Mais dans la mise en œuvre d’un projet d’une telle envergure, ce sera, peut-être, une vaine tentative, outre d’être une occasion – d’inclusion – ratée…

Au lieu d’une ville de Port-Louis austère, vide de vie, barricadée derrière des roller shutters, volets baissés dans des rues désertes et sombres, il y avait du monde, pour la deuxième année consécutive, sous les lumières, de PortLouis – célébrée, cette fois-ci, sous le thème ‘people’. Bravo !  

En 2015, on avait rencontré, dans la foule bigarrée, peut-être, qu’un seul insatisfait : un marchand de rue, qui était pourtant adossé à la féerie poétique du Jardin de la Compagnie, débarrassé de ses plaies humaines. Les gens, alors, captivés par le phénomène lumineux, les yeux écarquillés comme sous un choc visuel, ne pensaient pas à acheter sa camelote, qu’on voit tous les jours. «Péna lavant !» s’emportait ce marchand. Mais on n’en avait pas fait grand cas. Le challenge était ailleurs. On vivait une première. Et on avait salué l’événement.

L’an dernier, il y avait cet émerveillement car on avait l’impression que Maurice s’était donné rendez-vous comme un seul peuple à Port-Louis. En effet, on avait rarement vu un tel public technicolor venir soigner son regard, l’affiner, le sublimer pour qu’il danse au gré des sons et des lumières. On était fier de voir ressusciter Port-Louis, ce véritable creuset de notre histoire commune – de Mahé de La Bourdonnais à sir Seewoosagur Ramgoolam. Cette fois-ci, on est resté sur un sentiment autre : les marchands ambulants se sont invités à la fête, en se mettant au milieu de tout le monde. Ils ont prouvé, s’il le fallait encore, que Port-Louis, c’est avant tout leur habitat, c’est leur territoire, leur environnement stratégique. Et, sous la pluie, ils criaient et vendaient, redonnant à la capitale ses sons et activités authentiques et folkloriques, recouvrant même les sons ‘alien’, importés d’ailleurs et diffusés à grands coups de décibels, souvent cacophoniques.

De la Gare du Nord à la Place d’Armes, ils ont envahi l’espace, nos marchands ambulants. La zone piétonne est devenue zone marchande, un véritable souk à ciel couvert. Au vu et à la barbe des organisateurs et des autorités. Les marchands ambulants, qui avaient fait fuir Pravind Jugnauth et Showkutally Soodhun devant le centre Idriss Goomany, à Plaine-Verte, ont simplement repris leur place dans le trafic. Ils nous avaient prévenus. Mais on a choisi de les ignorer.

Leur présence, loin d’être seulement symbolique, représente surtout un acte politique et de défiance fort : qu’on veuille d’eux ou pas, ils font partie du décor et vont profiter de la foule, comme les autres sponsors. Ils sont aussi les ‘people’ de Port-Louis, ville marchande par excellence. Pourquoi alors piétine-t-on leurs marchandises ? Pourquoi doivent-ils travailler dans le noir et dans la boue ? Dans les canaux d’évacuation… Pourquoi les ignore-t-on ? En passant, combien sont-ils ? Qui sont-ils ? Qui les consulte ? Pourquoi n’ont-ils pas voix au chapitre puisqu’ils font partie de l’économie et de la culture mauriciennes ?

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Au XVIIe siècle, Gilbert Nicolas de la Reynie avait été nommé par Colbert et Louis XIV, tout premier lieutenant général de police de Paris, pour enrayer l’explosion de la criminalité dans les rues de la capitale française. Il avait alors ordonné de mettre en place un éclairage public, en plaçant des lanternes et des flambeaux dans les rues, et même dans les ruelles les plus sombres pour dissuader les rôdeurs et les criminels – et pour encourager le commerce de rue, en toute sécurité. Dans ce même ordre d’idées, pourquoi alors, face à l’engouement suscité et le succès populaire, ne pérenniserait-on pas Porlwi en accordant à tout un chacun – et non seulement à ceux qui sont connectés au réseau Porlwi – sa place véritable dans le trafic ? Pourquoi les sublimes lumières de l’artiste Nirveda Alleck, qui chassent les activités louches au Jardin de la Compagnie, durent-elles trois jours seulement ? Pourquoi pas une manifestation permanente ; Port-Louis et ses ‘people’ ne méritent-ils pas mieux que trois jours d’éclairage public par an ?

C’est un triste constat, un aveu d’échec de nos autorités : les 50 ans d’accession au statut de Cité, qui viennent de s’achever, sont presque passés inaperçus, en comparaison avec Porlwi by Light.

Dans un monde idéal, et non pas féerique uniquement, un festival doit pouvoir se donner les moyens de se muer en événement culturel, solidaire et artistique permanent avec pour vocation de redonner visage, corps et place aux personnes exclues de la société – en créant un espace de rencontres et d’échanges entre ces personnes et la population.
 

 Quand les lumières de Porlwi vont s’éteindre, il faut qu’on essaie de réfléchir ensemble sur l’exclusion de certains Portlousiens. Cela relève de la sociologie, de l’anthropologie et de la gestion de la Cité autant que de l’art et des entreprises et de leur marketing. Il nous faut essayer de rendre visible ce qui est invisible, voir autrement ceux que l’on croise dans les rues sans rencontrer vraiment… L’art, davantage que la politique, tribaliste et mercantile, peut jouer au médiateur entre plusieurs mondes qui se cherchent et vivent côte à côte sans toujours se comprendre. Un peu comme les couleurs de l’arc-en-ciel mauricien qui se côtoient mais qui ne se mélangent jamais vraiment.

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On nous dit qu’il y a 2 000 marchands ambulants dans la capitale. Mais nous sommes-nous vraiment intéressés à eux comme ‘people’ ? Sous les lumières de Porlwi, c’était triste de les voir, «tracer leur vie», envers et contre tous. Ce qui est déplorable, ce n’est pas qu’ils ont pris les rues en otage, mais le fait qu’on ne daigne pas les écouter afin qu’on donne, tous ensemble, une équité sociale à Port-Louis, pour en faire un tout organique. C’est ce qui manquait. C’est ce qui a provoqué cette gêne…Outre la pluie.

 P. S : Pour éviter tout amalgame, clarifions : l’express s’inscrit contre la présence illégale des marchands qui sont tout sauf «ambulants» sur les étroits trottoirs de la capitale ou ailleurs. On est davantage du côté de ceux qui paient leurs taxes et licences, conformément à nos lois. Notre propos d’en haut n’est donc pas d’ordre légal ou politique, il relève d’un souci davantage social et culturel, surtout lorsqu’on met en lumière les ‘people’ et que l’on insiste autant sur les thèmes d’inclusion et d’intégration. L’an dernier, on n’avait pas besoin d’emballage, les lumières suffisaient…