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Cette pénurie de thé noir au goût amer

23 novembre 2016, 10:00

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Depuis quelques mois, les consommateurs font face à une pénurie de thé noir, laquelle s’est aggravée au cours de ces dernières semaines avec la disparition quasi permanente de ce produit des étagères. De temps à autre, il réapparaît timidement pour ensuite disparaître aussi vite qu’il n’est apparu, tant qu’il est distribué au compte-gouttes. Et plus étrange, notre thé local, quand il est disponible, n’est vendu qu’en logement de 125 grammes ; alors que la majorité des consommateurs ont une nette préférence pour les paquets de 250 et de 500 grammes.

Selon les usiniers et le ministère de tutelle, l’origine de cette pénurie serait une baisse dans la production de feuilles vertes, affectée par des conditions climatiques défavorables. Pour mieux jauger la situation et ainsi l’impact du changement climatique sur le secteur théier, j’ai donc entrepris une analyse des statistiques de production publiées par Statistics Mauritius couvrant la période 2012 à 2015, ainsi que celles concernant les mois de janvier à juin 2016. Voyons les faits.

1. Superficie cultivée

Entre 2012 et 2014, la superficie cultivée est demeurée relativement stable avec une moyenne annuelle de 675 hectares. Toutefois, en 2015, celle-ci régresse à 574 hectares, soit une réduction de 15 % par rapport à la moyenne 2012-2014, pour ensuite repasser à 650 hectares en juin 2016.

2. Production de feuilles de thé

Durant la période 2012-2014, la production annuelle de feuilles vertes a été relativement équilibrée avec une moyenne annuelle de 7 850 tonnes. Cependant, en 2015, elle chute à 6 732 tonnes. Soit une baisse de 15 % comparé à la moyenne 2012-2014.

3 . Rendement de feuilles vertes

Si les conditions climatiques défavorables et le vieillissement des plantes sont les principaux responsables de la baisse de production, comme avancé et par les usiniers et par les services compétents, cela aurait dû se répercuter sur le rendement au champ. Or, entre 2012 et 2015, celui-ci n’a pas vraiment changé, comme le démontre le tableau ci-après. On aurait pu avoir une idée plus précise si la surface récoltée était disponible, mais malheureusement cette information ne figure pas parmi les informations diffusées par Statistics Mauritius.

4. Production de thé noir

La production de thé noir est demeurée équilibrée entre 2012 et 2014 pour ensuite reculer de 14 % en 2015 (1 295 tonnes) contre 1 504 tonnes en 2014, comme démontré ci-après. Par ailleurs, on peut constater un rapport feuilles vertes-thé noir plus ou moins stable entre 2012 et 2015.

5. Consommation locale de thé noir

La consommation tient en compte la production locale et les importations auxquelles sont soustraites les exportations et une faible partie de la production de feuilles vertes, notamment les rejets. Les chiffres de Statistics Mauritius font voir que le volume net de thé noir vendu sur le marché local se situait comme suit entre 2012 et 2015.

On remarque, en 2015, une baisse dans la production locale avec un volume de 1 295 tonnes contre une moyenne de 1 550 tonnes pour la période 2012-2014 (-16 %). Afin de compenser cette baisse, 145 tonnes de thé furent importées, soit plus du double réceptionné en 2014 (69 tonnes). Toutefois, le volume total disponible pour le marché local s’avéra être inférieur de 8 % en 2015 (1 384 tonnes), comparé à 2014 (1 505 tonnes).

6. La situation de janvier à juin 2016

Selon Statistics Mauritius, 4 463 tonnes de feuilles vertes ont été récoltées entre janvier et juin de cette année, représentant une augmentation de 28 % comparé à la période correspondante en 2015 (3 492 tonnes récoltées). De son côté, le rendement moyen aurait été d’environ 12 tonnes/hectare, ce qui se compare favorablement aux campagnes précédentes. S’agissant de la production de thé noir, celle-ci aurait atteint 781 tonnes, soit une hausse de 12 % par rapport à la période équivalente en 2015 (699 tonnes). Toutefois, le seul point noir enregistré au cours du premier semestre de cette année concerne le taux de conversion feuilles vertes-thé noir qui aurait chuté à 17,5 %, contre 19,2 % en 2015.

7. Estimation de la production 2016

Basé sur les statistiques disponibles, il apparaît qu’une moyenne de 56 % de la production de feuilles vertes est normalement cueillie entre janvier et juin. Ainsi, il est estimé qu’environ 8 000 tonnes de feuilles vertes devraient être récoltées en 2016. S’agissant de la production de thé noir, celle-ci devrait s’élever à environ 1 400 tonnes, au minimum, basé sur un taux de conversion de 17,5 %. 

L’analyse ci-dessus démontre, sans aucune ambiguïté, que la pénurie actuelle de thé noir n’est certainement pas le résultat des mauvaises conditions climatiques ou encore du vieillissement avancé des plantations de thé qui ont affecté la production de feuilles vertes, comme veulent nous faire accroire les usiniers et le ministère de tutelle. Si tel était le cas, cela aurait eu une répercussion négative sur la productivité au niveau des champs. Or, les statistiques sont sans équivoque et démontrent clairement que le rendement de feuilles vertes récoltées lors du premier semestre 2016 est comparable aux campagnes précédentes ou même légèrement supérieur à celle de 2015.

Il est clair que le déficit de thé noir sur le marché local n’est, ni plus ni moins, que la conséquence de l’abandon de quelque 100 hectares de plantations l’année dernière. Plus étonnant encore est le fait que l’organisme du ministère de l’Agro-industrie, responsable du dossier, ne pouvait ignorer, dès 2015, qu’une pénurie de thé nous pendait au nez en 2016 en raison de la baisse de la superficie cultivée et prenne ainsi les dispositions nécessaires pour parer à cette éventualité. Pour preuve, ce n’est que maintenant que la question d’importation est évoquée alors que depuis plusieurs semaines les paquets de thé noir ont quasiment disparu du marché.

Par ailleurs, il serait intéressant de savoir si la récolte tardive d’un certain volume de feuilles vertes ne serait pas due à la réhabilitation express cette année d’une partie de la surface abandonnée en 2015, et non du «prolongement de la période hivernale», comme avancé par les autorités concernées et les usiniers.

Il a vraiment bon dos le changement climatique.